Miguel Bonnefoy

Miguel Bonnefoy

L'inventeur

Portrait 00'08'04"

Philippe
Bonjour, Miguel Bonnefoy !

Miguel Bonnefoy
Bonjour.

Philippe
L'inventeur, aux éditions Rivages. C'est un livre qui prend place dans une, déjà une jolie bibliographie maintenant. L'aventure se poursuit très agréablement et vous êtes souvent attendu par vos lecteurs, par les libraires. Vous avez su créer toute une chaîne de sympathie autour de vous. On va reparler de ce lien avec vos lecteurs parce que je sais que c'est important pour vous.
Si je retrace très brièvement 2013, il y avait bien une nouvelle, Icare pour laquelle vous aviez été primé. Et puis on vous a vraiment découvert en 2015 avec Le Voyage d'Octavio qui a reçu plusieurs prix, notamment le prix de la Vocation. Et puis ensuite Jungle, Sucre noir, Héritage pour arriver aujourd'hui à L'inventeur. Quel regard portez vous sur ce parcours, moi qui vous connais depuis 2015 ? Je me souviens de quelqu'un qui, qui vivait tout ça avec beaucoup d'humilité. Beaucoup de timidité peut être pas parce que ce n'est pas forcément dans votre caractère. En tout cas, vous prenez les choses avec une une douceur. Et aujourd'hui, alors, quel regard portez vous ?

Miguel Bonnefoy
Eh bien, c'est toujours le même. C'est à dire ? Je considère que je n'ai pas encore écrit le livre que j'aimerais réellement écrire et qui va me satisfaire entièrement. C'est comme si je voyais au loin qu'il y a un livre possible qui pourrait rassembler toutes mes obsessions, toutes mes vitesses, toutes mes passions. Il y a quelque chose qui pourrait comme ça condenser, cristalliser tout ce que j'ai en tête. Mais je n'arrive pas encore à savoir quel est le sujet, quel est l'angle, quelle est la musique, quelle est la note que je veux lui donner. Et c'est comme si ces autres livres étaient pour l'instant comme des arbres qui cachaient celui ci. J'ai besoin de les abattre pour pouvoir arriver à cette nouvelle vallée. Donc on va voir si ça va venir.

Philippe
Je me souviens que lors de notre première entretien, vous m'aviez dit "Je fais de la littérature et je ne fais qu'effleurer l'écriture". Vous direz toujours la même chose ?

Miguel Bonnefoy
Oui, complètement, complètement. J'ai vraiment l'impression d'être peu à peu en train de m'approcher de quelque chose qui pourra me ressembler de plus en plus. Mais je n'ai pas encore touché à ça. Je sens que petit à petit, livre après livre, j'arriverai, j'espère à ce camaïeu d'écriture que j'essaye de conquérir.

Philippe
Vous avez fait de vos racines une véritable richesse ? Je rappelle que votre votre père est chilien, votre maman est vénézuélienne, vous avez vous même. Vous êtes né à Paris, mais vous avez aussi pas mal voyagé. Il y a eu notamment le Portugal, entre autres. Vous avez été professeur de français. Et puis vos racines, plus européennes aussi, vous les explorer ? Ça a été une richesse cela, c'est ce qui a pu être déterminant pour votre envie de l'écriture ?

Miguel Bonnefoy
Oui, sans doute. La porosité entre les deux cultures, entre les deux traditions, entre les deux idiosyncrasies, que ce soit latino américaine ou que ce soit l'européenne. J'essaye comme je peux de tirer des deux côtés les forces et de voir si je peux en faire un cocktail intéressant. Pendant longtemps, j'ai cru qu'il y avait une sorte de déchirure à l'intérieur de moi et que, de la même manière que 8000 kilomètres d'eau salée séparent les deux continents, il y avait également une sorte d'océan dans mon cœur, j'observe aujourd'hui que c'est davantage un pont, c'est davantage une passerelle. Et encore une fois, j'essaie de voir si dans les livres, avec des allégories, avec des métaphores, avec des récits collectifs, je peux faire une sorte de fable à deux voix.

Philippe
Et alors ces racines aujourd'hui, vous direz qu'elles vous protègent ? Elles sont une sorte de rempart. Parfois, elles sont lourdes à porter ?

Miguel Bonnefoy
Et alors, non seulement elles sont un rempart, une forteresse qui me permet en effet de me protéger de certains patriotisme de frontière qui serait idiot, abstrait et absurde. Mais également, c'est quelque chose que j'essaie de reproduire à ma façon puisque j'ai eu des enfants, deux filles avec une femme qui est scandinave et celle qui a deux ans et demi, nous avons déjà vécu dans trois pays différents depuis sa naissance. Je me rends compte que bien que pendant certains moments dans mon enfance, j'ai pu y voir quelque chose de terrible, tous ces mouvements : j'observe que je suis en train de le reproduire.

Philippe
Les racines, la famille, la transmission. C'est ce que vous évoquez ? C'est ce qu'on retrouve très souvent dans vos livres. Au delà de ça, quel serait le fil rouge, que ce soit dans votre écriture ou que ce soit dans les sujets que vous abordez ? Alors, quand on connaît votre bibliographie, on sait qu'il y a souvent des petits clins d'œil, des rappels des personnages qu'on voit apparaître comme ça entre entre deux portes, mais s'il y a un fil rouge dans votre travail d'auteur, quel est il ?

Miguel Bonnefoy
C'est une très belle question. Et moi, bien sûr, je serais incapable de pouvoir en parler réellement. Je n'aurais pas la prétention de pouvoir sortir suffisamment loin de ce large tableau pour essayer d'y voir et les choses qu'on y retrouve. Toutefois, c'est étonnant d'aller de librairie en librairie, de rencontres en rencontres, d'interviews en interviews, et lorsqu'on parle avec les journalistes, avec les libraires ou avec les lecteurs, ce sont eux qui finissent par mettre en lumière des points communs qu'il y a entre les livres. Notamment, il n'y a pas longtemps, j'ai été en train de parler avec une femme extraordinaire, grande lectrice, qui avait pris une semaine pour lire tous mes livres et qui me dit : tout tes personnages sont des obsessionnels, tout tes personnages sont dans des entreprises désespérées et essaient de se lancer vers quelque chose qui les dépasse, qui va au delà d'eux mêmes. Et ce sont comme ça des espèces de personnages un peu icaresque, un peu prométhéen, qui essaient de voler vers un soleil qui, de toute façon, ne pourront pas attendre. Je trouvais ça très beau, en effet, et j'ai essayé de faire une sorte presque de jeu de miroir avec le travail de l'écrivain qui est lui aussi, pendant deux ans, trois ans, se lance dans un sujet, dans un thème, avec un personnage, avec des scènes d'une façon complètement obsessionnelle et qui fonce vers ce mur là pour essayer de saisir quelque chose sans véritablement y arriver, puisque lorsque le livre est publié en général ne ressemble en rien le livre que t'as imaginé. Donc publier un livre en quelque sorte c'est faire le deuil de la perfection.

Philippe
C'est vrai que dans votre, dans votre écriture, dans vos romans, il y a souvent le soleil, mais aussi une certaine noirceur et parfois une désespérance pour vos personnages. Quelle est aujourd'hui la place du romancier dans la société ? Justement, est ce que vous voulez retranscrire cela ? La lumière qui peut parfois éclairer l'ombre et peut être pallier à la désespérance de la société ?

Miguel Bonnefoy
Oui, j'aime beaucoup cette idée, en effet, de ombres et de lumière, de contrastes, de soleil noir. Je pense qu'il y a tout à fait quelque chose de ça. Essayer de le prendre, peut être est ce qu'il y a des affaires qui sont fissurées et essayer de les recoller à la lumière d'une nouvelle langue. Et ceci avec un, avec une nouvelle fable, avec un nouveau mythe, avec une nouvelle construction sociale qu'on peut donner. Je pense également de ce jeu un peu d'oxymore et de contradiction entre l'ombre et la lumière peut aussi se jouer sur l'ancien et le nouveau, c'est à dire que l'écrivain utilise des mots d'hier pour pouvoir parler du monde d'aujourd'hui ou du monde de demain. Il essaye de faire sans cesse un jeu dans lequel il tire des mots qui ont été enfouis dans les poubelles de l'histoire. Et là dessus, je pense à Dani Laferrière, qui essaye sans cesse de reprendre cette idée dans ses livres, mais également dans le travail qu'il fait dans l'académie de dire. L'écrivain est quelque part le trait d'union entre le monde d'hier et celui de demain.

Philippe
Ce trait d'union, vous vous le cultivez aussi avec votre public, vos lecteurs. Vous parliez des librairies ou vous avez régulièrement. Et je le disais en préambule, c'est vrai que vous avez tissé une relation d'amitié avec les libraires, avec les lecteurs et avec les journalistes aussi. Comment avez vous ? Comment cela vous apporte t il une facilité à l'écriture ? En quoi cela vous est il utile ?

Miguel Bonnefoy
Il me nourrissent absolument. Ils m'alimentent. J'insiste sur cette idée qu'ils finissent par comprendre mes livres beaucoup mieux que moi même. Et il me semble d'ailleurs que c'était Prévert qui disait Heureusement qu'après ma mort, les gens connaîtront mes poèmes bien mieux que moi même. Ça me fait penser à cette image de Jean Giono dans lequel on imagine que l'écrivain est comme un petit enfant qui fait une tour de caillou et qui est intéressé que par sa tour de Caillou, il ne se rend pas compte qu'il y a une lumière à côté qui créer une ombre de cette tour de cailloux et l'ombre est tellement plus vaste, tellement plus grande comme ça, qui ressemble à une sorte de grand clocher. Et c'est le lecteur qui finit par voir cette ombre, alors que l'écrivain est simplement en train de travailler sa structure narrative pour s'assurer qu'un caillou ne va pas briser toute la tour. Et je trouve très intéressant de voir que l'écrivain ne peut pas être seul dans sa tour d'ivoire, déconnecté des bruits confus du monde et être entièrement concentré sur son centre organique. Non, non, non, il doit être mêlé à la communauté des femmes et des hommes qui lisent et qui comprennent beaucoup mieux ce qu'il fait que lui même.

Philippe
Votre actualité Miguel Bonnefoy. C'est aux éditions Rivages, L'inventeur.

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