Née en France, Minh Tran Huy a néanmoins toujours grandi avec la culture vietnamienne à portée de main, transmise par sa grand-mère. Dans une adolescence où elle a du mal à se construire, la lecture devient pour elle un refuge. Très tôt, Minh Tran Huy sait que le livre aura une place essentielle dans son existence. Aussi, après de hautes études, c’est finalement en tant que journaliste littéraire qu’on la retrouve, notamment au Magazine littéraire, pendant plusieurs années, puis chroniqueuse pour des émissions de...
Les inconsolés de Minh Tran Huy - Présentation - Suite
Philippe Chauveau :
Bonjour Minh Tran Huy, merci d'avoir accepté notre invitation. Votre actualité, chez Actes Sud, « Les inconsolés », votre quatrième roman. Une histoire qui suit gentiment son chemin. Le livre a toujours fait partie de votre vie. Est-ce vrai que, toute petite, vous aviez déjà envie, vous rêviez d'être écrivain, écrivaine?
Minh Tran Huy :
Oui ! En fait, quand j'étais petite, j'adorais les livres. Je pense que très tôt, j'ai été sensible au fait que j'étais d'origine étrangère. Il y a une phrase...
Les inconsolés de Minh Tran Huy - Portrait - Suite
Philippe Chauveau :
Dans ce nouveau titre, Minh Tran Huy, nous allons faire connaissance avec deux personnages principaux, il y en a d'autres qui vont graviter au fil des pages, mais il y a surtout ce jeune couple formé par Lise et Louis. Deux personnages qui, finalement, n'auraient peut-être jamais dû se rencontrer puisque tout les sépare. Qui sont-ils? Lise et Louis. Comment sont-ils nés dans votre imagination ?
Minh Tran Huy :
Louise est une jeune fille métisse. Sa mère est française. Son père est vietnamien. Elle a des...
Les inconsolés de Minh Tran Huy - Livre - Suite
Minh Tran Huy
Les inconsolés
Présentation 00'02'00"Née en France, Minh Tran Huy a néanmoins toujours grandi avec la culture vietnamienne à portée de main, transmise par sa grand-mère. Dans une adolescence où elle a du mal à se construire, la lecture devient pour elle un refuge. Très tôt, Minh Tran Huy sait que le livre aura une place essentielle dans son existence. Aussi, après de hautes études, c’est finalement en tant que journaliste littéraire qu’on la retrouve, notamment au Magazine littéraire, pendant plusieurs années, puis chroniqueuse pour des émissions de télévision consacrées au livre.
En 2007 parait son premier roman, « La princesse et le pêcheur » largement inspiré des contes vietnamiens de son enfance.
Les racines de Minh Tran Huy sont d’ailleurs le fil rouge de la plupart de ses livres. C’est le cas, ici encore, avec « Les inconsolés ».
Lise, d’origine vietnamienne a un brillant parcours scolaire et intègre un prestigieux établissement parisien. Mais elle n’est pas issue des classes sociales aisées des autres élèves. Il n’empêche, Louis, né avec une cuillère en argent dans la bouche, tombe amoureux d’elle. C’est un beau roman, c’est une belle histoire mais parfois, les contes de fées se terminent mal et les gentilles marraines se révèlent être des sorcières jetant le mauvais sort. Le roman s’ouvre d’ailleurs avec un corps dans un étang et un couple sur la berge. Voilà tout le talent de Minh Tran Huy. Portée par une écriture ciselée et littéraire, elle nous raconte ici une histoire à faire froid dans le dos, un roman choral dont on ne sait jamais vraiment qui est le narrateur, une histoire de prince et de bergère qui vire au cauchemar. Mais derrière tout cela, c’est nous raconte le destin d’une enfant mal aimée qui se rêvait autre, les barrières sociales infranchissables, les origines familiales qui nous collent à la peau et les histoires d’amour vouées à l’échec dans lesquelles on s’embarque malgré tout.
« Les inconsolés » de Minh Tran Huy est publié chez Actes Sud.
Minh Tran Huy
Les inconsolés
Portrait 00'06'01"Philippe Chauveau :
Bonjour Minh Tran Huy, merci d'avoir accepté notre invitation. Votre actualité, chez Actes Sud, « Les inconsolés », votre quatrième roman. Une histoire qui suit gentiment son chemin. Le livre a toujours fait partie de votre vie. Est-ce vrai que, toute petite, vous aviez déjà envie, vous rêviez d'être écrivain, écrivaine?
Minh Tran Huy :
Oui ! En fait, quand j'étais petite, j'adorais les livres. Je pense que très tôt, j'ai été sensible au fait que j'étais d'origine étrangère. Il y a une phrase de Georges Perec que j'aime beaucoup et qui pourrait servir d’exergue à pas mal de mes livres : " Quelque part, je suis étranger par rapport à quelque chose de moi-même ; quelque part, je suis « différent », mais non pas différent des autres, différent des « miens » : je ne parle pas la langue que mes parents parlèrent, je ne partage aucun des souvenirs qu’ils purent avoir, quelque chose qui était à eux, qui faisait qu’ils étaient eux, leur histoire, leur culture, leur espoir, ne m’a pas été transmis ". Il y avait quelque chose de cet ordre puisque je venais d'un monde différent de celui des parents. J'ai d'abord parlé vietnamien, ensuite j'ai appris le français, et le français a un peu effacé le vietnamien. Je me sentais aussi différente de mes camarades de classe et je pense que ce sentiment de différence et d'isolement a fait que je me suis mise à lire beaucoup lu et alors, j'ai trouvé un endroit où je me sentais chez moi. Je me suis dit que ce serait super si je pouvais, moi aussi, écrire des histoires, créer des histoires et partager ça avec d'autres personnes.
Philippe Chauveau :
Si je vous entends bien, le livre est une sorte d'évasion ou, en tout cas, a été une sorte d'évasion dans votre dans votre enfance, un lieu de protection. Est-ce toujours le cas aujourd'hui ? Vous sentez vous protégée par le livre ?
Minh Tran Huy :
Je pense que le livre est effectivement un havre. Nous vivons dans un monde où tout va beaucoup trop vite, où nous sommes sans cesse sollicités, où l’on est sans cesse stressé. Pour moi, le livre est une parenthèse enchantée dans ce monde-là. C'est pour cela que j'ai décidé d'en faire ma vie et mon travail, alors oui, c'est un refuge. Ce n'est pas une tour d'ivoire, c'est un endroit où l’on va pour mieux revenir au monde. Je pense qu'on lit aussi pour mieux lire le monde, pour mieux lire les personnes qui vous entourent, pour mieux lire les caractères, pour mieux lire la façon dont la société fonctionne, pour mieux lire la façon dont votre aimée, votre ami ou votre ennemi pense. Je pense que les livres nous aident à ça.
Philippe Chauveau :
La littérature faisait-elle partie de cette double culture dans laque lle vous avez grandi ? Avez-vous pu ouvrir des livres de différentes origines ? Des auteurs asiatiques, vietnamiens, vous ont-ils fait grandir ou est-ce essentiellement la littérature française ou francophone qui a été à vos côtés ? Quels sont les auteurs qui vous font avancer ?
Minh Tran Huy :
Initialement, c'est quand même la littérature française. J'ai parlé d'abord vietnamien, mais ensuite j'ai appris le français à l'école. Et finalement, quand on me demande si je suis vietnamienne ou française, je dis toujours française à cause de la langue. J'utilise la langue française. J'ai lu des livres en français, je n'ai pas lu de livre en vietnamien. Je suis à peine lettrée en vietnamien, c'est à dire que je peux déchiffrer vaguement des choses mais je ne peux pas lire un livre. Si la littérature vietnamienne m'a influencée, c'est plutôt par tradition orale, par les contes.
Philippe Chauveau :
Il me semble qu'il y a deux Minh Tran Huy. Il y a celle qui travaille dans le monde du livre en tant que critique littéraire. Vous l'avez été notamment pendant dix ans au Magazine littéraire et vous êtes encore journaliste littéraire aujourd'hui. Vous travaillez pour certaines maisons d'édition. Et puis, il y a l'autre femme que vous êtes, qui est elle-même écrivaine. Faites-vous une distinction entre les deux personnages? Finalement, n'y a-t-il qu'une seule Minh tran Huy qui s'épanouit dans les livres, que ce soit ceux des autres, que ce soit les siens?
Minh Tran Huy :
C'est vrai que, quand je lis, il y a cet aspect de refuge. Mais quand j'écris, c'est quand même beaucoup moins confortable. Cela demande beaucoup plus, c'est plus douloureux, cela demande beaucoup plus de temps. C'est quand même un affrontement. Donc, je dirais que les tâches n'ont rien à voir. Après, je suis aussi un écrivain qui travaille énormément à partir de références existantes. Et tous mes livres se donnent aussi comme des jeux, des renvois, une chambre d'écho à des dizaines, voire des centaines de références littéraires ou cinématographiques ou picturales. C’est comme ça que je fonctionne parce que j'ai un peu l'impression qu'en écrivant, on établit un dialogue avec des personnes qui sont mortes, mais qui ont écrit des livres avec lesquelles on peut continuer de dialoguer.
Philippe Chauveau :
Dans cet ouvrage, comme dans les précédents, il y a quand même un fil rouge, un point commun à tous vos écrits, ce sont vos racines vietnamiennes, la culture vietnamienne, qui sont toujours plus ou moins présentes. Est-ce une façon, par l'écriture romanesque notamment, de faire la paix, en quelque sorte, avec ces deux pays, la France et le Vietnam ? Vous connaissez certes un peu moins le Vietnam, sur lequel a plané tant de mystères pendant votre enfance mais, par l'écriture, tentez-vous d'apaiser tout ça?
Minh Tran Huy :
Je pense que l'écriture appartient à un processus de réconciliation, pas forcément entre les deux pays, mais de manière plus générale avec le monde. Je pense d'ailleurs que beaucoup d'auteurs écrivent aussi pour ça, pour mieux se réconcilier avec le monde, parce que, d'une façon ou d'une autre, ils se sentent décalés par rapport au monde. Ils sont inadaptés, que ce soit par rapport à leur famille, par rapport à leurs amis, par rapport à leurs camarades de classe ou à leur classe sociale. Je pense que le livre est une fonction et une façon de réfléchir, une façon de comprendre et une façon finalement de suturer un peu de cette béance. Est-ce que la double culture en tant que telle est une souffrance pour moi ? Je pense qu'elle est plutôt une métaphore de ça.
Philippe Chauveau :
Votre actualité Minh Tran Huy, c'est votre quatrième titre chez Actes Sud, « Les inconsolés ».
Minh Tran Huy
Les inconsolés
Livre 00'06'39"Philippe Chauveau :
Dans ce nouveau titre, Minh Tran Huy, nous allons faire connaissance avec deux personnages principaux, il y en a d'autres qui vont graviter au fil des pages, mais il y a surtout ce jeune couple formé par Lise et Louis. Deux personnages qui, finalement, n'auraient peut-être jamais dû se rencontrer puisque tout les sépare. Qui sont-ils? Lise et Louis. Comment sont-ils nés dans votre imagination ?
Minh Tran Huy :
Louise est une jeune fille métisse. Sa mère est française. Son père est vietnamien. Elle a des origines sociales modestes, ses parents sont à l’origine des petits paysans. Et puis, ils ont fait des études scientifiques et grâce à ça, ils ont accédé finalement sur le papier à la bourgeoisie intellectuelle puisqu'ils sont devenus ingénieurs. Mais ils n'ont jamais acquis les codes de cette bourgeoisie intellectuelle, c'est à dire qu'ils ne lisaient pas, n'allaient pas au musée… Ils se tiennent, ils parlent, ils pensent encore comme les paysans qu'ils étaient. Lise, elle prend le palier suivant comme sa soeur. Elle fait des études littéraires et intègre un établissement parisien dont on comprend que c'est une fabrique à élites. C'est pour moi une façon de réécrire aussi les personnages de contes à travers elle. Elle se rêvait princesse quand elle était petite parce qu'elle vivait dans un lotissement et, à deux pas de chez elle, il y avait un domaine en ruines, un château en ruine auquel elle a beaucoup rêvé. Elle était très différente de ses parents, elle était une enfant plutôt mal aimée et assez disgracieuse. Évidemment, elle fantasmait sur le fait qu'un jour, son prince viendrait et que tout changerait par un coup de baguette magique. Elle aurait alors la belle robe, le château et le prince charmant !
Philippe Chauveau :
C'est là que Louis arrive…
Minh Tran Huy :
Quand ils se rencontrent, c'est un coup de foudre. Louis fait son apparition à une terrasse de café et ils ne savent rien l'un de l'autre. Ensuite, ils vont découvrir l'un et l'autre qu’ils n'appartiennent pas du tout au même monde. Non seulement, ils viennent de classes sociales très différentes mais, en fait, ils ont aussi des visions du monde qui sont opposées. Leurs valeurs respectives n'ont rien à voir et sont opposées. Le problème, c'est qu'ils s'aiment immensément. Et la question que pose le livre, c'est de savoir si la passion sexuelle et amoureuse peut transcender les différences de cultures et de classes, puisque Louis, lui, est un rejeton de la haute bourgeoisie et s'est jamais remis en question. La vie est pour lui une course à la réussite. Il faut avoir le meilleur et être le meilleur, un point, c'est tout. Et de toute façon, tout a été déjà disposé pour qu'il accomplisse le chemin qu'on a déjà effectivement tracé pour lui.
Philippe Chauveau :
Justement, pour Louis, tout est tracé, là où Lise a toujours besoin de se remettre en question parce qu'elle doute énormément d'elle-même, au-delà de la différence sociale et de cet amour fou. Le roman est construit en différentes parties. D'abord un roman sociétal avec deux jeunes gens qui se rencontrent et qui s'aiment. C'est la première chose. Après, on entre dans l'esprit du conte parce que c'est un peu la bergère qui rencontre son prince charmant. Et ce château en ruine va pourrait abriter leurs amours, allez savoir… Et puis, après, d'une autre façon, et on ne trahira pas l'intrigue, on va verser un peu plus dans une sorte de thriller avec d'autres personnages qui vont apparaître. Le livre que vous avez produit au final ressemble-t-il à celui que vous aviez imaginé écrire au départ ?
Minh Tran Huy :
Oui, je pense que j'ai réussi à faire ce que je voulais à la fin. Et c'est vrai que moi, d'emblée, ce que j'avais en tête, c'est la première scène du roman où l'on avait déjà des éléments de polar, des éléments de conte et le fait qu'il s'agissait d'une histoire d'amour qui n’avait, à priori, pas très bien fini. Donc, tout était déjà dans cette scène. En fait, au début, il y a ce corps au fond d'un lac, c'est la pleine lune ; il y a un château en arrière-plan et un couple sur la berge. Donc, a priori, c'est assez énigmatique. On va remonter le temps pour savoir ce qui s'est passé, mais on ne sait pas qui est le corps et on ne sait pas qui est le potentiel assassin. De ce fait, j'ai hésité pendant tout le temps où j'ai réfléchi à ça avant de trouver. Et, à partir de ce moment, oui, j'avais déjà l'idée d'un livre à deux voix. Je voulais un personnage qui parlerait à la première personne et une autre voix qui apparaîtrait comme étant à la troisième personne, une narration omnisciente, avant qu'on ne découvre que c'est peut-être quelqu'un d'autre qui s’exprime et c'est pour ça que ça s'appelle « l'autre ». Je savais aussi que je voulais parler des différences sociales. Je savais aussi que je voulais jouer avec des archétypes du conte, que j'allais jouer avec les cultures des deux pays, même si l'autre pays, le Vietnam, n'est jamais nommé dans le roman.
Philippe Chauveau :
J'aime bien quand vous dites : "J'ai joué avec ceci, j'ai joué avec cela en écriture", parce qu’on sent que vous prenez plaisir à brouiller les pistes pour votre lecteur, justement avec ces deux voix. Il y a Lise qui nous parle, et puis il y a l'Autre, l'Autre qui nous raconte l'histoire d'une autre façon, un peu comme si le lecteur avait deux livres en un. On n'est pas tout à fait dans le même temps. Il y a un petit décalage entre les deux histoires qui nous sont racontées et donc deux regards différents.
Minh Tran Huy :
J'aime beaucoup les récits à deux voix. Avec des voix différentes, cela permet de jouer avec les lecteurs. On peut les égarer et on peut s'amuser avec les fausses pistes. C'est ce que j'ai fait là comme dans mes romans précédents, c'est jouer avec l'attente, avec les points de vue, ce que les Anglo-Saxons appellent les unreliable narrators, c'est à dire que vous décidez, parce qu'on vous raconte une histoire, de croire la personne qui vous la raconte. Mais cette personne peut mentir, peut aussi se tromper. Donc, je joue avec ça.
Philippe Chauveau :
C'est l'histoire d'un amour tragique, une histoire d'amour dramatique, un conte de fées qui ne se termine pas forcément très, très, très bien. Lise et Louis, finalement, on sait dès le départ qu'il va y avoir un caillou dans ce couple. Ce sont eux les inconsolés. Voilà un roman d'une grande puissance, portée par une intrigue habilement menée et surtout, une très belle écriture. C'est votre actualité Minh Tran Huy. Ça s'appelle Les inconsolés. Et votre livre est publié aux éditions Actes Sud. Merci beaucoup.