François-Xavier Ménage

François-Xavier Ménage

Les têtes baissées

Livre 00'07'29"

Philippe Chauveau
Nous sommes donc dans une petite ville de province et le bandeau choisi par votre éditeur est frappant. Cette petite ville de province qui semble désertée. Il y a un abattoir "AgroPig", on abat des porcs. Et puis il y a tous ces invisibles qui travaillent. Il y a Emma, il y a Ronan, il y a Farid, il y a Carole. Et puis il y a aussi d'autres personnes qui gravitent autour. Il y a Bertrand, le Maire, il y a Marc, le patron, à la solde de cette grande société américaine, propriétaire de l'usine. On ne sait pas précisément où l'on est, mais on sait qu'on est dans une petite ville. Vous aviez envie de dépeindre l'usine dans une petite ville de province. Pourquoi cette envie ?


François-Xavier Ménage
Parce que d'abord, c'est une réalité en France aujourd'hui, il y a beaucoup de petits villages et ces usines, bien souvent issues de l'univers de l'agroalimentaire, sont les seules à être encore pourvoyeurs d'emplois. Il y a des dizaines de milliers de personnes aujourd'hui qui travaillent dans ce secteur qui est difficile. Et dans une ville, où il n'y a pas d'autre possibilité si vous voulez rester, en tout cas là où vous avez grandi. Et par ailleurs, je considère que travailler dans un abattoir aujourd'hui, moi je ne l'ai jamais vécu, mais j'ai déjà fait des reportages et j'ai des amis qui ont travaillé parfois des années entières dans des abattoirs. Ça abîme et c'est probablement un métier plus violent que les autres, parce que la pénibilité, évidemment de la tâche, parce que c'est quelque chose qui vous fracasse, qui fracasse votre corps et qui fait que c'est intenable pour beaucoup. Et alors qu'on parle beaucoup de la violence animale, qui évidemment en soi, est un thème important, je voulais qu'on parle de la souffrance des salariés dans les abattoirs.


Philippe Chauveau
Souffrance physique et puis souffrance face à la mort.


François-Xavier Ménage
Souffrance, souffrance face à la mort, évidemment, parce que dans ce milieu là, les mots ne reflètent pas la réalité. C'est à dire que dans votre contrat de travail, si vous êtes dans un abattoir, on va dire que vous êtes agent de fabrication, ce qui est un peu étonnant. On ne va pas parler d'animaux, on va parler de carcasses. Et ce monde ou les mots ne disent pas tout à fait la réalité. Eh bien, quand tous les jours ils se répètent, ce monde vous abîme. Jusqu'à quel point ? Ça, c'est ce que j'essaye de poser comme question dans le livre. Et par ailleurs, moi, ce qui m'importait beaucoup, c'est que on en revient aux professions invisibles ce sont des travailleurs qui, la plupart du temps, n'ont pas les honneurs des médias, ce sont des travailleurs qui reviennent exténués le soir chez eux. Et que faites vous quand vous avez engrangé pendant des heures et des heures tous les jours une telle violence ? Comment vous la relâchez, cette violence ? Est ce que vous la relâchez auprès de vos proches le soir, en revenant à la maison ? Est ce que vous gardez ça en vous quand tout ça s'accumule et se sédimente, qu'est ce qui se passe ensuite dans votre cerveau ? Et il y a plusieurs personnages qui vont essayer de lutter face à cette violence, de la canaliser, de l'apprivoiser, de la caresser et parfois ne vont rien faire face à cette violence. Et c'est ça qui m'importait. Savoir comment on arrive à faire face à cette violence.


Philippe Chauveau
Alors il y a plusieurs thèmes qui sont abordés dans le roman. Il y a donc ces usines d'abattage, il y a le sort des petites villes où l'économie est fragile, il y a le rôle des élus qui sont parfois un peu démunis, il y a ces ouvriers invisibles qui se ruinent la vie dans ces abattoirs. Vous faites un roman sociétal et en même temps vous choisissez l'écriture un peu d'un thriller. Et d'ailleurs, ça commence très vite parce que dès les premières pages, vous nous dites avant de refermer ce livre, surgiront un meurtre, une destruction et la constitution d'une petite fortune. Donc là, il y a un suspense qui s'installe. Pourquoi avoir choisi ce côté un peu thriller pour votre premier roman ?

François-Xavier Ménage
Ce qui est amusant, c'est que je n'avais pas du tout anticipé ça comme cela. C'est à dire que moi, je ne lis pas de thriller, donc je ne partait pas dans l'idée d'avoir ce modèle là en écrivant. En revanche, l'idée de base était la suivante je voulais que les lecteurs sachent déjà, aient des pistes concernant l'avenir des personnages, que les personnages eux ne savent pas, ne connaissent pas, parce qu'ils n'ont pas la capacité de savoir ce qui va se passer demain pour eux. Je voulais que le lecteur ait des perspectives pour eux, que les héros de ce livre, n'ont pas. Je voulais que cette injustice, elle, soit prégnante dès les premières pages de ce livre.

Philippe Chauveau
Précisons que très rapidement, on va apprendre que l'usine va fermer et très rapidement, on va voir aussi que le patron, le directeur, reçoit des menaces de mort avec des balles qui lui sont envoyées. Chose évidemment que les protagonistes ne savent pas. Et c'était aussi une façon pour vous d'accrocher le lecteur ou c'était en tant que premier, primo romancier, une façon pour vous aussi de vous amuser un peu ?


François-Xavier Ménage
Les deux je pense, Les deux. Et puis il y avait cette idée aussi que je voulais qu'on avance dans un labyrinthe sans savoir précisément où se trouvait la sortie Donc on a la porte d'entrée, on sait qu'il y a des lumières au fond et l'idée est, en tout cas, d'aller vers ces lumières sans savoir si ces lumières vont précisément vous éclairer pour la suite. En tout cas, c'était le principe de base, effectivement. Et puis par ailleurs, pour parler du patron, puisqu'on est dans un labyrinthe, non, le patron n'est pas qu'un salopard. Non, le patron n'est pas que quelqu'un animé par l'idée de broyer ses salariés. Lui aussi a des problèmes. Donc, à chaque fois, il y a l'idée qu'au dessus de vous, quelqu'un vous contraint à ne pas faire ce que vous auriez aimé faire.

Philippe Chauveau
Alors l'intrigue est bien ficelée, les thèmes sociétaux sont importants parce que forcément, ils nous ramènent à notre, à notre actualité et à notre époque contemporaine. Et puis, il y aussi la construction que vous avez choisi, ce sont des chapitres courts avec à chaque fois l'un des protagonistes, l'un des personnages qui est mis en lumière. Peut être peut on parler de certains de ces personnages ? Il y a entre autres Ronan, Emma, Carol, qui sont des ouvriers de cet abattoir. Comment les avez vous conçu ces personnages ? Est ce qu'ils sont nés de gens que vous avez pu croiser au fil de vos reportages ?


François-Xavier Ménage
Ils ont chacun des spécificités. Ronan est un taiseux qui souffre en silence. Emma est la seule qui arrive à dessiner des lignes puisqu'elle sort d'un bac et elle espère surtout pouvoir intégrer une école de commerce, la plus petite des écoles de commerce, celle qui coûte le moins cher à intégrer. Mais elle a cet espoir là. Et puis, il y a une femme qui, elle, est à la fin de son parcours professionnel et qui s'excuse pour les autres et qui jamais ne se permettrait de se plaindre par rapport à la tâche qui est la sienne, à savoir découper des porcs. Donc il y a voilà, une petite constellation de personnages qui évoluent chacun avec des douleurs qui sont indicibles pour la plupart. Mais avec cette idée que c'est difficile de communiquer sur des douleurs. Mais ils ont des liens qui vont, à la manière d'un labyrinthe, les amener peut être pas tout à fait là où ils avaient imaginé pouvoir aller.


Philippe Chauveau
Vous êtes conscient que, en abordant le thème de ces usines, de l'abattage d'animaux, de ces invisibles, des petites villes en déshérence, vous mettez le doigt sur des sujets qui font mal dans notre société ? Il y avait cette volonté aussi, en prenant la plume pour ce premier roman ? Vous aviez cette envie aussi de dénoncer ?


François-Xavier Ménage
Alors disons que...


Philippe Chauveau
Ou est ce que le mot est trop fort, dénoncer ?


François-Xavier Ménage
Je ne sais pas, je ne pense pas parce que je n'ai pas les épaules pour dénoncer, dans le cadre d'un roman, des conditions de travail que je n'ai pas vécues moi. Déjà, soyons honnêtes, c'est venu à moi parce que, et ça, c'est une réflexion plus profonde, je parlais tout à l'heure de la représentation, mais il y a aussi autre chose qui m'a animé dans ce roman, c'est que, en vérité, on n'est pas égaux, ça, c'est le moins qu'on puisse dire, face à la capacité à s'exprimer, puisqu'on parle de douleur et que ce sont des ouvriers qui ont une succession de douleurs qui sont quand même assez intenses. On n'est pas égaux face à ça. Certains savent très, très bien exprimer leur douleur ou celle des autres. Je pense par exemple à des hommes et des femmes politiques qui savent se faire le porte parole d'un tel ou d'une telle en évoquant cela dans leur bouche, dans leur expression orale. Et quand on n'a pas cette capacité à s'exprimer pour soi et pour les autres, eh bien, que fait on ? Comment évolue t-on entre guillemets ? Est ce que c'est si appréciable que cela de pouvoir évoquer ses souffrances ? Est ce que ça aide ? Et surtout quand on ne peut pas le faire, où est ce que ça nous amène ? Ça, c'était vraiment quelque chose qui moi m'animait.


Philippe Chauveau
Pensez vous que ce livre sera un marqueur, à la fois dans votre vie personnelle et dans votre parcours journalistique ? Est ce qu'il y aura un avant et un après le premier roman ?


François-Xavier Ménage
À l'intérieur de moi même, oui. Pour le reste, je ne sais pas. Je ne suis pas sûr. Mais à l'intérieur de moi même, oui, il y a un avant et un après. Il y a cette idée de se dire que voilà, il existe. Mais je veux être tout à fait honnête avec vous, là encore, quand j'ai terminé le livre, c'est le moment où j'ai été le plus heureux. Ce n'est pas quand il est sorti en librairie, c'est quand je l'ai fini, comme si le dialogue était vraiment entre moi et moi. Après, j'espère qu'il y aura beaucoup de lecteurs qui pourront y trouver du plaisir, bien sûr. Mais je parle vraiment d'un bonheur égoïste. D'avoir réussi à sortir ça, si je puis dire, à savoir cet univers qui était vraiment important pour moi.


Philippe Chauveau
Ce premier roman est une vraie réussite, avec déjà une écriture très maîtrisée, une intrigue bien ficelée. Puis ces thèmes qui viennent nous percuter aussi parce que l'intrigue est assez, est assez glaçante. Et puis il y a quand même un suspense aussi qui en fait un vrai plaisir de lecture. Ça s'appelle Les têtes baissées. François-Xavier Ménage, vous êtes publié chez Robert Laffont.


François Xavier Ménage
Merci beaucoup, merci infiniment.

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  • Vous connaissez son visage, vous connaissez sa voix. François-Xavier Ménage fait partie de cette nouvelle génération de journalistes qui comptent, de ceux qui ont ce petit plus pour faire vibrer l’actualité. Il y eut RMC, M6, BFMTV et aujourd’hui LCI et TF1.  Si François-Xavier Ménage est parfois en plateau, à la présentation des journaux télévisés, on le voit plus souvent sur le terrain puisqu’il est avant tout grand reporter, sillonnant la planète pour envoyer images et interview afin de nous faire mieux comprendre...Les têtes baissées de François-Xavier Ménage - Présentation - Suite
    Philippe ChauveauBonjour François-Xavier Ménage. François-Xavier MénageBonjour. Philippe ChauveauVous êtes dans l'actualité du livre chez Robert Laffont avec ce qui est votre premier roman, Les têtes baissées, je dis premier roman volontairement, puisque on vous connaît davantage en tant que journaliste enquêteur reporter. Il y a eu la radio, aujourd'hui c'est plus la télévision. Vous êtes un visage de LCI et de TF1. Pourquoi l'envie du journalisme ? Est ce que c'est un rêve de gamin ou ça vous tombe dessus...Les têtes baissées de François-Xavier Ménage - Portrait - Suite
    Philippe Chauveau Nous sommes donc dans une petite ville de province et le bandeau choisi par votre éditeur est frappant. Cette petite ville de province qui semble désertée. Il y a un abattoir "AgroPig", on abat des porcs. Et puis il y a tous ces invisibles qui travaillent. Il y a Emma, il y a Ronan, il y a Farid, il y a Carole. Et puis il y a aussi d'autres personnes qui gravitent autour. Il y a Bertrand, le Maire, il y a Marc, le patron, à la solde de cette grande société américaine, propriétaire de l'usine. On ne sait pas...Les têtes baissées de François-Xavier Ménage - Livre - Suite