En 2019, avec « Le bal des folles », Victoria Mas faisait une entrée remarquée dans la famille des auteurs. 320 000 exemplaires vendus, plusieurs prix dont le Renaudot des lycéens, une adaptation BD et une adaptation au cinéma… Pas simple de gérer un tel succès et quand on vous attend au tournant. Et pourtant, Victoria Mas passe brillamment l’épreuve du 2ème roman qui sort en cette rentrée littéraire 2022. Voici « Un miracle », petite pépite à l’écriture assurée et dans lequel la jeune femme reprend des thèmes qui lui sont chers, le lien à l’invisible, à la différence, au mystère de l’âme.
De nos jours, nous rencontrons sœur Anne. Elle est religieuse chez les Filles de la Charité, à Paris. Elle reçoit d’une autre de ses congénères une singulière prophétie : la Vierge lui apparaîtra en Bretagne. Et ça tombe bien. Quelques temps plus tard, elle est envoyée en mission, à Roscoff, dans le Finistère. Mais peu de temps après, juste en face, sur l’île de Batz, un adolescent, Issac, prétend avoir eu la vision qu’on lui avait annoncée à elle, sœur Anne. Face à un événement que personne ne peut prouver, c’est tout un pays qui s’en trouve bouleversé. Au fil des pages et des événements, les relations entre les êtres se modifient, les blessures refont surface, les lignes bougent, chacun se voit contraint de modifier son rapport au monde, et quand les éléments s’en mêlent le drame devient inévitable.
Avec une écriture fluide, limpide et belle, déjà révélée dans son précédent roman, Victoria Mas nous raconte une société en huis-clos, aux prises avec l’impalpable, le subjectif, l’irréel mais le sujet parle aussi avec de jalousie, de rancœur, d’incompréhension.
Les ambiances et les paysages de Bretagne sont des personnages à part entière, les seuls qui semblent avoir compris le sens caché de la course du monde.
Un roman subtil, touchant, envoutant qui confirme le talent de Victoria Mas
« Un miracle » est publié aux éditions Albin Michel.

Philippe
Bonjour Victoria Mas.

Victoria Mas
Bonjour.

Philippe
Merci d'être avec nous. Vous êtes dans l'actualité de cette rentrée littéraire avec votre nouveau roman. Votre deuxième titre, Un miracle chez Albin Michel. Ça va être facile à dire, mais un miracle, c'est un peu ce qui vous est arrivé avec votre précédent titre, Le Bal des folles. C'était en 2009. Je dis un miracle parce que ça a été un succès phénoménal, n'ayons pas peur des mots. 320 000 exemplaires vendus, des traductions, le prix Renaudot des lycéens, une adaptation en BD et aussi au cinéma avec Mélanie Laurent. Comment avez-vous vécu ce succès ? Parce que j'imagine qu'on ne s'y attend pas forcément. On n'est jamais forcément préparé à ce genre de choses. Ça a été un moment agréable, difficile à passer. Vous en êtes là aujourd'hui du Bal des folles ?

Victoria Mas
Ça a été une très grande surprise déjà. Ça a été le plaisir surtout de découvrir l'intérêt pour le livre en France. Et ça, c'est vraiment, vraiment quelque chose qui m'a, qui m'a ébloui et qui m'a vraiment fait plaisir d'avoir pu rencontrer l'intérêt, l'enthousiasme des lecteurs dans les salons, dans les rencontres, les librairies. C'est qu'il y a un amour véritablement et un intérêt à la fois pour le livre mais aussi pour les auteurs en fait, en France. Je pense que c'est vraiment une particularité française qu'on a et ça m'a vraiment conforté et rassuré, moi qui ai toujours évidemment aimé les livres, aimer les auteurs et découvrir. Mais de le voir de ce côté ci de la barrière a été une expérience juste, extrêmement positive et formidable.

Philippe
Vous le dites, vous aimez les livres et vous aimez les auteurs. D'ailleurs, vous avez eu des études, des études littéraires. Pourquoi avez vous fait ce choix ? Vous auriez pu avoir envie d'autre chose. Vous avez aussi un petit peu été dans le monde du cinéma. Mais c'est vraiment par le livre que vous vous êtes construite, par l’écriture ?

Victoria Mas
Vous savez, je pense que la personne que nous allons devenir est déjà en fait là présente durant l'enfance. Et il suffit de songer à qui nous étions enfants pour savoir exactement qui nous sommes devenus adultes et si nous nous sommes égarés en chemin ou non. Et il y avait déjà une une appétence durant mon enfance pour la lecture, mais aussi pour l'écriture, pour la création de Mondes d'histoires, sans penser que je pouvais en faire un métier. Et l'élément déclencheur, on va dire, a vraiment été à l'âge de 17 ans, à la lecture de L'amant de Marguerite Duras, ou j'ai à la fois été bouleversé par son roman, mais aussi par sa vie, parce que j'ai toujours été fasciné par la figure de l'écrivain. Je me reconnaissais dans cette solitude là et je voulais savoir qui qui était derrière Le Horla, qui était derrière Les Contemplations et et à partir de 17 ans en effet, je me suis dit Mais pourquoi pas moi ? Pourquoi pas essayer ? Et c'est un désir et un besoin qui ne m'a jamais, jamais quitté. Parce qu'à partir de cet instant. À la fin de l'adolescence, je me demandais ce que je voulais exactement faire. Je savais que je voulais faire quelque chose de créatif, mais l'écriture s'est imposée comme vraiment quelque chose
qui faisait sens, tout simplement. Et j’ai poursuivis, voilà jusqu'à aujourd'hui.

Philippe
Vous avez dit deux choses intéressantes, notamment que lorsque vous parlez de l'enfance, vous dites le besoin et l'envie de construire des mondes d'autres mondes, des mondes parallèles. Et puis vous parlez aussi de la solitude de l'écrivain. Vous avez eu un besoin d'avoir une sorte de monde à vous, de soupape, de respiration, de vous construire une protection par la lecture et après peut être aussi par l’écriture ?

Victoria Mas
Il y avait d'abord l'élément de plaisir ; c’est à dire que c'est écrire, dessiner, créer des bandes dessinées, écrire des nouvelles, me procurait énormément de plaisir. Elle habitait et remplissait mes journées d'une façon qu'aucune autre activité ne pouvait faire. Et j'avais besoin aussi, déjà dès l'enfance de silence, d'être seul, de composer, de réfléchir, et d'être vraiment dans le calme. Et puis après, comprendre d'où vient ce besoin là exactement, en comprendre la ressource , je n'ai peut être pas fait une introspection assez profonde pour le comprendre, mais y a une façon en effet de réfléchir et d'habiter à la fois l'instant et le présent qui en tout cas me correspondait au travers, au travers de l'écriture.

Philippe
Et néanmoins, on le disait en préambule il y a un moment ou le cinéma, puis vous tenter, vous faites des études de cinéma, alors que lorsque je dis que le cinéma vous tentait, c'était pour être derrière la caméra. Vous avez été scripte, vous avez été assistante de réalisation, etc. Pourquoi cette appétence ? Il y avait un lien pour vous entre l'écriture et le cinéma ou finalement c'était un autre univers que vous aviez envie d'explorer ?

Victoria Mas
C'était en effet un autre univers que j'avais besoin d'explorer. C'était toujours un univers…

Philippe
On est dans la création quand même.

Victoria Mas
On est dans la création en fait, on est dans la seule idée de raconter des histoires et d'avoir toute une équipe qui va œuvrer et qui va rassembler ses propres talents en fait, pour pour mener une histoire à l'écran ou sur scène.
Mais je savais que je voulais en parallèle écrire à côté et que le livre ne me quittait pas. Après, c'est une activité qui est évidemment solitaire et qui prend du temps. Et le fait d'être dans des équipes, sur des tournages, avec des gens créatifs me permettait de nourrir justement mon écriture à côté et d'avoir d'avoir un semblant de contact social aussi, pour ne pas totalement ostraciser du monde. Mais le livre était toujours là, donc j'ai toujours travaillé à côté. Sans oublier, et sans négliger non plus cette idée là qui était présente.

Philippe
Avec votre premier titre, Le Bal des folles, il y avait le sujet, certes, mais on avait déjà remarqué la qualité de votre écriture qui se confirme avec Un miracle. C'est une écriture qui semble tellement fluide, tellement simple. Mais on sent que derrière, il y a néanmoins tout ce travail et tout cet amour des mots et de la langue. Vous n'abusez pas des dialogues et les ambiances, les décors sont aussi toujours très très importants. Si vous deviez définir votre travail d'écriture, que diriez vous ? Quelle est votre relation aux mots et à la syntaxe ?

Victoria Mas
C'est une très bonne question. Encore une fois, j'essaye d'éviter d'être trop dans l'introspection, justement, à la fois l'écriture, comment j'ai envie d'écrire et ce que je veux dire. Je pense que, à mon sens, l'écriture doit être au service de l'histoire et avant même d'envisager un style, c'est le développement des personnages, le développement de l'histoire. Savoir ou je veux emmener ces personnages là, quels bouleversements ils vont traverser et quelle fin va avoir leur destinée ? J'aime l'idée que, à chaque page et à chaque scène, en fait, on avance et on soit au plus proche des personnages et qu'on les accompagne dans une sorte de course qui va de plus en plus vite. Et donc je pense que c'est ça peut être qui caractérise mon écriture. C'est c'est le mouvement, sans doute, l’élan, oui.

Philippe
Votre actualité, Victoria Mas, c'est votre nouveau titre ? Ça s'appelle un miracle et c'est aux éditions Albin Michel.

Philippe
Les toutes premières pages de votre premier roman. Mais c'est vraiment l'introduction. Nous sommes en 1830 chez les Sœurs de la Charité, rue du Bac à Paris, avec Catherine Labouré qui va avoir ses visions, qui va voir apparaître la Vierge, ce qui va donner lieu au culte de la médaille miraculeuse. Mais c'est vraiment le tout départ du roman, parce que c'est bien un roman contemporain. Très vite, vous nous emmener en Bretagne avec sœur Anne. Sœur Anne elle a elle-même fait partie des Sœurs de la Charité. Et puis on l'envoie en mission à Roscoff. Qui est elle Sœur Anne ? Et pourquoi l'emmener justement en Bretagne ?

Victoria Mas
Alors, comme vous l'avez dit, Soeur Anne est une fille de la charité qui œuvre au sein de la maison mère, rue du Bac, depuis une vingtaine d'années. Ce qu'on comprend très vite avec Soeur Anne, c'est qu’elle attend quelque chose de cette vie de prière et de service. Elle attend presque une récompense, c'est à dire elle souhaite que la Sainte Vierge lui apparaisse. Elle souhaite faire partie de ces bienheureuses comme Catherine Labouré, comme Bernadette Soubirous.

Philippe
D'autant plus qu'une autre religieuse plus âgée lui a dit: « En Bretagne, tu auras une apparition. ».

Victoria Mas
Absolument. Elle croit en effet cette prophétie qui est qui lui est annoncée, digne d'une apparition de la Sainte Vierge en Bretagne. Et elle profite d'une mission provinciale pour se rendre sur place et attendre enfin ce qu'elle a toujours souhaité. Sauf que sur place, ce n'est pas elle qui va voir quelque chose, c'est un adolescent, sur l'île voisine qui aurait des visions justement de la Sainte Vierge depuis plusieurs soirs.

Philippe
Alors on va parler d'Isaac, bien sûr. Mais est ce à dire que sœur Anne a accepté cette mission à Roscoff en pensant secrètement que ça tombait bien puisque c'est là bas qu'on lui a annoncé qu'elle verrait la Vierge ? Il y a une ambiguïté dans le fait d'avoir accepté cette mission en Bretagne ?

Victoria Mas
Elle n'a jamais quitté la maison mère et c'est la première fois justement qu'elle accepte une mission provinciale puisque on lui a promis que la Sainte Vierge apparaîtrait à ce moment là. C'est le décès d'une autre sœur sur place qui lui permet d'avoir cette ouverture là et de et de postuler à ce poste qu'elle obtient. C'est véritablement sa faiblesse en fait, à soeur Anne d'attendre quelque chose. Une religieuse, par définition, offre sa vie à Dieu, fait des sacrifices dans sa propre vie personnelle pour se dédier complètement à cette vie de prière et de service aux autres. Et donc, c'est véritablement cette faiblesse là, cette part d'orgueil aussi qu'elle a en elle qui va être, qui va être sa chute, mais aussi son enseignement.

Philippe
Elle est à Roscoff. Et puis, vous le disiez juste en face, il y a l'île de Baz. Et là, c'est une microsociété. C'est un petit monde qui vit un peu en vase clos. Il y a notamment la famille, Bourdieu, avec une famille plutôt rigoriste, quasiment traditionnelle dans sa façon de vivre sa foi. Il y a Hugo, l'adolescent qui s'entend très bien, qui est copain avec Isaac. Isaac, lui c'est un autre ado qui a perdu sa mère il y a quelques années et qui a une relation un peu compliquée, un peu difficile avec son père. Et puis il y a Madene qui, elle, essaye de faire vivre tout ce petit monde dans ce sont l'auberge qu'elle tient sur l’île. Et vous nous l'avait laissé entendre, finalement, c'est Isaac qui, un jour, va avoir une révélation, une apparition. Lui qui, curieusement, n'est pas du tout religieux, n'a pas du tout été élevée dans cet univers là. Isaac est un gamin un peu paumé d’aujourd'hui ?

Victoria Mas
De n'importe quelle époque en fait. Je pense que l'adolescence est la même pour tous et quelles que soient les époques. Le personnage d'Isaac est en effet un personnage qui est en deuil, qui ne voit plus rien de ce qui l'entoure et qui plus est, il habite sur une île, donc il est vraiment hors du monde, hors du temps. Et c'est sans le chercher que quelque chose va lui apparaître. Et c'est cette cet état d'extase, on va dire, de catalepsie presque, dans lequel il se retrouve chaque soir qui lui redonne la couleur au visage qui lui redonne une profondeur dans le regard. Et c'est. Et au final, c'est à la fois son expérience à lui que les autres vont essayer de s'approprier, qui va avoir un impact aussi sur sur son père, sur Madene et sur plus largement tout le microcosme de l'île ?

Philippe
Une question très indiscrète quel est votre relation à la foi, à la religion ?

Victoria Mas
Avant même de donner une définition de la foi, je pense que c'est avant tout pour ceux qui, justement, n'ont pas eu d'éducation religieuse, pour qui il n'y a pas d’évidence en fait dès le début, je pense que c'est une rencontre avec soi même. Et j'aime beaucoup pour donner un exemple récent, l'expérience d'Eric-Emmanuel Schmitt, qu’il a relatée dans son formidable roman La Nuit de feu, où il explique, Il raconte comment il est entré dans le désert athée qu'il en est ressorti, croyant. Cette expérience là, cette rencontre avec Dieu est avant tout pour moi une rencontre avec lui même, cette partie dormante, cette partie en sommeil de lui même qui n'attendait qu'un élément déclencheur en fait, pour se révéler à lui. Je n'ai pas eu, moi personnellement, d'expériences aussi fortes, mais je me retrouve dans la foi de Victor Hugo, tel qu'il l'a décrit dans Les Contemplations qui et au delà pour moi d’un recueil de poèmes, c'est un formidable livre sur la spiritualité.

Philippe
Vous faites le choix de situer l'action de votre roman en Bretagne. Ce n'est pas anodin, il me semble que cette histoire n'aurait pas pu avoir eu lieu ailleurs. Et d'ailleurs, la Bretagne, les décors et les ambiances là encore, sont des personnages à part entière. Pourquoi était-ce important d'emmener Soeur Anne justement en Bretagne ?

Victoria Mas
Les lieux sont les personnages principaux de mes romans. La Salpêtrière, pour Le Bal des folles était vraiment déjà le lieu qui a initié l'écriture de ce roman et qui gardait toutes les intrigues et qui surveillait. Il y a un regard, il y a une vie, il y a une une mémoire dans les lieux qui m'appellent et qui m’inspirent. Et la Bretagne, parce que c'est une terre extrêmement complexe, extrêmement riche, d’histoires, d'héritages, à la fois chrétiens, celtiques, païens. Il y a énormément de profondeur, de mystère, de lumière, mais aussi beaucoup d’obscurité en Bretagne, que ça soit dans ses terres ou sur ses côtes. Et plus particulièrement cette vie insulaire, cette île de Baz que je décris, qui est qui était à la fois moins touristique que l'île de Bréhat, qui était plus petite que l'île d'Ouessant et qui me permettait d'avoir vraiment ce rapport hors du temps, hors du monde ou en fait la vie insulaire, les habitants sur l'île dépendent entièrement du cycle des marées, dépendent des horaires des traversées Parlent de ce continent, de ce pays au loin, comme s'ils n'y appartenaient pas. Et j'ai volontairement omis tout marqueur de temps en fait, dans le livre. Il pourrait se dérouler en 2022, comme il pourra se dérouler en 1990, puisque justement cette vie sur l'île, en fait, est hors du temps et hors du monde et permet de tenir à distance à la fois tout, toute l'agitation des villes, toute l'agitation du monde, mais permet aussi de voir surgir parfois, au milieu de ce monde qui nous est familier, l'invisible et l'extraordinaire.

Philippe
Comment réagissons nous quand l'inattendu s'impose à nous ? C'est votre actualité, Victoria Mas. C'est une véritable réussite. C'est un roman à la fois touchant et envoûtant. Gros coup de cœur pour ce nouveau roman Un miracle, aux éditions Albin Michel. Merci beaucoup.

Victoria Mas
Merci.