Vous connaissez son visage, vous connaissez sa voix. François-Xavier Ménage fait partie de cette nouvelle génération de journalistes qui comptent, de ceux qui ont ce petit plus pour faire vibrer l’actualité. Il y eut RMC, M6, BFMTV et aujourd’hui LCI et TF1.
Si François-Xavier Ménage est parfois en plateau, à la présentation des journaux télévisés, on le voit plus souvent sur le terrain puisqu’il est avant tout grand reporter, sillonnant la planète pour envoyer images et interview afin de nous faire mieux comprendre...
Les têtes baissées de François-Xavier Ménage - Présentation - Suite
Philippe ChauveauBonjour François-Xavier Ménage.
François-Xavier MénageBonjour.
Philippe ChauveauVous êtes dans l'actualité du livre chez Robert Laffont avec ce qui est votre premier roman, Les têtes baissées, je dis premier roman volontairement, puisque on vous connaît davantage en tant que journaliste enquêteur reporter. Il y a eu la radio, aujourd'hui c'est plus la télévision. Vous êtes un visage de LCI et de TF1. Pourquoi l'envie du journalisme ? Est ce que c'est un rêve de gamin ou ça vous tombe dessus...
Les têtes baissées de François-Xavier Ménage - Portrait - Suite
Philippe Chauveau Nous sommes donc dans une petite ville de province et le bandeau choisi par votre éditeur est frappant. Cette petite ville de province qui semble désertée. Il y a un abattoir "AgroPig", on abat des porcs. Et puis il y a tous ces invisibles qui travaillent. Il y a Emma, il y a Ronan, il y a Farid, il y a Carole. Et puis il y a aussi d'autres personnes qui gravitent autour. Il y a Bertrand, le Maire, il y a Marc, le patron, à la solde de cette grande société américaine, propriétaire de l'usine. On ne sait pas...
Les têtes baissées de François-Xavier Ménage - Livre - Suite
François-Xavier Ménage
Les têtes baissées
Présentation 00'03'02"Vous connaissez son visage, vous connaissez sa voix. François-Xavier Ménage fait partie de cette nouvelle génération de journalistes qui comptent, de ceux qui ont ce petit plus pour faire vibrer l’actualité. Il y eut RMC, M6, BFMTV et aujourd’hui LCI et TF1.
Si François-Xavier Ménage est parfois en plateau, à la présentation des journaux télévisés, on le voit plus souvent sur le terrain puisqu’il est avant tout grand reporter, sillonnant la planète pour envoyer images et interview afin de nous faire mieux comprendre le monde. Le Printemps arabe, les élections présidentielles, la guerre en Centrafrique, et plus récemment l’Ukraine ou le Jubilé de la Reine Elisabeth. François-Xavier Ménage raconte notre époque.
En 2011, il est envoyé au Japon, à Fukushima lors du tsunami et de l’explosion de la centrale nucléaire. De son enquête, il fera un livre « Fukushima, le poison coule toujours » paru en 2016 chez Flammarion.
Mais c’est avec la casquette de romancier que nous recevons François-Xavier Ménage aujourd’hui. Chez Robert Laffont sort son premier roman « Les têtes baissées ». Une petite ville dans un coin de France sinistrée par la crise économique. une usine d’abattage de porcs pour la grande distribution. Il y a là Ronan, Emma, Faird, Carole, ces invisibles, ces sans-voix, usés prématurément par la pénibilité de leur travail et qui, chaque jour, sont au contact du sang et de la viande morte. Il y a auss Marc, le patron, aux ordres du groupe américain propriétaire de l’usine, et puis Bertrand, le maire de la commune, et puis Shanah, l’épouse du patron qui n’a jamais pu se résoudre à vivre en province et préfère son quotidien parisien.
Avec une écriture fluide, rapide, percutante dans laquelle on reconnait la patte journalistique, le décor est rapidement planté, les personnages présentés et l’intrigue amenée. L’usine Agro Pig doit fermer. Que vont devenir tous les salariés et ceux qui gravitent autour ? Dès les premières pages, le narrateur nous prévient, il y aura un meurtre, une destruction et la constitution d’une petite fortune.
Effectivement le roman est habilement construit, comme un thriller. Mais le livre de François-Xavier Ménage est bien avant tout un roman sociétal, une peinture féroce de notre société, des laissés pour compte, des petits qui n’ont pas la parole. C’est aussi une description minutieuse et glaçante du quotidien de ces ouvriers d’usines d’abattage et au final une vision d’une France des provinces, oubliée et mise de côté. Un roman qui est à la fois un vrai moment de plaisir de lecture, par la qualité de l’écriture, mais qui fait aussi froid dans le dos par la réalité qu’il dénonce.
Ce livre est un coup de cœur. L’écriture est parfaitement maitrisée, l’intrigue bien ficelée, les personnages bien campés et les thèmes abordés font écho à notre époque et notre société.
Belle réussite que ce premier roman de François-Xavier Ménage.
« Les têtes baissées » est publié chez Robert Laffont
François-Xavier Ménage
Les têtes baissées
Portrait 00'08'19"Philippe Chauveau
Bonjour François-Xavier Ménage.
François-Xavier Ménage
Bonjour.
Philippe Chauveau
Vous êtes dans l'actualité du livre chez Robert Laffont avec ce qui est votre premier roman, Les têtes baissées, je dis premier roman volontairement, puisque on vous connaît davantage en tant que journaliste enquêteur reporter. Il y a eu la radio, aujourd'hui c'est plus la télévision. Vous êtes un visage de LCI et de TF1. Pourquoi l'envie du journalisme ? Est ce que c'est un rêve de gamin ou ça vous tombe dessus ?
François-Xavier Ménage
Pas du tout hasard. Quand j'étais petit, je voulais être médecin, plutôt pharmacien, avocat, chef cuistot, tout sauf journaliste. Et j'ai commencé à pratiquer le journalisme parce que si j'avais besoin d'un petit boulot le week end dans un petit journal local en Bretagne et en pratiquant, j'ai aimé et en aimant c'est devenu obsédant. Et après, j'ai fait une école de journalisme.
Philippe Chauveau
Qu'avez vous découvert dans le journalisme ? Est ce que, selon vous, c'est une autre vision de notre façon de voir le monde ? C'est la transmission ? Si vous deviez définir ce qu'est pour vous le journalisme et le journalisme que vous pratiquez vous même ?
François-Xavier Ménage
C'est le réel. En tout cas, pour moi, évidemment, et je pense pour toute notre profession. Donc c'est témoigner. C'est le terrain, c'est la vérité du terrain, la religion du terrain, c'est la seule religion qui doit nous animer. Et puis, sans faire de sermons, je crois que c'est aussi l'intérêt général. Ça fait bizarre d'entendre ça en ce moment, mais on ne doit servir aucun intérêt particulier.
Philippe Chauveau
Vous êtes parfois en plateau, en présentation, mais vous êtes aussi très souvent sur le terrain et vous êtes souvent sur les zones de conflits, sur les endroits du monde ou ça va mal. Est ce un choix ? Est-ce que pour vous, il y a un côté très noir dans votre vision du monde ? Ou c'est parce que ce sont vos rédacteurs en chef qui vous envoient sur c'est sur ces endroits là ?
François-Xavier Ménage
Non, on choisit, on choisit. Évidemment, je suis pas le seul à réfléchir comme cela. Moi, j'ai la chance d'être grand reporter, grand reporter ça veut tout dire et rien dire, évidemment, au quotidien vous ne faites pas du grand reportage tous les jours. D'ailleurs, je suis pas sûr que ce mot ait beaucoup de sens. Mais pour parler de l'Ukraine, par exemple, j'ai levé la main pour dire que je voulais y aller. Et c'est un choix que l'on fait et qui est éminemment moins difficile que ceux qui vivent sous les bombes et qui n'ont rien demandé, qui sont des civils. Et je pense qu'il faut l'avoir en tête malgré les drames, parce qu'à un instant on se parle, on est à huit journalistes dont deux Français qui sont morts en Ukraine et on pense à eux, bien sûr. Mais c'est une profession ou on choisit. Ça ne veut pas dire que c'est simple, évidemment, mais c'est la plupart du temps, c'est quelque chose qui nous anime effectivement.
Philippe Chauveau
Excusez moi d'employer des grands mots, mais lorsque l'on est confronté comme ça à la misère du monde en tant que journaliste, comment fait on pour se protéger, pour se préserver, pour croire encore en des lendemains qui chantent ?
François-Xavier Ménage
D'abord, moi, j'essaye de me concentrer tout le temps sur le reportage que je dois faire, qui vous évite parfois de dévisser. Parce que c'est facile de dévisser et de se dire que les atrocités sont telles qu'il n'est pas possible d'avancer, et on garde foi parce qu'en vérité, il y a, il y a des étincelles, des étincelles... de joie, ça paraît bizarre à entendre quand on est en Ukraine,
Philippe Chauveau
Mais de vie, en tout cas ?
François-Xavier Ménage
Mais de vie en tout cas, voilà ce que ça a de plus intense. Et je vous donne juste un exemple, quand on était sous les bombes à Kiev dans la partie ouest de la ville, en banlieue ou vraiment c'était pilonné. On a vu des scènes, notamment une femme de 80 ans qui vivait dans un salon de coiffure parce que sa maison avait été détruite. Elle refusait de quitter les lieux et nous expliquait pourquoi cet attachement à la terre et l'attachement à l'endroit ou elle avait grandi était quelque chose qu'elle ne pouvait pas quitter. Et il y avait une intensité dans ces mots et on se dit à ce moment précis qu'on a peut être réussi à dépeindre une scène qui dit énormément. Et dans ces cas là, on se dit qu'on a servi à quelque chose.
Philippe Chauveau
C'est le romancier que je reçois aujourd'hui, puisque c'est votre votre premier roman. J'ai bien compris que le journalisme avait commencé par la presse écrite dans cette rédaction, en Bretagne, ça veut dire que l'écriture a quand même toujours été quelque chose qui vous a plu ? Même déjà au collège ou lycée, étiez vous un bon littéraire ? Et puis, est-ce que la littérature a très tôt fait partie de votre vie ? Ou non, pas du tout ?
François-Xavier Ménage
Non, non, non et non. En vérité, je me faisais engueuler par ma mère parce que je lisais pas assez. Et à la maison, ce n'était pas moi le meilleur lecteur. J'ai toujours lu un peu, mais quand j'ai commencé le journalisme, ce n'était pas du tout pour l'écriture. C'était d'abord ce que je vous dis, j'avais besoin d'un petit boulot. Et ensuite, j'ai trouvé passionnant de raconter des histoires. Mais ce n'était pas sous la forme de l'écrit que je trouvais mon bonheur, c'était dans les rencontres. Le plaisir de l'écriture il est venu, vous allez voir comme c'est tordu par le biais de la radio, par le biais d'une revue de presse, par le biais d'une femme qui s'appelle Pascale Clark, qui écrivait si brillamment ses revues de presse que même bourré, me couchant à 6 h du matin, étudiant, je mettais mon réveil à 8 h et demie pour être sûr d'entendre ce talent d'écriture. Parce que pour moi, c'était vraiment un exercice d'écriture Et à cet instant là, je savais que je voulais être journaliste et j'ai compris par son biais, donc je la remercie infiniment, que l'écriture pouvait me transporter. Mais l'écriture radio, vous voyez comme ensuite les choses sont arrivées de manière inverse pour qu'ensuite je prenne énormément de plaisir à écrire et à lire.
Philippe Chauveau
Alors je vous pose ces questions parce que l'écriture est bel et bien présente dans ce qui est votre premier roman. Juste un petit mot sur le précédent livre en 2016, cette enquête sur Fukushima. Pourquoi était-ce important pour vous ? Vous avez couvert Fukushima dès 2011 et puis cinq ans après, vous faites un livre d'enquête. Pourquoi raconter ? Pourquoi était-ce important pour vous de faire un témoignage par un livre ?
François-Xavier Ménage
D'abord parce que j'ai laissé une partie de mon cerveau là bas. Comme je le dis toujours. C'est à dire que cette catastrophe était tellement intense que j'ai été avalé par cette catastrophe. Étant entendu par ailleurs que je suis passionné du Japon depuis depuis très longtemps et que ça touchait aussi à ma passion. Et ensuite, j'ai voulu y revenir de manière obsessionnelle à plusieurs reprises. À l'époque, j'étais grand reporter chez BFM et à l'issue d'un quatrième déplacement là bas, j'ai compris que je n'allais pas pouvoir de retour à Paris et repartir dans la foulée là bas. Et donc, je me suis dit Je vais essayer d'écrire un livre. Et quand on parle des conséquences à 10, 20, 50, 100 ans, quand on sait que ce sont des dizaines et des dizaines de milliards qu'il va falloir encore mettre sur la table pour qu'un jour, mais c'est à dire à un horizon de 400 à 500 ans, il n'y ait plus beaucoup de traces de cette catastrophe. On est face à l'immensité d'une tâche et on est tout petits en tant qu'être humain. Et je trouvais ce rapport important à décrire, modestement, évidemment, mais à décrire en se rendant plusieurs fois sur place. Et en continuant ce travail, c'est cinq ans d'enquête, effectivement dans cette zone rouge.
Philippe Chauveau
On l'entend, ce livre est important. Il est formateur et fondateur pour votre œuvre, pour votre parcours de journaliste. Et aujourd'hui, c'est la plume romanesque. Sans entrer dans le sujet des têtes baissées, pourquoi choisir la plume romanesque aujourd'hui, en 2022 ? Pourquoi cette envie ?
François-Xavier Ménage
Alors, Au départ là encore, pour comprendre un peu le contexte, je couvrais les problèmes liés au Covid. Et, rappelez vous, on a évoqué à ce moment là les professions invisibles qui devenaient visibles. Et par ailleurs, il y avait aussi quelque chose qui m'énervait. En vérité, c'est que la plupart du temps, il y a des territoires qui ne sont même plus représentés dans les médias, voire même parfois dans la littérature. Et donc, j'ai fait une jonction entre ces professions invisibles, en l'occurrence des travailleurs dans les abattoirs et des villages qui se sont évaporés dans l'inconscient collectif qui n'existe plus pour beaucoup. Et c'est à partir de là qu'est née ce roman. Et ensuite, c'est mon cerveau qui a travaillé.
Philippe Chauveau
Et vous auriez pu le faire sous forme d'enquête ?
François-Xavier Ménage
Tout à fait, et c'était ce que j'avais proposé au départ à mon éditeur qui me dit Tu vas faire un roman. Et j'ai commencé ce travail très égoïste. Je mettais parfois mon réveil tôt le matin pour ensuite faire mon travail de reporter. Donc je travaillais 1 h - 1 h et demie tous les jours devant mon écran. Et au tout début, le journaliste que je suis avait un cerveau qui bloquait, qui disait Mais tu n'as pas le droit d'écrire des choses qui ne se sont pas passées sous tes yeux, et donc j'ai bloqué quelques jours. Et puis heureusement, très vite, le cadenas a sauté. Ça a fait beaucoup de bruit dans la maison quand le cadenas a sauté. Et là a démarré un travail de pur égoïsme. J'étais face à mon histoire et il y avait plus rien qui existait. Et c'était un plaisir que je n'avais jamais connu et que je n'ai pas retrouvé depuis.
Philippe Chauveau
Et le plaisir est partagé. C'est donc votre votre premier roman ? François Xavier ménage les têtes baissées chez Robert Laffont.
François-Xavier Ménage
Les têtes baissées
Livre 00'07'29"Philippe Chauveau
Nous sommes donc dans une petite ville de province et le bandeau choisi par votre éditeur est frappant. Cette petite ville de province qui semble désertée. Il y a un abattoir "AgroPig", on abat des porcs. Et puis il y a tous ces invisibles qui travaillent. Il y a Emma, il y a Ronan, il y a Farid, il y a Carole. Et puis il y a aussi d'autres personnes qui gravitent autour. Il y a Bertrand, le Maire, il y a Marc, le patron, à la solde de cette grande société américaine, propriétaire de l'usine. On ne sait pas précisément où l'on est, mais on sait qu'on est dans une petite ville. Vous aviez envie de dépeindre l'usine dans une petite ville de province. Pourquoi cette envie ?
François-Xavier Ménage
Parce que d'abord, c'est une réalité en France aujourd'hui, il y a beaucoup de petits villages et ces usines, bien souvent issues de l'univers de l'agroalimentaire, sont les seules à être encore pourvoyeurs d'emplois. Il y a des dizaines de milliers de personnes aujourd'hui qui travaillent dans ce secteur qui est difficile. Et dans une ville, où il n'y a pas d'autre possibilité si vous voulez rester, en tout cas là où vous avez grandi. Et par ailleurs, je considère que travailler dans un abattoir aujourd'hui, moi je ne l'ai jamais vécu, mais j'ai déjà fait des reportages et j'ai des amis qui ont travaillé parfois des années entières dans des abattoirs. Ça abîme et c'est probablement un métier plus violent que les autres, parce que la pénibilité, évidemment de la tâche, parce que c'est quelque chose qui vous fracasse, qui fracasse votre corps et qui fait que c'est intenable pour beaucoup. Et alors qu'on parle beaucoup de la violence animale, qui évidemment en soi, est un thème important, je voulais qu'on parle de la souffrance des salariés dans les abattoirs.
Philippe Chauveau
Souffrance physique et puis souffrance face à la mort.
François-Xavier Ménage
Souffrance, souffrance face à la mort, évidemment, parce que dans ce milieu là, les mots ne reflètent pas la réalité. C'est à dire que dans votre contrat de travail, si vous êtes dans un abattoir, on va dire que vous êtes agent de fabrication, ce qui est un peu étonnant. On ne va pas parler d'animaux, on va parler de carcasses. Et ce monde ou les mots ne disent pas tout à fait la réalité. Eh bien, quand tous les jours ils se répètent, ce monde vous abîme. Jusqu'à quel point ? Ça, c'est ce que j'essaye de poser comme question dans le livre. Et par ailleurs, moi, ce qui m'importait beaucoup, c'est que on en revient aux professions invisibles ce sont des travailleurs qui, la plupart du temps, n'ont pas les honneurs des médias, ce sont des travailleurs qui reviennent exténués le soir chez eux. Et que faites vous quand vous avez engrangé pendant des heures et des heures tous les jours une telle violence ? Comment vous la relâchez, cette violence ? Est ce que vous la relâchez auprès de vos proches le soir, en revenant à la maison ? Est ce que vous gardez ça en vous quand tout ça s'accumule et se sédimente, qu'est ce qui se passe ensuite dans votre cerveau ? Et il y a plusieurs personnages qui vont essayer de lutter face à cette violence, de la canaliser, de l'apprivoiser, de la caresser et parfois ne vont rien faire face à cette violence. Et c'est ça qui m'importait. Savoir comment on arrive à faire face à cette violence.
Philippe Chauveau
Alors il y a plusieurs thèmes qui sont abordés dans le roman. Il y a donc ces usines d'abattage, il y a le sort des petites villes où l'économie est fragile, il y a le rôle des élus qui sont parfois un peu démunis, il y a ces ouvriers invisibles qui se ruinent la vie dans ces abattoirs. Vous faites un roman sociétal et en même temps vous choisissez l'écriture un peu d'un thriller. Et d'ailleurs, ça commence très vite parce que dès les premières pages, vous nous dites avant de refermer ce livre, surgiront un meurtre, une destruction et la constitution d'une petite fortune. Donc là, il y a un suspense qui s'installe. Pourquoi avoir choisi ce côté un peu thriller pour votre premier roman ?
François-Xavier Ménage
Ce qui est amusant, c'est que je n'avais pas du tout anticipé ça comme cela. C'est à dire que moi, je ne lis pas de thriller, donc je ne partait pas dans l'idée d'avoir ce modèle là en écrivant. En revanche, l'idée de base était la suivante je voulais que les lecteurs sachent déjà, aient des pistes concernant l'avenir des personnages, que les personnages eux ne savent pas, ne connaissent pas, parce qu'ils n'ont pas la capacité de savoir ce qui va se passer demain pour eux. Je voulais que le lecteur ait des perspectives pour eux, que les héros de ce livre, n'ont pas. Je voulais que cette injustice, elle, soit prégnante dès les premières pages de ce livre.
Philippe Chauveau
Précisons que très rapidement, on va apprendre que l'usine va fermer et très rapidement, on va voir aussi que le patron, le directeur, reçoit des menaces de mort avec des balles qui lui sont envoyées. Chose évidemment que les protagonistes ne savent pas. Et c'était aussi une façon pour vous d'accrocher le lecteur ou c'était en tant que premier, primo romancier, une façon pour vous aussi de vous amuser un peu ?
François-Xavier Ménage
Les deux je pense, Les deux. Et puis il y avait cette idée aussi que je voulais qu'on avance dans un labyrinthe sans savoir précisément où se trouvait la sortie Donc on a la porte d'entrée, on sait qu'il y a des lumières au fond et l'idée est, en tout cas, d'aller vers ces lumières sans savoir si ces lumières vont précisément vous éclairer pour la suite. En tout cas, c'était le principe de base, effectivement. Et puis par ailleurs, pour parler du patron, puisqu'on est dans un labyrinthe, non, le patron n'est pas qu'un salopard. Non, le patron n'est pas que quelqu'un animé par l'idée de broyer ses salariés. Lui aussi a des problèmes. Donc, à chaque fois, il y a l'idée qu'au dessus de vous, quelqu'un vous contraint à ne pas faire ce que vous auriez aimé faire.
Philippe Chauveau
Alors l'intrigue est bien ficelée, les thèmes sociétaux sont importants parce que forcément, ils nous ramènent à notre, à notre actualité et à notre époque contemporaine. Et puis, il y aussi la construction que vous avez choisi, ce sont des chapitres courts avec à chaque fois l'un des protagonistes, l'un des personnages qui est mis en lumière. Peut être peut on parler de certains de ces personnages ? Il y a entre autres Ronan, Emma, Carol, qui sont des ouvriers de cet abattoir. Comment les avez vous conçu ces personnages ? Est ce qu'ils sont nés de gens que vous avez pu croiser au fil de vos reportages ?
François-Xavier Ménage
Ils ont chacun des spécificités. Ronan est un taiseux qui souffre en silence. Emma est la seule qui arrive à dessiner des lignes puisqu'elle sort d'un bac et elle espère surtout pouvoir intégrer une école de commerce, la plus petite des écoles de commerce, celle qui coûte le moins cher à intégrer. Mais elle a cet espoir là. Et puis, il y a une femme qui, elle, est à la fin de son parcours professionnel et qui s'excuse pour les autres et qui jamais ne se permettrait de se plaindre par rapport à la tâche qui est la sienne, à savoir découper des porcs. Donc il y a voilà, une petite constellation de personnages qui évoluent chacun avec des douleurs qui sont indicibles pour la plupart. Mais avec cette idée que c'est difficile de communiquer sur des douleurs. Mais ils ont des liens qui vont, à la manière d'un labyrinthe, les amener peut être pas tout à fait là où ils avaient imaginé pouvoir aller.
Philippe Chauveau
Vous êtes conscient que, en abordant le thème de ces usines, de l'abattage d'animaux, de ces invisibles, des petites villes en déshérence, vous mettez le doigt sur des sujets qui font mal dans notre société ? Il y avait cette volonté aussi, en prenant la plume pour ce premier roman ? Vous aviez cette envie aussi de dénoncer ?
François-Xavier Ménage
Alors disons que...
Philippe Chauveau
Ou est ce que le mot est trop fort, dénoncer ?
François-Xavier Ménage
Je ne sais pas, je ne pense pas parce que je n'ai pas les épaules pour dénoncer, dans le cadre d'un roman, des conditions de travail que je n'ai pas vécues moi. Déjà, soyons honnêtes, c'est venu à moi parce que, et ça, c'est une réflexion plus profonde, je parlais tout à l'heure de la représentation, mais il y a aussi autre chose qui m'a animé dans ce roman, c'est que, en vérité, on n'est pas égaux, ça, c'est le moins qu'on puisse dire, face à la capacité à s'exprimer, puisqu'on parle de douleur et que ce sont des ouvriers qui ont une succession de douleurs qui sont quand même assez intenses. On n'est pas égaux face à ça. Certains savent très, très bien exprimer leur douleur ou celle des autres. Je pense par exemple à des hommes et des femmes politiques qui savent se faire le porte parole d'un tel ou d'une telle en évoquant cela dans leur bouche, dans leur expression orale. Et quand on n'a pas cette capacité à s'exprimer pour soi et pour les autres, eh bien, que fait on ? Comment évolue t-on entre guillemets ? Est ce que c'est si appréciable que cela de pouvoir évoquer ses souffrances ? Est ce que ça aide ? Et surtout quand on ne peut pas le faire, où est ce que ça nous amène ? Ça, c'était vraiment quelque chose qui moi m'animait.
Philippe Chauveau
Pensez vous que ce livre sera un marqueur, à la fois dans votre vie personnelle et dans votre parcours journalistique ? Est ce qu'il y aura un avant et un après le premier roman ?
François-Xavier Ménage
À l'intérieur de moi même, oui. Pour le reste, je ne sais pas. Je ne suis pas sûr. Mais à l'intérieur de moi même, oui, il y a un avant et un après. Il y a cette idée de se dire que voilà, il existe. Mais je veux être tout à fait honnête avec vous, là encore, quand j'ai terminé le livre, c'est le moment où j'ai été le plus heureux. Ce n'est pas quand il est sorti en librairie, c'est quand je l'ai fini, comme si le dialogue était vraiment entre moi et moi. Après, j'espère qu'il y aura beaucoup de lecteurs qui pourront y trouver du plaisir, bien sûr. Mais je parle vraiment d'un bonheur égoïste. D'avoir réussi à sortir ça, si je puis dire, à savoir cet univers qui était vraiment important pour moi.
Philippe Chauveau
Ce premier roman est une vraie réussite, avec déjà une écriture très maîtrisée, une intrigue bien ficelée. Puis ces thèmes qui viennent nous percuter aussi parce que l'intrigue est assez, est assez glaçante. Et puis il y a quand même un suspense aussi qui en fait un vrai plaisir de lecture. Ça s'appelle Les têtes baissées. François-Xavier Ménage, vous êtes publié chez Robert Laffont.
François Xavier Ménage
Merci beaucoup, merci infiniment.