C’est un historien de l’art que nous recevons aujourd’hui. Thierry Savatier est spécialiste du XIXème siècle. Outre les nombreuses conférences qu’il donne un peu partout, on lui doit plusieurs ouvrages dont une biographie d’Apollonie Sabatier, qui fut l’une des passions amoureuse de Baudelaire. Citons aussi une édition critique sur l’œuvre érotique de Théophile Gautier sans oublier cet essai consacré à Gustave Courbet et à son tableau « L’origine du monde ».
Thierry Savatier est d’ailleurs devenu au fil du temps le spécialiste incontesté de Gustave Courbet à qui il a consacré de nombreuses recherches. Et ses travaux sur ce tableau emblématiques sont étudiés par tous les spécialistes de l’art pictural du XIXème siècle.
C’est à un autre génie de la peinture que s’attaque Thierry Savatier dans son nouveau livre. Avec « Picasso, ce volcan jamais éteint », il nous présente l’artiste dans son intimité et sa fragilité. Et pour être au plus près du peintre, l’auteur a sollicité Roland Dumas qui fut à la fois l’ami et l’avocat de Picasso. S’ensuit un ouvrage relatant les échanges entre Thierry Savatier et Roland Dumas au sujet du maître espagnol. On adhère complètement, on a vraiment l’impression de participer à la conversation et surtout, on apprend mille et cent choses sur Picasso, ses proches, ses amis et ses ennemis et sa passion pour la peinture. Le livre revient aussi sur le retour du fameux tableau Guernica en Espagne en 1981, un transfert pour lequel Roland Dumas fut mandaté et qu’il raconte sans ambages.
Pas besoin d’être féru de peinture ou d’histoire de l’Art, cet essai est surtout un portrait sans détour de Picasso dans son quotidien et c’est passionnant. Un livre que je vous recommande particulièrement. « Picasso, ce volcan jamais éteint » de Thierry Savatier et Roland Dumas, est publié aux éditions Bartillat.

Philippe Chauveau : Bonjour Thierry Savatier

Thierry Savatier : Bonjour Philippe

Philippe Chauveau : Vous êtes dans l'actualité avec ce livre aux éditions Bartillat : « Picasso, ce volcan jamais éteint », c'est un livre que vous avez co-signé avec Roland Dumas, mais c'est avant tout à l'historien de l'art que j'ai envie de m'adresser. Comment et pourquoi devient-on historien de l'art ? Est-ce une passion qui remonte à l'enfance ?

Thierry Savatier : Oui c'est une passion qui remonte à l'enfance. J'ai eu dans ma famille un certain nombre d'artistes, en particulier au XIXe siècle avec Appolonie Sabatier qui n'était pas une artiste elle-même mais qui était très proche de Baudelaire, de Flaubert, de Théophile Gautier. C'était déjà une première approche. J'avais aussi un arrière grand oncle, Aimé Perret, qui était un peintre dont Van Gogh a écrit qu'il l'avait influencé, ce qui, pour un petit maitre du XIXe, est un petit moment de gloire ! J'ai toujours été bercé par ce milieu artistique et c'était pour moi un centre d'intérêt très important.

Philippe Chauveau : Pensez-vous que ces attaches familiales vous ont incité inconsciemment à devenir vous-même historien de l'art ?

Thierry Savatier : C'est possible, et il y avait une passion de toutes façons que j'ai depuis l'enfance par rapport à l'art, à la littérature, surtout la littérature du XIXe et du XXe donc oui je pense que ça a eu une influence.

Philippe Chauveau : Le XIXe siècle est votre période de prédilection. Vous avez écrit sur Appolonie Sabatier, il y a eu aussi un livre sur l'écriture érotique de Théophile Gautier et vous êtes maintenant reconnu comme l'un des spécialistes si ce n'est le spécialiste de Gustave Courbet, notamment pour son tableau L'Origine du monde. Pourquoi cet intérêt pour le XIXe siècle ? C'est plus la deuxième du XIXe siècle qui vous intéresse ?

Thierry Savatier : C'est plus la deuxième moitié : 1830-1880.

Philippe Chauveau : C'est la période de tous les possibles ?

Thierry Savatier : C'est la période où beaucoup de choses changent, et en particulier grâce à Gustave Courbet, il y a un Art avant Courbet et un Art après Courbet. C'est vraiment un point d'articulation très important notamment parce que Courbet a fait sauter un à un tous les verrous des conventions de l'art classique. C'est aussi cet aspect révolutionnaire qui m'intéresse chez Courbet.

Philippe Chauveau : Pourquoi êtes-vous touché par Gustave Courbet? Et pourquoi êtes-vous touché particulièrement par cette œuvre à laquelle vous avez consacré un essai L'Origine du monde ?

Thierry Savatier : Courbet est un personnage qui a complètement révolutionné l'art de son époque et L'Origine du monde en est sûrement la preuve la plus évidente. Il y a aussi les très grandes toiles comme Un enterrement à Ornans ou l'Atelier du peintre, où Courbet fait sauter tous les verrous de la tradition qui voulait qu'une scène de genre soit réduite à des formats très petits et lui va peindre des toiles énormes qui étaient réservées aux scènes historiques, religieuses ou allégoriques. L'Origine du monde est vraiment le pivot de la représentation du sexe de la femme dans l'Art. Depuis la Grèce antique jusqu'à Courbet, le sexe de la femme n'est jamais représenté et Courbet, avec une toile qui n'est pas très grande mais hautement symbolique, va faire basculer tout cela. Après L'Origine du monde, on représente vraiment la femme dans son intégralité, et c'est un rôle considérable que Courbet a joué dans l'histoire de l'Art.

Philippe Chauveau : Quel regard, l'historien de l'art que vous êtes aujourd'hui, porte-t-il sur la création contemporaine ?

Thierry Savatier : Je suis très intéressé par la création contemporaine et je suis régulièrement les évolutions à travers des expositions et des contacts avec des artistes. D'ailleurs, c'est assez curieux parce qu'habituellement, un historien de l'art travaille sur des artistes morts, et je suis très content de voir qu'un certain nombre d'artistes contemporains me contactent en particulier par rapport à L'Origine du monde et nous travaillons ensemble. Donc, cela me permet de suivre l'évolution de leurs mouvements, je suis très intéressé par l'art contemporain.

Philippe Chauveau : Vous êtes dans l'actualité Thierry Savatier avec ce livre co-signé avec Roland Dumas « Picasso, ce volcan jamais éteint », vous êtes publié aux éditions Bartillat.

Philippe Chauveau : Thierry Savatier, on connait l'historien de l'art que vous êtes et le spécialiste de Gustave Courbet et de L'Origine du monde mais on ne s'attendait peut être pas à vous voir signer un livre sur Picasso puisque l'on arrive dans notre époque contemporaine, livre que vous avez co-signé avec Roland Dumas. Pourquoi Picasso et pourquoi ce livre ?

Thierry Savatier : Pourquoi Picasso ? Parce que, bien que spécialisé dans le XIXe siècle, j'ai toujours eu un très grand intérêt pour Picasso que je considère comme le plus grand artiste du XXe siècle et d'ailleurs le XIXe siècle artistique se termine à la première guerre mondiale, ce qui veut dire que Picasso appartient aussi au XIXe siècle puisqu'en 1914, après sa période d'apprentissage, on a la période bleue, la période rose et le cubisme. Aussi, une grande part de son œuvre appartient chronologiquement au XIXe siècle.

Philippe Chauveau : Si je vous entends bien, il y a un lien avec vos travaux précédents mais pourquoi ce livre ?

Thierry Savatier : Le lien avec les travaux précédents c'est L'Origine du monde. Je travaille à un documentaire sur Gustave Courbet et sur L’Origine du monde et j'avais très envie de recueillir le témoignage de Roland Dumas parce que c'était l'un des témoins qui avait vu le tableau chez Jacques Lacan lorsqu'il en était le propriétaire. J'avais déjà lu un certain nombre de livres de souvenirs de Roland Dumas et j'ai pris conscience très vite que Roland Dumas était, par rapport à Picasso, un grand témoin et que cela allait même plus loin s'agissant de Guernica. Son rôle était unique dans l'histoire de l'art, c'est le seul exemple où le plus grand peintre de son siècle donnait mandat à une personne de veiller sur le destin du tableau le plus célèbre du même siècle, Guernica, et je me suis dit que ce serait très intéressant d'évoquer toute cette épopée avec lui qui a été l'ami et l'avocat de Picasso dans les dernières années de sa vie c'est à dire entre 1967 et 1973. Je lui ai proposé ce projet et il a immédiatement accepté.

Philippe Chauveau : Pourquoi avoir fait le choix d'un livre d'entretiens ?

Thierry Savatier : L'idée du dialogue entre un historien et un grand témoin s'imposait d'elle-même. L'historien a une vision à la fois du peintre, de son œuvre et de la chronologie qui ne correspond pas forcément à ce que le grand témoin a pu voir, ressentir. Donc, cela nous paraissait intéressant d'établir ce dialogue sur ce dernier Picasso. Roland Dumas a mis à ma disposition, et c'était la première fois qu'il le faisait, l'ensemble de ses archives concernant Picasso. Je venais chez lui régulièrement et j'avais d'énormes dossiers qu'il m'avait préparés. J'ai donc dépouille l'ensemble de ces archives. Cela a pris un certain nombre de mois. A partir de là, nous avons élaboré un plan pour le livre qui est articulé en treize chapitres et j'ai commencé à mettre au point des questions, les archives servant à nourrir ces questions. Nous avons discuté ensemble parce qu'il y avait certains aspects sur lesquels il voulait s'exprimer et ensuite nous sommes passés à la phase d'entretiens que j'ai enregistrés. Une fois les entretiens enregistrés, je suis revenu dans le calme de ma campagne et j'ai tout saisi sur informatique et je lui ai envoyé chaque chapitres pour qu'il puisse les relire.

Philippe Chauveau : Quel regard aviez-vous sur l'oeuvre de Picasso, sur le personnage que fut Picasso et en quoi votre vision a-t-elle, peut-être, changée au contact de Roland Dumas ?

Thierry Savatier : J'avais la vision que l'historien peut avoir sur un artiste, tout en ayant vraiment un intérêt pour l'artiste, j'aime énormément l'oeuvre de Picasso. Ce que j'ai découvert à travers ces échanges avec Roland Dumas, c'est l'humanité du personnage, l'humanité étant pris dans son sens global. A la fois des aspects très positifs, c'est un personnage qui avait beaucoup d'humour, qui était truculent etc. mais aussi des aspects plus négatifs notamment dans les relations qu'il a entretenues avec ses enfants, quand il leur interdisait l'accès à sa maison par exemple. Mais c'est l'humanité du personnage que j'ai vraiment découverte, sans oublier un certain nombre de confidences que Roland Dumas a pu faire et qui se trouvent dans le livre. Cela donne une image globale du personnage Picasso au-delà du monstre sacré.

Philippe Chauveau : C'est un livre passionnant qui nous permet de découvrir Picasso différemment, que l'on soit féru d'art ou pas, on découvre un être humain tout simplement. « Picasso, ce volcan jamais éteint » aux éditions Bartillat. Merci.