Agrégée de lettres classiques, journaliste, Irène Frain est aujourd'hui un auteur majeur de la littérature française. Avec plus d'une quarantaine de titres à son actif, son succès ne s'est jamais démenti depuis « Le nabab » en 1982.C'est souvent à travers la grande Histoire oubliée et les destins hors du commun qu'Irène Frain puise les sujets de ses livres. « Les naufragés de l'île Tromelin » en 2009 racontait le sort de ces esclaves abandonnés sur une île déserte après le naufrage de leur bateau au XVIIIème siècle....
Ecrire est un roman d'Irène Frain - Présentation - Suite
Philippe Chauveau :« La fille à histoire » votre actualité, aux édition du Seuil. C'est un jolie parcours si l'on remonte un peu le fil du temps, ce que vous savez si bien faire. Le premier grand succès de librairie c'est « Le Nabab » en 1982 ; depuis vous êtes restée très présente dans le paysage littéraire. Lorsque vous regardez un peu en arrière, lorsque que vous regardez dans le rétroviseur, quelles sont les images fortes qui reviennent. Irène Frain :Je crois que le plus important, c'est de durer parce que quand on a...
Ecrire est un roman d'Irène Frain - Portrait - Suite
Philippe Chauveau :Vous avez su garder, Irène Frain, cet émerveillement de l'enfance, vous le dites vous-même. Pourtant, cette enfance n'a pas toujours été facile. Vous nous avez déjà parlé de votre enfance, de votre famille dans « La maison de la source », «Secret de famille » et encore «sortie de rien». Voici « La fille à histoires » où là, c'est votre mère que vous mettez à l'honneur en quelque sorte. Vous nous racontez cette histoire, un peu conflictuelle, un peu difficile en elle-même. Irène Frain :Elle a...
Ecrire est un roman d'Irène Frain - Livre - Suite
Irène Frain
La fille à histoires
Présentation 1'58Agrégée de lettres classiques, journaliste, Irène Frain est aujourd'hui un auteur majeur de la littérature française. Avec plus d'une quarantaine de titres à son actif, son succès ne s'est jamais démenti depuis « Le nabab » en 1982.
C'est souvent à travers la grande Histoire oubliée et les destins hors du commun qu'Irène Frain puise les sujets de ses livres. « Les naufragés de l'île Tromelin » en 2009 racontait le sort de ces esclaves abandonnés sur une île déserte après le naufrage de leur bateau au XVIIIème siècle. On évoquera aussi « Beauvoir in love », « La forêt des 29 », « Devi », « Gandhi la libeté en marche » ou plus récemment « Marie Curie prend un amant ».
Plusieurs fois aussi, Irène Frain a puisé à la source de ses propres souvenirs pour expliquer comment l'écriture lui a ouvert les portes d'un monde insoupçonné. Et à chaque fois, que ce soit dans « Secret de famille », « La maison de la source », « Sorti de rien », l'auteur a su, à travers son histoire, entrainer le lecteur vers ses recoins les plus intimes afin qu'il puisse lui-aussi grandir de ses souvenirs personnels.
Dans son nouveau titre « La fille à histoires », Irène Frain nous raconte sa mère, leur relation difficile, conflictuelle. « Ma mère aurait bien voulu m'aimer, écrit-elle, elle n'a pas pu ». Loin d'être un récit à charge, l'auteur nous présente ici sa mère, dénuée de sentiments à l'égard de sa fille, arrivée par accident, comme on disait alors.
Nous entrainant dans la tendre nostalgie de son enfance, ouvrant la grande malle à souvenirs du grenier familial, Irène Frain, entre sensibilité et sourire, raconte sa rébellion, sa soif d'ailleurs, sa lutte pour exister aux yeux de cette mère non aimante. Elle nous dit surtout comment cette expérience personnelle l'a forgée et lui a permis d'être celle qu'elle est aujourd'hui.
« La fille à histoires » d'Irène Frain est publié aux éditions du Seuil.
Irène Frain
La fille à histoires
Portrait 6'43Philippe Chauveau :
« La fille à histoire » votre actualité, aux édition du Seuil. C'est un jolie parcours si l'on remonte un peu le fil du temps, ce que vous savez si bien faire. Le premier grand succès de librairie c'est « Le Nabab » en 1982 ; depuis vous êtes restée très présente dans le paysage littéraire. Lorsque vous regardez un peu en arrière, lorsque que vous regardez dans le rétroviseur, quelles sont les images fortes qui reviennent.
Irène Frain :
Je crois que le plus important, c'est de durer parce que quand on a un grand succès au début d'une carrière et très jeune, c'est très difficile. Souvent, un succès est un malentendus, on peut dire « c'est une fabricante de best-seller » ! Donc, je ne l'ai pas très bien vécu. Aussi, les images fortes ne sont-elles pas nécessairement les images de grand succès. Pour moi, les images fortes, ce sont les images d'enquête c'est à dire rencontrer l'Inde à l'occasion du « Nabab », puisque j'étais allée sur place, ce qui se faisait très peu à l'époque, pour reconstituer le parcours de ce jeune mousse breton qui était devenue nabab à l'issue d'une épopée incroyable. J'avais ces mémoires et je me prends de façon frontale l'Inde qui vous démêlent immédiatement et quand je reviens je m'aperçois que je suis une narratrice.
Philippe Chauveau :
C'était déclencheur ?
Irène Frain :
Ah oui, vous savez l'inde, la « mère » Inde, elle ne vous fait pas de quartier !
Philippe Chauveau :
Il y a quand même aussi, me semble-t-il, un point commun avec votre premier métier d'enseignante, c'est le goût du partage et le goût de la transmission, parce que c'est toujours cela dans vos livres.
Irène Frain :
Oui, je crois que je suis authentique à ce que j'étais. J'étais un professeur heureux, j'ai même formé des professeurs. Quand je revois mes élèves, je leur demande si ce n'était pas trop pénible avec moi parce que quand on est professeur, on sème et on ne sait pas ce qu'on va récolter. Apparemment, ils sont à peu près unanimes... Je crois que j'avais un don pour la transmission mais j'ai aussi un père qui était doué pour la transmission. Lui-même était enseignant pour les adultes mais il était bon pédagogue. Donc, ce n'est pas du tout théorique, j'ai reproduit ce que j'ai vu faire tout simplement et puis je crois beaucoup au rôle social des livres et de la culture
Philippe Chauveau :
Si je reviens à votre bibliographie, en mettant de côté les ouvrages dans lesquels vous parlez de vous et de votre famille, vous avez cherché, au-delà de la transmission et de votre rôle de conteuse, à toujours sortir de l'oubli des personnages de l'Histoire. Pourquoi ce goût de sortir de l'oubli ces gens-là ?
Irène Frain :
Parce qu'il y a une injustice fondamentale surtout depuis quelques décennies c'est à dire qu'on ne fonctionne qu'avec des icônes : Marilyne, De Gaulle, Mâo, Che Guevara… Alors, ce peut être pour moi chercher les pans insoupçonnés de ces personnages, je l'ai fait avec « Beauvoir », « Marie Curie » mais aussi l'Histoire est faite par des anonymes, les oubliés de l'histoire, sans qui ces icônes n'auraient pas pu être ce qu'elles sont. L'Histoire avec un grand « H » est faite d'histoires avec des petits « h »mais qui sont ces gens qui ne sont pas nécessairement reconnus ?
Philippe Chauveau :
En quoi, dans l'auteur que vous êtes devenue aujourd'hui, peut-on retrouver la petite fille que vous avez été?
Irène Frain :
C'est vrai que certains qui me connaissent un peu disent toujours « Irène, tu es toujours une petite fille ». C'est vrai que je m'émerveille toujours et que je m'enthousiasme toujours et que je ne suis pas dans la prudence parisienne. Je suis comme je suis, spontanée ! Je trouve qu'il y a beaucoup d'énergie dans mes livres. J'économise ces prudences, ces masques parce que c'est très fatigant de porter des masques. Donc, je suis restée fidèle à l'enfant que j'ai été et plus le temps passe plus j'y suis fidèle parce que les ombres s'allongent et c'est du temps perdu. Les enfants portent en eux une vérité et une grâce, j'aime beaucoup les enfants. Rester fidèle à son enfance ne veut pas dire être irresponsable, je suis une femme très responsable, je réfléchis toujours avant d'agir et je pense que chaque acte est dans les intentions de l'acte, ça c'est très important ! Je suis responsable par rapport à ma famille ; s'il y a quelqu'un de malade je monte au front, s'il y a quelqu'un qui ne va pas bien j'estime que c'est de mon devoir de mère et de grand-mère, puisque je suis grand-mère, de monter au front avec les instruments que j'ai, l'expérience que j'ai et la responsabilité c'est aussi de le faire en délicatesse parce qu'on arrive jamais par la violence, ça c'est une responsabilité, la responsabilité d'être diplomate et aussi de voir et de choisir le moment où il faut parler, c'est exactement la même chose en amitié.
Philippe Chauveau :
Votre actualité, Irène Frain « La fille à histoire » vous êtes publiée aux éditions du Seuil.
Irène Frain
La fille à histoires
Livre 6'33Philippe Chauveau :
Vous avez su garder, Irène Frain, cet émerveillement de l'enfance, vous le dites vous-même. Pourtant, cette enfance n'a pas toujours été facile. Vous nous avez déjà parlé de votre enfance, de votre famille dans « La maison de la source », «Secret de famille » et encore «sortie de rien». Voici « La fille à histoires » où là, c'est votre mère que vous mettez à l'honneur en quelque sorte. Vous nous racontez cette histoire, un peu conflictuelle, un peu difficile en elle-même.
Irène Frain :
Elle a été difficile pour des raisons très simples : les circonstances de ma naissance ressemblaient à celle d'une mort car j'étais censée mourir, j'ai survécu et ma mère ne m'avait pas souhaitée. C'était même plus douloureux encore son secret ! Elle n'avait pas compris qu'elle était enceinte et donc je suis arrivée dans la vie de ces gens qui peinaient à survivre dans la Bretagne des années 50, qui vivaient comme beaucoup de gens : cinq personnes dans une pièce unique en terre battue. Mon père, à cette époque, n'avait qu'un petit salaire et faisait beaucoup de troc pour survivre.
Parce que le pays, la Bretagne, était très pauvre à l'époque, il s'est beaucoup enrichi depuis.
Philippe Chauveau :
C'est peut-être surtout le manque d'amour qui vous a fait le plus souffrir ?
Irène Frain :
Voilà ! Moi, c'est le manque d'amour. Ce n'est pas qu'elle ne voulait pas m'aimer c'est qu'elle ne pouvait pas m'aimer. Mais c'est souvent comme ça dans ces naissances entourées d'un déni de grossesse ; il y a une impossibilité à aimer l'enfant. Maintenant, ces mères sont entourées, il y a des psys qui les gardent souvent dans des services mère-enfant.
Philippe Chauveau :
Au milieu de ce conflit avec votre mère il y a quand même la petite Soisic, la fille des voisins. Il y a aussi ce monde merveilleux où vous vous réfugiez dans votre grenier avec ces femmes que vous découpez dans les magazines qui sont des mères de substitution.
Irène Frain :
Oui, il y a la blonde, l'élégante, donc la mère que je n'ai pas ! La mienne est vielle avant l'âge, elle n'a pas le courage d'être élégante du tout et elle est totalement dépressive, elle n'est pas bien dans sa peau. Donc, j'invente des dialogues sur mes premiers romans sans savoir que j'écris. En plus, l'écrit était un sujet tabou. Chez nous, les écrivains étaient vénérés comme des dieux ; on n'accèderait jamais à ça car on était trop pauvre. Donc, je m'invente un monde et j'y suis bien. Il y a un autre échappatoire, c'est l'école où je peux lire autant que je veux. Donc, je commence à arriver un quart d'heure avant l'ouverture de l'école, qu'il pleuve qu'il vente, puis une demi-heure et parfois trois quart d'heure… Donc, c'est l'histoire d'un merveilleux malheur parce que tout ce qui est contre moi j'arrive à le renverser.
Philippe Chauveau :
Je veux bien reprendre cette expression, si vous le permettez, parce que le livre n'est pas triste. On y trouve des passages d'une grande sensibilité, très émouvant, mais il y a aussi des pages où il y a vraiment de l'humour. On sent que vous vous amusez avec vos souvenirs, et surtout, vous ne présentez pas votre mère comme un monstre mais bien comme une victime.
Irène Frain :
C'est une victime et j'ai eu à coeur de la comprendre. Je crois que ce que vous donne l'âge, c'est la capacité de l'empathie, c'est la capacité de comprendre les autres. Cela ne veut pas dire que l'on justifie tout. A un moment, il y a une page où je me révolte, où je dis qu'à ce moment-là, je ne peux pas la comprendre, je ne peux plus écrire parce que je ne la comprends plus et j'exprime ma révolte. C'est ma révolte d'adolescente, qui a d'ailleurs été discrète car je suis partie très tôt de la maison. Finalement, j'ai été libre de partir à 17 ans. Mais l'important est d'arriver à rentrer, peut-être pas dans les raisons de l'autre parce que quand on est méchant c'est irrationnel, mais dans les déterminismes de l'autre, ce qui a conduit à cela. Cela ne veut pas dire excuser, cela veut dire comprendre. Et quand on l'a compris, toutes les religions l'ont aussi compris, on est mieux avec soi et donc on est mieux avec les autres. C'est ce que la religion chrétienne appelle « le pardon » c'est un mot que je n'aime pas s'agissant de ma mère parce que je crois que j'ai plus vivre en paix avec sa mémoire
Philippe Chauveau :
On parlait tout à l'heure de cet émerveillement que vous avez su garder en étant restée la petite fille du grenier où vous ouvriez cette grande malle à souvenirs. Est-ce quelque chose que vous devez à votre mère ? Parce que, finalement, c'est par ce manque d'amour que vous avez trouvé cet émerveillement ?
Irène Frain :
Non, je crois que je dois cet émerveillement à mon père. Il est resté jusqu'au bout un être qui savait s'émerveiller même au sein de ce terrible fléau qui'est la maladie d'Alzheimer. Là, c'était lui l'émerveillement… C'est quand même plutôt à lui que je me suis identifié. En tant que femme, je me suis indentifié à ce personnage haut en couleurs qu'est « Marie Job le bouquin » parce que ma grand-mère s'appelait Le Bouquin et elle a une saga incroyable. C'est à travers la façon où ma mère, par moments, se mettait à racontait la saga de « Marie Job le bouquin » qui part de rien, et devient cette espèce de bourgeoise élégante, merveilleuse et belle. C'est en elle que j'ai pu trouver un modèle féminin qui me pousse en avant. Donc, il y avait cette capacité d'émerveillement dans les récits de ma mère mais cela lui échappait.
Philippe Chauveau :
« La fille à histoire » votre nouveau titre, Irène Frain, est publié aux éditions du Seuil.
Merci beaucoup.
Irène Frein :
Merci à vous.