Minh Tran Huy

Minh Tran Huy

Les inconsolés

Portrait 00'06'01"

Philippe Chauveau :

Bonjour Minh Tran Huy, merci d'avoir accepté notre invitation. Votre actualité, chez Actes Sud, « Les inconsolés », votre quatrième roman. Une histoire qui suit gentiment son chemin. Le livre a toujours fait partie de votre vie. Est-ce vrai que, toute petite, vous aviez déjà envie, vous rêviez d'être écrivain, écrivaine?


Minh Tran Huy :

Oui ! En fait, quand j'étais petite, j'adorais les livres. Je pense que très tôt, j'ai été sensible au fait que j'étais d'origine étrangère. Il y a une phrase de Georges Perec que j'aime beaucoup et qui pourrait servir d’exergue à pas mal de mes livres : " Quelque part, je suis étranger par rapport à quelque chose de moi-même ; quelque part, je suis « différent », mais non pas différent des autres, différent des « miens » : je ne parle pas la langue que mes parents parlèrent, je ne partage aucun des souvenirs qu’ils purent avoir, quelque chose qui était à eux, qui faisait qu’ils étaient eux, leur histoire, leur culture, leur espoir, ne m’a pas été transmis ". Il y avait quelque chose de cet ordre puisque je venais d'un monde différent de celui des parents. J'ai d'abord parlé vietnamien, ensuite j'ai appris le français, et le français a un peu effacé le vietnamien. Je me sentais aussi différente de mes camarades de classe et je pense que ce sentiment de différence et d'isolement a fait que je me suis mise à lire beaucoup lu et alors, j'ai trouvé un endroit où je me sentais chez moi. Je me suis dit que ce serait super si je pouvais, moi aussi, écrire des histoires, créer des histoires et partager ça avec d'autres personnes.


Philippe Chauveau :

Si je vous entends bien, le livre est une sorte d'évasion ou, en tout cas, a été une sorte d'évasion dans votre dans votre enfance, un lieu de protection. Est-ce toujours le cas aujourd'hui ? Vous sentez vous protégée par le livre ?


Minh Tran Huy :

Je pense que le livre est effectivement un havre. Nous vivons dans un monde où tout va beaucoup trop vite, où nous sommes sans cesse sollicités, où l’on est sans cesse stressé. Pour moi, le livre est une parenthèse enchantée dans ce monde-là. C'est pour cela que j'ai décidé d'en faire ma vie et mon travail, alors oui, c'est un refuge. Ce n'est pas une tour d'ivoire, c'est un endroit où l’on va pour mieux revenir au monde. Je pense qu'on lit aussi pour mieux lire le monde, pour mieux lire les personnes qui vous entourent, pour mieux lire les caractères, pour mieux lire la façon dont la société fonctionne, pour mieux lire la façon dont votre aimée, votre ami ou votre ennemi pense. Je pense que les livres nous aident à ça.


Philippe Chauveau :

La littérature faisait-elle partie de cette double culture dans laque lle vous avez grandi ? Avez-vous pu ouvrir des livres de différentes origines ? Des auteurs asiatiques, vietnamiens, vous ont-ils fait grandir ou est-ce essentiellement la littérature française ou francophone qui a été à vos côtés ? Quels sont les auteurs qui vous font avancer ?


Minh Tran Huy :

Initialement, c'est quand même la littérature française. J'ai parlé d'abord vietnamien, mais ensuite j'ai appris le français à l'école. Et finalement, quand on me demande si je suis vietnamienne ou française, je dis toujours française à cause de la langue. J'utilise la langue française. J'ai lu des livres en français, je n'ai pas lu de livre en vietnamien. Je suis à peine lettrée en vietnamien, c'est à dire que je peux déchiffrer vaguement des choses mais je ne peux pas lire un livre. Si la littérature vietnamienne m'a influencée, c'est plutôt par tradition orale, par les contes.


Philippe Chauveau :

Il me semble qu'il y a deux Minh Tran Huy. Il y a celle qui travaille dans le monde du livre en tant que critique littéraire. Vous l'avez été notamment pendant dix ans au Magazine littéraire et vous êtes encore journaliste littéraire aujourd'hui. Vous travaillez pour certaines maisons d'édition. Et puis, il y a l'autre femme que vous êtes, qui est elle-même écrivaine. Faites-vous une distinction entre les deux personnages? Finalement, n'y a-t-il qu'une seule Minh tran Huy qui s'épanouit dans les livres, que ce soit ceux des autres, que ce soit les siens?


Minh Tran Huy :

C'est vrai que, quand je lis, il y a cet aspect de refuge. Mais quand j'écris, c'est quand même beaucoup moins confortable. Cela demande beaucoup plus, c'est plus douloureux, cela demande beaucoup plus de temps. C'est quand même un affrontement. Donc, je dirais que les tâches n'ont rien à voir. Après, je suis aussi un écrivain qui travaille énormément à partir de références existantes. Et tous mes livres se donnent aussi comme des jeux, des renvois, une chambre d'écho à des dizaines, voire des centaines de références littéraires ou cinématographiques ou picturales. C’est comme ça que je fonctionne parce que j'ai un peu l'impression qu'en écrivant, on établit un dialogue avec des personnes qui sont mortes, mais qui ont écrit des livres avec lesquelles on peut continuer de dialoguer.


Philippe Chauveau :

Dans cet ouvrage, comme dans les précédents, il y a quand même un fil rouge, un point commun à tous vos écrits, ce sont vos racines vietnamiennes, la culture vietnamienne, qui sont toujours plus ou moins présentes. Est-ce une façon, par l'écriture romanesque notamment, de faire la paix, en quelque sorte, avec ces deux pays, la France et le Vietnam ? Vous connaissez certes un peu moins le Vietnam, sur lequel a plané tant de mystères pendant votre enfance mais, par l'écriture, tentez-vous d'apaiser tout ça?


Minh Tran Huy :

Je pense que l'écriture appartient à un processus de réconciliation, pas forcément entre les deux pays, mais de manière plus générale avec le monde. Je pense d'ailleurs que beaucoup d'auteurs écrivent aussi pour ça, pour mieux se réconcilier avec le monde, parce que, d'une façon ou d'une autre, ils se sentent décalés par rapport au monde. Ils sont inadaptés, que ce soit par rapport à leur famille, par rapport à leurs amis, par rapport à leurs camarades de classe ou à leur classe sociale. Je pense que le livre est une fonction et une façon de réfléchir, une façon de comprendre et une façon finalement de suturer un peu de cette béance. Est-ce que la double culture en tant que telle est une souffrance pour moi ? Je pense qu'elle est plutôt une métaphore de ça.


Philippe Chauveau :

Votre actualité Minh Tran Huy, c'est votre quatrième titre chez Actes Sud, « Les inconsolés ».

  • PRÉSENTATION
  • PORTRAIT
  • LIVRE
  • Née en France, Minh Tran Huy a néanmoins toujours grandi avec la culture vietnamienne à portée de main, transmise par sa grand-mère. Dans une adolescence où elle a du mal à se construire, la lecture devient pour elle un refuge. Très tôt, Minh Tran Huy sait que le livre aura une place essentielle dans son existence. Aussi, après de hautes études, c’est finalement en tant que journaliste littéraire qu’on la retrouve, notamment au Magazine littéraire, pendant plusieurs années, puis chroniqueuse pour des émissions de...Les inconsolés de Minh Tran Huy - Présentation - Suite
    Philippe Chauveau : Bonjour Minh Tran Huy, merci d'avoir accepté notre invitation. Votre actualité, chez Actes Sud, « Les inconsolés », votre quatrième roman. Une histoire qui suit gentiment son chemin. Le livre a toujours fait partie de votre vie. Est-ce vrai que, toute petite, vous aviez déjà envie, vous rêviez d'être écrivain, écrivaine? Minh Tran Huy : Oui ! En fait, quand j'étais petite, j'adorais les livres. Je pense que très tôt, j'ai été sensible au fait que j'étais d'origine étrangère. Il y a une phrase...Les inconsolés de Minh Tran Huy - Portrait - Suite
    Philippe Chauveau : Dans ce nouveau titre, Minh Tran Huy, nous allons faire connaissance avec deux personnages principaux, il y en a d'autres qui vont graviter au fil des pages, mais il y a surtout ce jeune couple formé par Lise et Louis. Deux personnages qui, finalement, n'auraient peut-être jamais dû se rencontrer puisque tout les sépare. Qui sont-ils? Lise et Louis. Comment sont-ils nés dans votre imagination ? Minh Tran Huy : Louise est une jeune fille métisse. Sa mère est française. Son père est vietnamien. Elle a des...Les inconsolés de Minh Tran Huy - Livre - Suite