Irène Frain

Irène Frain

La fille à histoires

Livre 6'33

Philippe Chauveau :
Vous avez su garder, Irène Frain, cet émerveillement de l'enfance, vous le dites vous-même. Pourtant, cette enfance n'a pas toujours été facile. Vous nous avez déjà parlé de votre enfance, de votre famille dans « La maison de la source », «Secret de famille » et encore «sortie de rien». Voici « La fille à histoires » où là, c'est votre mère que vous mettez à l'honneur en quelque sorte. Vous nous racontez cette histoire, un peu conflictuelle, un peu difficile en elle-même.

Irène Frain :
Elle a été difficile pour des raisons très simples : les circonstances de ma naissance ressemblaient à celle d'une mort car j'étais censée mourir, j'ai survécu et ma mère ne m'avait pas souhaitée. C'était même plus douloureux encore son secret ! Elle n'avait pas compris qu'elle était enceinte et donc je suis arrivée dans la vie de ces gens qui peinaient à survivre dans la Bretagne des années 50, qui vivaient comme beaucoup de gens : cinq personnes dans une pièce unique en terre battue. Mon père, à cette époque, n'avait qu'un petit salaire et faisait beaucoup de troc pour survivre.
Parce que le pays, la Bretagne, était très pauvre à l'époque, il s'est beaucoup enrichi depuis.

Philippe Chauveau :
C'est peut-être surtout le manque d'amour qui vous a fait le plus souffrir ?

Irène Frain :
Voilà ! Moi, c'est le manque d'amour. Ce n'est pas qu'elle ne voulait pas m'aimer c'est qu'elle ne pouvait pas m'aimer. Mais c'est souvent comme ça dans ces naissances entourées d'un déni de grossesse ; il y a une impossibilité à aimer l'enfant. Maintenant, ces mères sont entourées, il y a des psys qui les gardent souvent dans des services mère-enfant.

Philippe Chauveau :
Au milieu de ce conflit avec votre mère il y a quand même la petite Soisic, la fille des voisins. Il y a aussi ce monde merveilleux où vous vous réfugiez dans votre grenier avec ces femmes que vous découpez dans les magazines qui sont des mères de substitution.


Irène Frain :
Oui, il y a la blonde, l'élégante, donc la mère que je n'ai pas ! La mienne est vielle avant l'âge, elle n'a pas le courage d'être élégante du tout et elle est totalement dépressive, elle n'est pas bien dans sa peau. Donc, j'invente des dialogues sur mes premiers romans sans savoir que j'écris. En plus, l'écrit était un sujet tabou. Chez nous, les écrivains étaient vénérés comme des dieux ; on n'accèderait jamais à ça car on était trop pauvre. Donc, je m'invente un monde et j'y suis bien. Il y a un autre échappatoire, c'est l'école où je peux lire autant que je veux. Donc, je commence à arriver un quart d'heure avant l'ouverture de l'école, qu'il pleuve qu'il vente, puis une demi-heure et parfois trois quart d'heure… Donc, c'est l'histoire d'un merveilleux malheur parce que tout ce qui est contre moi j'arrive à le renverser.

Philippe Chauveau :
Je veux bien reprendre cette expression, si vous le permettez, parce que le livre n'est pas triste. On y trouve des passages d'une grande sensibilité, très émouvant, mais il y a aussi des pages où il y a vraiment de l'humour. On sent que vous vous amusez avec vos souvenirs, et surtout, vous ne présentez pas votre mère comme un monstre mais bien comme une victime.

Irène Frain :
C'est une victime et j'ai eu à coeur de la comprendre. Je crois que ce que vous donne l'âge, c'est la capacité de l'empathie, c'est la capacité de comprendre les autres. Cela ne veut pas dire que l'on justifie tout. A un moment, il y a une page où je me révolte, où je dis qu'à ce moment-là, je ne peux pas la comprendre, je ne peux plus écrire parce que je ne la comprends plus et j'exprime ma révolte. C'est ma révolte d'adolescente, qui a d'ailleurs été discrète car je suis partie très tôt de la maison. Finalement, j'ai été libre de partir à 17 ans. Mais l'important est d'arriver à rentrer, peut-être pas dans les raisons de l'autre parce que quand on est méchant c'est irrationnel, mais dans les déterminismes de l'autre, ce qui a conduit à cela. Cela ne veut pas dire excuser, cela veut dire comprendre. Et quand on l'a compris, toutes les religions l'ont aussi compris, on est mieux avec soi et donc on est mieux avec les autres. C'est ce que la religion chrétienne appelle « le pardon » c'est un mot que je n'aime pas s'agissant de ma mère parce que je crois que j'ai plus vivre en paix avec sa mémoire

Philippe Chauveau :
On parlait tout à l'heure de cet émerveillement que vous avez su garder en étant restée la petite fille du grenier où vous ouvriez cette grande malle à souvenirs. Est-ce quelque chose que vous devez à votre mère ? Parce que, finalement, c'est par ce manque d'amour que vous avez trouvé cet émerveillement ?

Irène Frain :
Non, je crois que je dois cet émerveillement à mon père. Il est resté jusqu'au bout un être qui savait s'émerveiller même au sein de ce terrible fléau qui'est la maladie d'Alzheimer. Là, c'était lui l'émerveillement… C'est quand même plutôt à lui que je me suis identifié. En tant que femme, je me suis indentifié à ce personnage haut en couleurs qu'est « Marie Job le bouquin » parce que ma grand-mère s'appelait Le Bouquin et elle a une saga incroyable. C'est à travers la façon où ma mère, par moments, se mettait à racontait la saga de « Marie Job le bouquin » qui part de rien, et devient cette espèce de bourgeoise élégante, merveilleuse et belle. C'est en elle que j'ai pu trouver un modèle féminin qui me pousse en avant. Donc, il y avait cette capacité d'émerveillement dans les récits de ma mère mais cela lui échappait.

Philippe Chauveau :
« La fille à histoire » votre nouveau titre, Irène Frain, est publié aux éditions du Seuil.
Merci beaucoup.

Irène Frein :

Merci à vous.

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  • LIVRE
  • Agrégée de lettres classiques, journaliste, Irène Frain est aujourd'hui un auteur majeur de la littérature française. Avec plus d'une quarantaine de titres à son actif, son succès ne s'est jamais démenti depuis « Le nabab » en 1982.C'est souvent à travers la grande Histoire oubliée et les destins hors du commun qu'Irène Frain puise les sujets de ses livres. « Les naufragés de l'île Tromelin » en 2009 racontait le sort de ces esclaves abandonnés sur une île déserte après le naufrage de leur bateau au XVIIIème siècle....Ecrire est un roman d'Irène Frain - Présentation - Suite
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