Depuis son premier roman « Le voyage d’Octavio », en 2015, pour lequel il reçut le très convoité prix de la Vocation, Miguel Bonnefoy s’est fait une place bien à lui dans les librairies et chez les lecteurs. L’exubérance de ses histoires, la poésie et la flamboyance de son écriture mais surtout la générosité et la gentillesse de l’homme en ont fait un auteur au lectorat fidèle. Et chacun de ses nouveaux titres est attendu avec gourmandise et enthousiasme. Car s’il y a un style Bonnefoy, la surprise est toujours au...
Le rêve du jaguar de Miguel Bonnefoy - Présentation - Suite
PhilippeBonjour, Miguel Bonnefoy !
Miguel BonnefoyBonjour.
PhilippeL'inventeur, aux éditions Rivages. C'est un livre qui prend place dans une, déjà une jolie bibliographie maintenant. L'aventure se poursuit très agréablement et vous êtes souvent attendu par vos lecteurs, par les libraires. Vous avez su créer toute une chaîne de sympathie autour de vous. On va reparler de ce lien avec vos lecteurs parce que je sais que c'est important pour vous.Si je retrace très brièvement 2013, il y avait bien une nouvelle, Icare pour laquelle...
Le rêve du jaguar de Miguel Bonnefoy - Portrait - Suite
PhilippeDans ce nouveau titre Miguel Bonnefoy, L'inventeur, vous avez sorti de l'ombre un personnage authentique, ce qu'on pourrait appeler peut être un looser. On va voir s'il en est un ou pas, pour employer un anglicisme, Augustin Mouchot C'est un homme de la fin du XIXᵉ siècle. Il a toujours aimé bricoler. Et puis il va avoir une idée de génie. Il va se dire mais on peut sûrement utiliser l'énergie solaire, en faire quelque chose. Malheureusement, il ne va pas vraiment être écouté. Comment avez vous découvert Augustin...
Le rêve du jaguar de Miguel Bonnefoy - Livre - Suite
Miguel Bonnefoy
L'inventeur
Présentation 00'03'16"Depuis son premier roman « Le voyage d’Octavio », en 2015, pour lequel il reçut le très convoité prix de la Vocation, Miguel Bonnefoy s’est fait une place bien à lui dans les librairies et chez les lecteurs. L’exubérance de ses histoires, la poésie et la flamboyance de son écriture mais surtout la générosité et la gentillesse de l’homme en ont fait un auteur au lectorat fidèle. Et chacun de ses nouveaux titres est attendu avec gourmandise et enthousiasme. Car s’il y a un style Bonnefoy, la surprise est toujours au rendez-vous. Il y eut « Jungle », « Sucre noir », « Naufrages » un recueil de nouvelles, et plus récemment « Héritage ». A chaque fois, l’auteur nous emmène dans des contrées lointaines, à la rencontre de personnages hauts en couleurs qui cachent souvent des failles et creusent leurs sillons en gardant au cœur leurs racines familiales. Avec ce nouveau titre, « L’inventeur », changement de registre ? Oui et non. Oui car nous sommes cette fois-ci dans la France du milieu du XIXème siècle et le personnage que nous allons suivre est bien français. Mais non, car comme d’autres personnages imaginés par Miguel Bonnefoy précédemment, nous avons ici un homme qui va devoir se battre contre l’adversité, un perdant magnifique qui ira jusqu’en Algérie pour tenter d’exister. Cet homme, c’est Augustin Mouchot, il a réellement existé. Dans ce Second empire ouvert aux sciences, Mouchot, mathématicien et ingénieur, va s’intéresser à l’énergie solaire et créer le premier appareil de conversion. Mais à chaque fois qu’il présentera ses travaux, à chaque qu’il semblera approcher du succès, un évènement se mettre en travers de sa route et Mouchot ne connaitra jamais la notoriété à laquelle il aurait pu prétendre. Par la force des choses, on en sait peu sur la vie d’Augustin Mouchot. La tentation était donc grande pour le romancier de combler les vides de cette existence. Et quelle réussite ! Avec son talent de conteur et son imagination débridée, Miguel Bonnefoy nous entraine sur les traces de ce génie oublié, présentant son invention dans les provinces françaises jusqu’à l’exposition universelle de 1878. Quant à l’empereur Napoléon III qui le reçut quelques années plus tôt, il était tout prêt à aider cet inventeur qui jouait avec le soleil. Sauf que, le jour prévu, il tombait des cordes… Comme quoi, le destin tient à pas grand-chose. Bien sûr, Miguel Bonnefoy se permet des libertés avec la réalité même si ses recherches sur Mouchot ont été très poussées. Mais c’est bien là le propre d’une exofiction, inventer l’univers d’un personnage authentique sur lequel on possède peu d’éléments. Voilà le propos de ce nouveau livre que je vous recommande vivement. On y retrouve la fantaisie, l’originalité de l’écriture de Miguel Bonnefoy et on se prend d’amitié pour cet anti-héros magnifique qui, tel Icare, s’est approché trop près du soleil. Présent sur plusieurs listes de prix littéraires, lauréat du prix Patrimoine 2022, « L’inventeur » de Miguel Bonnefoy est publié chez Rivages.
Miguel Bonnefoy
L'inventeur
Portrait 00'08'04"Philippe
Bonjour, Miguel Bonnefoy !
Miguel Bonnefoy
Bonjour.
Philippe
L'inventeur, aux éditions Rivages. C'est un livre qui prend place dans une, déjà une jolie bibliographie maintenant. L'aventure se poursuit très agréablement et vous êtes souvent attendu par vos lecteurs, par les libraires. Vous avez su créer toute une chaîne de sympathie autour de vous. On va reparler de ce lien avec vos lecteurs parce que je sais que c'est important pour vous.
Si je retrace très brièvement 2013, il y avait bien une nouvelle, Icare pour laquelle vous aviez été primé. Et puis on vous a vraiment découvert en 2015 avec Le Voyage d'Octavio qui a reçu plusieurs prix, notamment le prix de la Vocation. Et puis ensuite Jungle, Sucre noir, Héritage pour arriver aujourd'hui à L'inventeur. Quel regard portez vous sur ce parcours, moi qui vous connais depuis 2015 ? Je me souviens de quelqu'un qui, qui vivait tout ça avec beaucoup d'humilité. Beaucoup de timidité peut être pas parce que ce n'est pas forcément dans votre caractère. En tout cas, vous prenez les choses avec une une douceur. Et aujourd'hui, alors, quel regard portez vous ?
Miguel Bonnefoy
Eh bien, c'est toujours le même. C'est à dire ? Je considère que je n'ai pas encore écrit le livre que j'aimerais réellement écrire et qui va me satisfaire entièrement. C'est comme si je voyais au loin qu'il y a un livre possible qui pourrait rassembler toutes mes obsessions, toutes mes vitesses, toutes mes passions. Il y a quelque chose qui pourrait comme ça condenser, cristalliser tout ce que j'ai en tête. Mais je n'arrive pas encore à savoir quel est le sujet, quel est l'angle, quelle est la musique, quelle est la note que je veux lui donner. Et c'est comme si ces autres livres étaient pour l'instant comme des arbres qui cachaient celui ci. J'ai besoin de les abattre pour pouvoir arriver à cette nouvelle vallée. Donc on va voir si ça va venir.
Philippe
Je me souviens que lors de notre première entretien, vous m'aviez dit "Je fais de la littérature et je ne fais qu'effleurer l'écriture". Vous direz toujours la même chose ?
Miguel Bonnefoy
Oui, complètement, complètement. J'ai vraiment l'impression d'être peu à peu en train de m'approcher de quelque chose qui pourra me ressembler de plus en plus. Mais je n'ai pas encore touché à ça. Je sens que petit à petit, livre après livre, j'arriverai, j'espère à ce camaïeu d'écriture que j'essaye de conquérir.
Philippe
Vous avez fait de vos racines une véritable richesse ? Je rappelle que votre votre père est chilien, votre maman est vénézuélienne, vous avez vous même. Vous êtes né à Paris, mais vous avez aussi pas mal voyagé. Il y a eu notamment le Portugal, entre autres. Vous avez été professeur de français. Et puis vos racines, plus européennes aussi, vous les explorer ? Ça a été une richesse cela, c'est ce qui a pu être déterminant pour votre envie de l'écriture ?
Miguel Bonnefoy
Oui, sans doute. La porosité entre les deux cultures, entre les deux traditions, entre les deux idiosyncrasies, que ce soit latino américaine ou que ce soit l'européenne. J'essaye comme je peux de tirer des deux côtés les forces et de voir si je peux en faire un cocktail intéressant. Pendant longtemps, j'ai cru qu'il y avait une sorte de déchirure à l'intérieur de moi et que, de la même manière que 8000 kilomètres d'eau salée séparent les deux continents, il y avait également une sorte d'océan dans mon cœur, j'observe aujourd'hui que c'est davantage un pont, c'est davantage une passerelle. Et encore une fois, j'essaie de voir si dans les livres, avec des allégories, avec des métaphores, avec des récits collectifs, je peux faire une sorte de fable à deux voix.
Philippe
Et alors ces racines aujourd'hui, vous direz qu'elles vous protègent ? Elles sont une sorte de rempart. Parfois, elles sont lourdes à porter ?
Miguel Bonnefoy
Et alors, non seulement elles sont un rempart, une forteresse qui me permet en effet de me protéger de certains patriotisme de frontière qui serait idiot, abstrait et absurde. Mais également, c'est quelque chose que j'essaie de reproduire à ma façon puisque j'ai eu des enfants, deux filles avec une femme qui est scandinave et celle qui a deux ans et demi, nous avons déjà vécu dans trois pays différents depuis sa naissance. Je me rends compte que bien que pendant certains moments dans mon enfance, j'ai pu y voir quelque chose de terrible, tous ces mouvements : j'observe que je suis en train de le reproduire.
Philippe
Les racines, la famille, la transmission. C'est ce que vous évoquez ? C'est ce qu'on retrouve très souvent dans vos livres. Au delà de ça, quel serait le fil rouge, que ce soit dans votre écriture ou que ce soit dans les sujets que vous abordez ? Alors, quand on connaît votre bibliographie, on sait qu'il y a souvent des petits clins d'œil, des rappels des personnages qu'on voit apparaître comme ça entre entre deux portes, mais s'il y a un fil rouge dans votre travail d'auteur, quel est il ?
Miguel Bonnefoy
C'est une très belle question. Et moi, bien sûr, je serais incapable de pouvoir en parler réellement. Je n'aurais pas la prétention de pouvoir sortir suffisamment loin de ce large tableau pour essayer d'y voir et les choses qu'on y retrouve. Toutefois, c'est étonnant d'aller de librairie en librairie, de rencontres en rencontres, d'interviews en interviews, et lorsqu'on parle avec les journalistes, avec les libraires ou avec les lecteurs, ce sont eux qui finissent par mettre en lumière des points communs qu'il y a entre les livres. Notamment, il n'y a pas longtemps, j'ai été en train de parler avec une femme extraordinaire, grande lectrice, qui avait pris une semaine pour lire tous mes livres et qui me dit : tout tes personnages sont des obsessionnels, tout tes personnages sont dans des entreprises désespérées et essaient de se lancer vers quelque chose qui les dépasse, qui va au delà d'eux mêmes. Et ce sont comme ça des espèces de personnages un peu icaresque, un peu prométhéen, qui essaient de voler vers un soleil qui, de toute façon, ne pourront pas attendre. Je trouvais ça très beau, en effet, et j'ai essayé de faire une sorte presque de jeu de miroir avec le travail de l'écrivain qui est lui aussi, pendant deux ans, trois ans, se lance dans un sujet, dans un thème, avec un personnage, avec des scènes d'une façon complètement obsessionnelle et qui fonce vers ce mur là pour essayer de saisir quelque chose sans véritablement y arriver, puisque lorsque le livre est publié en général ne ressemble en rien le livre que t'as imaginé. Donc publier un livre en quelque sorte c'est faire le deuil de la perfection.
Philippe
C'est vrai que dans votre, dans votre écriture, dans vos romans, il y a souvent le soleil, mais aussi une certaine noirceur et parfois une désespérance pour vos personnages. Quelle est aujourd'hui la place du romancier dans la société ? Justement, est ce que vous voulez retranscrire cela ? La lumière qui peut parfois éclairer l'ombre et peut être pallier à la désespérance de la société ?
Miguel Bonnefoy
Oui, j'aime beaucoup cette idée, en effet, de ombres et de lumière, de contrastes, de soleil noir. Je pense qu'il y a tout à fait quelque chose de ça. Essayer de le prendre, peut être est ce qu'il y a des affaires qui sont fissurées et essayer de les recoller à la lumière d'une nouvelle langue. Et ceci avec un, avec une nouvelle fable, avec un nouveau mythe, avec une nouvelle construction sociale qu'on peut donner. Je pense également de ce jeu un peu d'oxymore et de contradiction entre l'ombre et la lumière peut aussi se jouer sur l'ancien et le nouveau, c'est à dire que l'écrivain utilise des mots d'hier pour pouvoir parler du monde d'aujourd'hui ou du monde de demain. Il essaye de faire sans cesse un jeu dans lequel il tire des mots qui ont été enfouis dans les poubelles de l'histoire. Et là dessus, je pense à Dani Laferrière, qui essaye sans cesse de reprendre cette idée dans ses livres, mais également dans le travail qu'il fait dans l'académie de dire. L'écrivain est quelque part le trait d'union entre le monde d'hier et celui de demain.
Philippe
Ce trait d'union, vous vous le cultivez aussi avec votre public, vos lecteurs. Vous parliez des librairies ou vous avez régulièrement. Et je le disais en préambule, c'est vrai que vous avez tissé une relation d'amitié avec les libraires, avec les lecteurs et avec les journalistes aussi. Comment avez vous ? Comment cela vous apporte t il une facilité à l'écriture ? En quoi cela vous est il utile ?
Miguel Bonnefoy
Il me nourrissent absolument. Ils m'alimentent. J'insiste sur cette idée qu'ils finissent par comprendre mes livres beaucoup mieux que moi même. Et il me semble d'ailleurs que c'était Prévert qui disait Heureusement qu'après ma mort, les gens connaîtront mes poèmes bien mieux que moi même. Ça me fait penser à cette image de Jean Giono dans lequel on imagine que l'écrivain est comme un petit enfant qui fait une tour de caillou et qui est intéressé que par sa tour de Caillou, il ne se rend pas compte qu'il y a une lumière à côté qui créer une ombre de cette tour de cailloux et l'ombre est tellement plus vaste, tellement plus grande comme ça, qui ressemble à une sorte de grand clocher. Et c'est le lecteur qui finit par voir cette ombre, alors que l'écrivain est simplement en train de travailler sa structure narrative pour s'assurer qu'un caillou ne va pas briser toute la tour. Et je trouve très intéressant de voir que l'écrivain ne peut pas être seul dans sa tour d'ivoire, déconnecté des bruits confus du monde et être entièrement concentré sur son centre organique. Non, non, non, il doit être mêlé à la communauté des femmes et des hommes qui lisent et qui comprennent beaucoup mieux ce qu'il fait que lui même.
Philippe
Votre actualité Miguel Bonnefoy. C'est aux éditions Rivages, L'inventeur.
Miguel Bonnefoy
L'inventeur
Livre 00'08'15"Philippe
Dans ce nouveau titre Miguel Bonnefoy, L'inventeur, vous avez sorti de l'ombre un personnage authentique, ce qu'on pourrait appeler peut être un looser. On va voir s'il en est un ou pas, pour employer un anglicisme, Augustin Mouchot C'est un homme de la fin du XIXᵉ siècle. Il a toujours aimé bricoler. Et puis il va avoir une idée de génie. Il va se dire mais on peut sûrement utiliser l'énergie solaire, en faire quelque chose. Malheureusement, il ne va pas vraiment être écouté. Comment avez vous découvert Augustin Mouchot ? Et pourquoi ce personnage vous a t il inspiré ?
Miguel Bonnefoy
Eh bien, je l'ai découvert tout à fait par hasard en regardant une série documentaire qui s'appelait Le Cosmos de Neil deGrasse Tyson. C'est une série documentaire sur la vulgarisation en planétologie, sur l'astrophysique. Et brusquement, dans un épisode, alors qu'il était en train de parler du soleil qui faisait l'éventail des différents inventeurs, découvreurs et scientifiques qui ont essayé d'étudier l'astre ultime, tout à coup il se met à parler entre deux virgule au XIXᵉ siècle, d'un homme, un certain Augustin Mouchot. Avec sa moustache en guidon, avec son nœud papillon qui, lors de L'exposition universelle de 1878, serait parvenu à faire un bloc de glace avec la seule force de la lumière, avec la seule force du soleil. Pour la première fois de l'histoire, un homme comme ça était parvenu à faire du froid avec du chaud.
Philippe
Alors ce qui est incroyable, c'est que cet homme fils de serrurier et professeur de mathématiques, qui aurait pu rester dans sa province, va s'approcher finalement du firmament puisqu'il va même être présenté à l'empereur Napoléon III. Et puis donc sa présence à l'exposition de 1878 aurait pu lui ouvrir grandes les portes. Et puis non patatras ! Finalement, ça ne va pas se passer comme ça. Ensuite, il va partir en Algérie, mais ça ne va pas bien se passer non plus. Il va faire de mauvaises rencontres. C'est en ça que je disais que c'était peut être un malchanceux. Pour employer un terme plus plus français. C'est ce qui vous a touché aussi chez lui ?
Miguel Bonnefoy
Absolument. D'abord, ce qui m'a touché a été le paradoxe. C'est à dire, vous dites très bien ce personnage austère, froid, flegmatique, sévère, qui qui renfourni en lui même, qui est ramolli par la vie, qui vient d'une famille de serruriers qui ont rien à voir ni avec la science, ni avec la lumière, ni avec la chaleur du monde qui, tout à coup, s'intéresse dans son opposé, qui s'intéresse à tout ce qui est contre lui, à tout son contraire. Je trouvais que le paradoxe était très beau et qu'il était un personnage qui pouvait être fouiller, un récit qui pouvait être intéressant. Et pour faire peut être un personnage inspirant pour le XXIᵉ siècle.
Philippe
Alors ce qui est intéressant au fil de la lecture, c'est qu'on se pose la question est ce que c'est authentique ou est ce que c'est une invention de l'auteur ? Juste une question, à un moment, la fameuse machine qui va être présentée à l'empereur, on lui donne un nom, on décide de l'appeler Octave. Alors ça, c'est authentique ou c'est un petit clin d'œil à l'un des précédents titres ?
Miguel Bonnefoy
C'est absolument un clin d'œil et j'avais lu que les inventeurs et les scientifiques aimaient donner de temps en temps des noms à leurs machines. Donc, fatalement, je me suis dit qu'il fallait que je trouve un nom parce que ça permettait aussi de caractériser la machine et lui donner une épaisseur de personnage. Parallèlement à ça, j'étais en train de lire Suétone et donc la biographie d'Auguste 1er qui disait que Auguste 1er qui s'appelait Octave, était si beau que même le soleil devait baisser les yeux devant lui. Donc j'ai fait tout simplement un croisement entre les deux en me disant, je vais faire en sorte que la machine s'appelle Octave parce que c'est une machine solaire. Donc le soleil plie le genou devant lui. En me permettant la coquetterie de faire une petite traboule avec mon premier roman qui s'appelle Le Voyage d'Octavio, et d'imaginer que l'ouvrier qui a travaillé sur la machine Octave finit au Venezuela malgré lui, rencontre une jeune fille dans un bidonville et ils auront un enfant qui s'appellera Octavio.
Philippe
Et ça, ce sont les petits clins d'œil que vous aimés disséminés pour faire des passerelles. Et alors, forcément, lorsqu'on lit, on est donc au milieu du XIXᵉ siècle, il y a L'exposition universelle de 1878. Et mais c'est finalement un précurseur. Il est né, il est né un siècle trop tôt, Augustin Mouchot. Parce que aujourd'hui, sans son invention, finalement, c'est peut être ce qui va nous sauver absolument.
Miguel Bonnefoy
Alors il est né un peu trop tôt. Vous avez raison. Et d'un autre côté, il est exactement là ou il doit être, c'est à dire qu'il n'est pas le père du photovoltaïque. Donc fatalement, s'il était né, peut être aujourd'hui, il aurait fait d'autres inventions, son invention et quelque part, c'est là ou il y a un pied de nez avec le titre, c'est qu'il n'a rien inventé en quelque sorte. Il n'a fait que coupler deux machines. Il a couplé sa machine solaire qui, elle, permet de bouillir de l'eau, faire de la vapeur et donc actionner une machine à vapeur pour pouvoir faire un système de dynamo. Son travail a été de jongler avec une invention qui existait déjà avec une autre, celle de Horace Bénédict de Saussure, qui avait été le premier à faire une marmite solaire et de coupler un petit peu au rabelais avec James Watt si on considère que c'est le père de la machine à vapeur.
Philippe
Néanmoins, c'est vrai que puisque aujourd'hui nous sommes à la recherche de nouvelles sources d'énergie et que le solaire est l'une des pistes, c'est vrai qu'Augustin Mouchot, c'est finalement un lien avec cette époque.
Miguel Bonnefoy
À la lumière de cette époque en effet. Il apparaît tout à coup comme un précurseur, comme un pionnier, comme un des premiers à s'être rendu compte que le charbon étant salissant, le charbon étant épuisable et le charbon étant cher, lorsqu'on devait l'acheter à l'Angleterre, il était possible de trouver une nouvelle énergie qui soit plus propre, qui soit plus verte et qui soit plus responsable. Mais bien sûr, ces mots sont anachroniques par rapport au temps de Mouchot. Donc aujourd'hui on se rend bien compte qu'il avait vu quelque chose et heureusement, il y a beaucoup de Augustin Mouchot encore aujourd'hui qui sont en train de lancer l'alerte. Des activistes et des militants qui montrent en effet que cet homme l'avait vue depuis le début.
Philippe
Alors, vous donnez chair à ce personnage que l'histoire avait oublié. Vous lui donnez une vie, un destin là ou vous l'expliquez vous même. C'était quelqu'un de plutôt terne. Vous expliquez un peu comment fonctionne sa machine. Alors il y a un côté technique, mais il y a aussi tellement de poésie dans votre écriture que tout ça est très, très fluide. Comment avez vous travaillé votre écriture ? Est ce que dès le départ, vous saviez ou vous vouliez aller ? Ou est ce qu'à un moment, Augustin Mouchot s'est peut être penché sur votre épaule en disant : Voilà, c'est comme ça que je suis, raconte mon histoire. Est ce qu'il était présent avec vous ?
Miguel Bonnefoy
Il était un peu présent avec moi ? C'est vrai. Et d'un autre côté, je dois reconnaître que j'avais une forme de froideur avec lui. Parce qu'étant un homme peu séduisant, peu charismatique, peu intéressant. Et nous, il ne s'est pas non plus assis comme ça était à côté de moi et ma murmurait à l'oreille le roman, comme l'ont fait d'autres personnages dans mes livres et dans lesquels je me suis senti beaucoup plus proche.
Il y a eu ça et il y a eu également énormément de recherches, énormément d'archives que j'ai fait ici et là, que ce soit en effet à Tours, que ce soit à Dijon, que ce soit à Aix en Provence, que soit sur Gallica.fr Et donc j'ai constitué comme une hagiographie, comme une chronologie du personnage où j'avais d'une façon très exacte tout ce qu'il avait fait ou presque heure après heure, ou est ce qu'il avait été ?
Et mon travail a été ensuite celui de trouver une petite musique, une partition qui n'avait rien à voir avec le style 19ᵉ très très Zola, très très Balzac pour pouvoir justement l'appliquer au personnage.
Philippe
Et au terme finalement de l'écriture. Puisque le livret est là maintenant, on peut estimer qu'il n'y a pas de hasard. Pourquoi était il évident que Miguel Bonnefoy allait rencontrer Augustin Mouchot ?
Miguel Bonnefoy
Peut être, en effet, pour faire la traboule pour le prochain livre dont il y a bien entendu des liens qui sont tissés pour le prochain. Et peut être aussi pour me rendre compte que je pouvais sortir de l'Amérique latine, que je pouvais également faire un livre très français, très très Compiègne comme ça, très Napoléon III, très MacMahon. Donc ça aussi, ça a été un exercice assez intéressant. Et puis se lancer le défi d'imaginer qu'en tombant par hasard sur un documentaire, sur l'astrophysique et sur un découvreur, on peut en sortir un livre d'un homme qui semble complètement oublié par l'histoire.
Philippe
Merci Miguel Bonnefoy de nous surprendre à chaque fois et de nous entraîner dans des aventures incroyables avec votre plume tellement poétique et picaresque. Miguel Bonnefoy Votre actualité, ça s'appelle L'inventeur. C'est un livre formidable que je vous recommande vivement. C'est aux éditions Rivages. Merci.
Miguel Bonnefoy
Merci beaucoup.