Souvenez-vous, au printemps 2017, « La tresse », le premier roman de Laetita Colombani devient très vite un phénomène de librairie. En quelques semaines, le livre se place en tête des meilleures ventes. Un succès inattendu pour la jeune femme qui jusqu’alors s’était illustrée dans le cinéma, étant à la fois comédienne, scénariste et réalisatrice. On se souvient notamment de « A la folie pas du tout » avec Audrey Tautou et « Mes stars et moi » avec Catherine Deneuve et Kad Merad.
En prenant la plume, Laetitia...
Les Victorieuses de Laëtitia Colombani - Présentation - Suite
Philippe Chauveau
Bonjour Laetitia Colombani. Merci d'être avec nous. On avait déjà eu l'occasion de se rencontrer pour ce qui fut votre premier roman « La tresse », c'était il y a il y a deux ans. Je plante le décor. Vous êtes plus issue du monde du cinéma, vous êtes réalisatrice, scénariste et puis il y a eu l'envie de l'écriture. Avec le succès que l'on sait, puisque « La tresse » a été un succès phénoménal en France, à l'étranger. Le projet d'adaptation cinématographique, on va y revenir. Comment avez vous...
Les Victorieuses de Laëtitia Colombani - Portrait - Suite
Philippe Chauveau
« Les victorieuses », voilà un titre qui claque. C'est le titre de votre nouveau roman, Laetitia Colombani, votre deuxième roman après « La tresse ». Les victorieuses, ce sont ces femmes qui sont figurées sur la couverture. Vous allez nous parler d'un endroit assez particulier, d'endroits qui existent, le Palais de la femme à Paris. Et puis surtout, vous allez nous parler de femmes, des femmes dans leur histoire personnelle, mais qui représentent la Femme avec un f majuscule. Tout démarre avec Solène....
Les Victorieuses de Laëtitia Colombani - Livre - Suite
Laëtitia Colombani
Les Victorieuses
Présentation 00'02'36"Souvenez-vous, au printemps 2017, « La tresse », le premier roman de Laetita Colombani devient très vite un phénomène de librairie. En quelques semaines, le livre se place en tête des meilleures ventes. Un succès inattendu pour la jeune femme qui jusqu’alors s’était illustrée dans le cinéma, étant à la fois comédienne, scénariste et réalisatrice. On se souvient notamment de « A la folie pas du tout » avec Audrey Tautou et « Mes stars et moi » avec Catherine Deneuve et Kad Merad.
En prenant la plume, Laetitia Colombani concrétisait alors un rêve d’enfant, elle qui avait grandi auprès d’une mère bibliothécaire. Avec cette histoire de trois femmes en Inde, en Sicile et au Canada, la jeune romancière a séduit un large public. Vendu en France à plus d’un million d’exemplaires, traduit en 35 langues, le roman est actuellement en cours d’adaptation cinématographique. Laetitia Colombani passera elle-même derrière la caméra.
Mais parallèlement à la promotion de son premier ouvrage, la romancière travaillait déjà à un autre projet d’écriture. Voici donc « Les victorieuses ». Là encore, comme dans « La tresse », ce sont des femmes qui tiennent l’histoire, des femmes fragilisées, blessées, en marge de la société mais surtout des femmes qui se battent, qui luttent et se relèvent.
Solène est avocate à Paris, elle a une quarantaine d’années. Le suicide d’un de ses clients à l’issue d’un procès bouscule toutes les certitudes de sa vie. Face à la dépression qui la gagne, elle choisit de donner du temps aux autres, par le bénévolat. La voilà écrivain public dans un centre d’hébergement pour femmes en détresse. Face à ces destins chahutés, relativisant ses propres problèmes, Solène va découvrir en elle de nouvelles ressources et une nouvelle façon d’aborder sa vie.
Pour raconter son histoire, Laetitia Colombani entraine son lecteur au palais de la Femme, incroyable bâtiment des années 1920 au cœur de Paris où depuis près d’un siècle, l’armée du salut accueille des femmes sans domicile pour les aider à reprendre pied. Avec une écriture simple et sensible, où l’émotion n’empêche pas le sourire, Laetitia Colombani frappe au cœur, encore une fois, mettant en lumière le travail des bénévoles associatifs d’aujourd’hui, dignes héritiers de Blanche Peyon, qui en 1925, porta le projet de ce palais de la Femme, Blanche Peyron dont l’histoire, authentique, s’écrit en parallèle de celle de Solène. « Les victorieuses » de Laetitia Colombani aux éditions Grasset.
Laëtitia Colombani
Les Victorieuses
Portrait 00'08'17"Philippe Chauveau
Bonjour Laetitia Colombani. Merci d'être avec nous. On avait déjà eu l'occasion de se rencontrer pour ce qui fut votre premier roman « La tresse », c'était il y a il y a deux ans. Je plante le décor. Vous êtes plus issue du monde du cinéma, vous êtes réalisatrice, scénariste et puis il y a eu l'envie de l'écriture. Avec le succès que l'on sait, puisque « La tresse » a été un succès phénoménal en France, à l'étranger. Le projet d'adaptation cinématographique, on va y revenir. Comment avez vous vécu le succès de ce premier roman ? Ca vous a fait peur ?
Laetitia Colombani
Non, ça ne m'a pas fait peur. Ca m'a surprise. Je ne m'attendais absolument pas à un tel accueil. J'ai pris tout ça comme un cadeau, j'ai essayé de vivre au jour le jour cette aventure. Il y a eu beaucoup de rencontres avec les lecteurs, les lectrices, j'ai fait beaucoup de dédicaces, de salons du livre, et puis je suis partie à l'étranger. J'ai encore des voyages au bout du monde prévus pour aller présenter le livre. Donc j'ai profité et je me suis dit voilà, c'est la vie qui fait un cadeau, c'est une porte qui s'ouvre alors qu'au départ, j'avais écrit ce roman en me disant : c'est quelque chose que je fais de façon un peu personnelle. Pour moi un projet qui me tient à cœur et d'un seul coup, cette petite parenthèse est devenue vraiment enchantée, et je suis très très reconnaissante à tous les lecteurs, les lectrices, aux journalistes, à tous ceux qui se sont intéressés à ce premier roman et qui ont eu envie de le faire partager.
Philippe Chauveau
Vous avez découvert un monde qui n'était pas forcément le vôtre, je le disais celui de la littérature. Vous avez fréquenté les salons du livre, les librairies, les médiathèques. Vous avez rencontré des lectrices et lecteurs. Comment avez-vous perçu cet échange qui forcément n'est pas le même que dans une salle de cinéma ?
Laetitia Colombani
Oui c'est un échange assez différent. J'ai eu l'impression que le rapport avec le livre que peut entretenir un lecteur ou une lectrice était peut être plus intime que le rapport à un film. En tout cas, j'ai eu des retours, j'ai fait des rencontres vraiment de personnes qui sont venues me parler de choses très personnelles, très intimes et qui avaient envie de parler du livre, qui avaient envie aussi de le faire circuler autour d'eux. Ca m'a énormément touchée.
Philippe Chauveau
Donc primo romancière avec « La tresse ». Mais la scénariste et la réalisatrice étaient toujours là, dans un petit coin qui guettait. Initialement, vous l'avez toujours dit, ce roman n'était pas un projet d'adaptation cinématographique. Et puis il y a quand même eu l'envie de vous emparer à nouveau de l'histoire de ces quelques femmes et de les mettre en images. C'est le projet qui vous occupe actuellement, l'adaptation de « La tresse » au cinéma.
Laetitia Colombani
Oui. « La tresse » ce n'était pas un scénario déguisé. Ce n'était pas un scénario déguisé en roman. J'ai bien réfléchi avant de me lancer dans l'écriture du roman. D'une part, j'avais envie d'une expérience différente du cinéma. J'avais envie d'une écriture plus libre, plus plus littéraire. Et puis d'autre part, je me disais de toutes façons, aucun intérêt de l'écrire en scénario. Aucun producteur ne se lancera dans cette aventure. Si je commence à parler de l'Inde, de la Sicile, du Canada, les choses seront compliquées, les choses seront chères, donc ça ne se fera pas au cinéma. J'avais vraiment envie de plonger dans une aventure différente et je crois aussi qu'après quinze ans passées dans le cinéma, j'avais envie d'un autre milieu, de découvrir d'autres personnes, d'autres usages. Donc j'avais vraiment une envie de roman. J'ai été surprise quand le roman est paru. Recevoir autant de propositions de producteurs... Finalement je me suis dit : « Ah bon il y a des producteurs assez fous pour imaginer que ça puisse devenir un film ». Je me suis alors posée la question de savoir si j'allais moi même le mettre en scène ou non. L'ampleur du projet m'effraie un peu.
Et en même temps je me suis dit on n'a pas deux fois dans sa vie l'occasion de tourner un film comme celui là, et le fait de poursuivre le voyage avec mes personnages de la presse avec mes trois héroïnes. Le fait de pouvoir me dire que j'allais aller dans des pays comme ça, comme l'Inde, la Sicile, le Canada que je connaissais déjà mais d'y aller d'une manière ou d'une façon plus approfondie pour des repérages, de travailler vraiment avec des comédiens indiens, avec des techniciens italiens etc. Tout ça, ça m'a séduite et je me suis dit : « allons-y, plonger dans cette aventure un peu folle et en même temps très très excitante. »
Philippe Chauveau
Le projet est parti et vous êtes actuellement en cours de travail pour un film qui sortira vers 2020-2021.
Laetitia Colombani
Oui je pense qu'on aimerait que le tournage se passe l'année prochaine et donc une sortie dans deux ans.
Philippe Chauveau
On va suivre ça avec intérêt. Je reviens à la romancière, parce que c'est quand même ça qui nous intéresse aujourd'hui. Avec votre nouveau titre, « Les victorieuses », je reprends ma toute première question lorsque je vous posais la question de savoir si vous aviez eu peur de cet énorme succès de « La tresse ». C'est que ça aurait pu vous freiner dans votre envie de reprendre la plume en vous disant : « jamais je ne vais réussir à séduire à nouveau avec un autre titre ». Non, vous avez complètement occulté cette idée-là, vous vous êtes relancée tout de suite dans l'écriture.
Laetitia Colombani
Oui je me suis lancée tout de suite dans l'écriture. En fait, cette idée là du roman « Les victorieuses », c'est une idée que j'avais eu pendant que j'écrivais « La tresse », à une époque où je ne savais pas si j'allais trouver un éditeur pour mon premier roman, et donc quand « la tresse » est paru, j'ai directement commencé des recherches, commencé le travail sur ce nouveau roman. Ca m'a évité d'avoir cette période de questionnements ou d'angoisse, de me dire qu'est ce que je vais faire après. Je me suis dis : « voilà je vais à nouveau faire quelque chose qui j'espère sera personnel, sur un sujet qui me touche. » Je ne suis pas allée vers des choses forcément très commerciales, mais c'est pas grave, je voulais rester fidèle à mes envies.
Philippe Chauveau
Justement, vous parlez de cette écriture littéraire, de cette écriture romanesque pour laquelle le virus maintenant est pris. Qu'avez-vous découvert que vous ne connaissiez pas avec le cinéma ? En quoi est ce différent, ou l'écriture littéraire aujourd'hui ?
Laetitia Colombani
Par rapport au cinéma, la différence pour moi c'est la liberté dans la littérature. Le cinéma est un oeil extérieur. Il faut rentrer dans un cadre au sens propre comme au sens figuré. On a des contraintes qui sont artistiques dans l'écriture même. Moi je me souviens quand j'étais élève à l'école Louis Lumière, et que mon prof de scénario me disait : « vous êtes beaucoup trop littéraire », qu qu'il faut. Gommez, gommez, il faut être efficace, faites des phrases courtes, descriptives de ce qu'on voit et de ce qu'on entend, ce que capte la caméra. Je me sentais un peu brimée. En tous cas, moi qui avais des envies de littérature, j'ai dû gommer ça pour écrire des scénarii. Et puis, d'autre part, il y a des contraintes aussi de production. Quand on écrit un scénario, on va se demander combien ça coûte. J'écris une phrase et je me demande combien ça coûte. Et forcément, c'est limitant de manière consciente ou inconsciente. On doit correspondre à un budget, à une durée. D'un seul coup, moi j'avais envie de m'émanciper un peu de toutes ces contraintes là, de retrouver un plaisir d'écrire, plus que ce que je pouvais ressentir enfant quand j'écrivais des poésies, des nouvelle. J'écrivais beaucoup quand j'étais enfant et adolescente. J'avais un peu perdu ce plaisir là à cause de la technique du scénario et de toutes ces contraintes du cinéma.
Philippe Chauveau
Là vous parlez de la petite fille et de l'adolescente que vous avez été et qui était déjà amoureuse des mots et des livres. C'est un clin d'oeil au métier de bibliothécaire que faisait votre mère ?
Laetitia Colombani
Oui oui, moi j'ai grandi parmi les livres. Ma mère était bibliothécaire dans un CDI pendant 35 ans et donc je me souviens très bien. J'ai toujours aimé les lieux où il y a des livres. J'adore les bibliothèques, les médiathèques, j'adore les librairies. Je m'y sens bien. C'est le souvenir de la petite fille qui avait le droit d'aller au CDI avec sa maman quand j'étais malade, voilà. Je passais du temps avec ma mère dans cette bibliothèque, elle me rapportait plein de livres et du coup, j'en consommais énormément, je lisais beaucoup, beaucoup, depuis l'âge de 8-9 ans. J'étais vraiment une lectrice très très très acharnée, et ce plaisir là, en fait, ça a d'abord été un plaisir de lectrice avant de découvrir le plaisir de l'écriture. Mais pour moi, ça va de pair.
Philippe Chauveau
La belle aventure littéraire de Laetitia Colombani qui se poursuit avec ce nouveau titre, « Les victorieuses » aux éditions Grasset.
Laëtitia Colombani
Les Victorieuses
Livre 00'09'17"Philippe Chauveau
« Les victorieuses », voilà un titre qui claque. C'est le titre de votre nouveau roman, Laetitia Colombani, votre deuxième roman après « La tresse ». Les victorieuses, ce sont ces femmes qui sont figurées sur la couverture. Vous allez nous parler d'un endroit assez particulier, d'endroits qui existent, le Palais de la femme à Paris. Et puis surtout, vous allez nous parler de femmes, des femmes dans leur histoire personnelle, mais qui représentent la Femme avec un f majuscule. Tout démarre avec Solène. Solène est un peu une Wonder Woman, c'est une avocate. Elle a bien réussi son parcours, un peu poussé par sa famille, parce que finalement, ce n'était pas sa volonté première. Qui est-elle, Solène ?
Laetitia Colombani
Solène, c'est une femme d'une quarantaine d'années, qui sur le papier a tout réussi puisqu'elle est avocate dans un très grand cabinet. Elle gère des dossiers fiscaux. Et puis elle fait un burn out. En fait, elle voit un de ses clients, ses plus importants clients, sauter dans le vide sous ses yeux en sortant d'un procès.
Philippe Chauveau
La première scène, une scène choc.
Laetitia Colombani
C'est la scène d'ouverture du livre, où on voit ce client se jeter dans le vide dans le nouveau palais de justice de Paris, qui est un gigantesque Atrium. Solène est là, elle est témoin de ce drame et ce drame, pour elle, l'a fait exploser en vol.
Philippe Chauveau
Ca fait vaciller toutes ses certitudes.
Laetitia Colombani
Ca fait vaciller absolument toute sa vie. Elle fait un burn out. Elle se retrouve dans une maison de repos Ca fait ressortir les souffrances. Le fait qu'elle n'est pas là où elle aimerait être. Elle n'avait pas choisi d'être avocate, elle rêvait d'être écrivain quand elle était enfant. Ses parents lui ont demandé de se conformer à une voie plus classique. Et puis l'homme de sa vie l'a quittée. C'est un avocat brillant comme elle. Couple d'avocats. Lui ne voulait pas d'enfant donc elle a renoncé à ses désirs d'enfant pour lui. Et puis finalement, il est parti avec une autre femme, il a fondé une famille avec une autre. Et toutes ces blessures là, elles resurgissent. A ce moment de sa vie, c'est la crise de la quarantaine dont on parle, crise de milieu de vie et Solène perd le sens. Elle ne trouve plus de raison de se lever le matin et ce sens là, elle va le retrouver grâce aux conseils de son psychiatre qui, dans la maison de santé, lui dit : « tournez-vous vers les autres, essayez du bénévolat, allez aider plus malheureux que vous. Peut-être que vous allez trouver un sens à vous sentir utile. ».
Philippe Chauveau
Dans cette démarche, elle accepte finalement un jour d'aller à la rencontre de ces femmes qui sont dans un centre. Alors je vais un petit peu plus loin dans le roman, mais c'est l'occasion pour vous de nous présenter le Palais de la femme qui existe réellement, et ce qui est intéressant, c'est que l'on va continuer à suivre Solène qui va donc aller vers les autres, pour les aider, et peut être essayer de calfeutrer un petit peu son mal être. Mais vous allez aussi nous présenter un autre personnage, dans les années 20, une autre femme qui s'appelle Blanche Peyron, personnage authentique qui a notamment aidé à l'émergence de l'Armée du Salut en France, et à la création de ce Palais de la femme qui permet aux femmes en déshérence de reprendre pied. Comment avez vous découvert ce personnage de Blanche Peyron ? Comment avez vous découvert ce Palais de la femme qui existe aujourd'hui ? Et comment avez vous eu envie de faire entrer Solène, personnage romanesque, dans cette histoire ?
Laetitia Colombani
Le Palais de la femme, c'est un endroit que je ne connaissais pas, et je l'ai découvert totalement par hasard, en me perdant dans le quartier. C'est dans le 11ème arrondissement de Paris, un quartier que je connais très peu, et je me suis retrouvée devant ce gigantesque bâtiment rue de Charonne, et c'est le nom qui m'a intrigué. Le Palais de la femme, c'est ce qui est inscrit sur le dessus du bâtiment, et je me suis dit : « qu'est ce que c'est que ce palais ? Je me suis approchée des plaques en bronze qui détaille l'historique du bâtiment qui est classé au titre des monuments historiques de Paris, et je me suis dit : « Mais voilà une histoire assez singulière. » Cet endroit, le Palais de la femme, est un foyer pour femmes en difficulté. C'est un foyer d'accueil qui est l'un des plus grands foyers d'accueil pour femmes en Europe. Il a été créé en 1926 sur les ruines d'un ancien couvent. Depuis des siècles, des religieuses vivaient là, qui ont été expulsées. Et donc, sur le cimetière même des religieuses a été construit cet hôtel, qui au départ, avant la Première Guerre mondiale, était un hôtel destiné aux hommes célibataires ou aux ouvriers, qui s'est transformé en hôpital de guerre, et qui a été racheté après la guerre par une femme qui oeuvrait pour l'Armée du salut et qui s'est dit : « voilà, il y a ce lieu gigantesque qui était inoccupé ». 743 chambres à l'époque un gigantesque hôtel. Elle s'est dit : « je vais l'acheter pour l'Armée du salut et le transformer en foyer pour les femmes qui sont dans la rue. »
Philippe Chauveau
Ce qui est intéressant dans votre roman, c'est que les périodes alternent entre les années 1920 et puis plus aujourd'hui avec le personnage de Solène, ce qui est l'occasion pour vous de nous parler de l'engagement, de l'implication de Blanche Peyron et de son mari Albin, parce que c'était un binôme très fusionnel. Vous nous racontez aussi les difficultés pour l'Armée du Salut de s'intégrer, de s'impliquer en France, puisqu'à l'origine c'était plus l'Angleterre et l'Irlande qui étaient leur terreau de prédilection. Et puis, lorsque l'on revient au personnage de Solène, là on est avec des personnages d'aujourd'hui, avec des femmes qui se battent, des femmes qui ont été et qui essaient de reprendre pied dans ce Palais de la femme. Vous n'avez pas cherché à faire du misérabilisme dans ce livre, parce que vos personnages sont lumineux. Et puis il y a Solène, qui au départ avait tout pour être heureuse, et qui se reconstruit petit à petit en étant au contact de gens qu'elle n'avait j'avais croisés auparavant.
Laetitia Colombani
Oui. Le pari pour moi dans ce livre c'était d'arriver à décrire cet endroit, le Palais de la femme, qui est le personnage principal du livre, de le décrire sans misérabilisme mais sans angélisme, de le décrire au plus juste de ce qu'il est. C'est un lieu de reconstruction pour les femmes. C'est un lieu d'espoir mais c'est aussi un lieu difficile. C'est un foyer. Personne n'habite en foyer par choix. On habite en foyer par nécessité, avec la vie en communauté qui provoque parfois des conflits. Il y a quand même la promiscuité. Il y a des différences culturelles très grandes puisque au palais, se côtoient des femmes qui viennent du monde entier, et qui ont toutes des traditions, toutes des religions, et donc ce lieu là, qui est une espèce de tour de Babel, on parle à des dizaines de langues différentes, ce lieu est un lieu militant, inspirant. Moi j'ai essayé de décrire vraiment au plus près l'espoir qu'il peut apporter à ces femmes, mais aussi une certaine forme de désespérance. Pour l'une d'entre elles, notamment, les choses sont plus compliquées. Je voulais rédiger mon récit toujours sur un fil, en allant vers les plus démunis.
Philippe Chauveau
C'est vrai que Solène va finalement revenir à sa vocation première, puisque dans ce centre, on va lui proposer d'être écrivain public et d'aider à faire tout un tas de courriers personnels ou plus institutionnels pour ces femmes en déshérence. Il y a cette phrase très belle : « Avoir une clé ce n'est pas rien, c'est avoir une vie. » Puisque c'est ce que propose ce foyer en donnant une clé, en donnant un studio, un appartement à ces femmes. C'est l'occasion de leur redonner une dignité. Forcément votre roman fait résonance avec notre actualité, avec d'autres sociétés où les sans abris sont sont nombreux dans nos rues. Y a-t-il une part de militantisme aussi dans votre écriture ? Au-delà de ces portraits de femmes, vous voulez aussi mettre le doigt là où ça fait mal. Vous voulez dénoncer certaines inégalités. C'est du militantisme ou c 'est la romancière tout simplement ?
Laetitia Colombani
Une forme de militantisme, je ne sais pas. En tous cas, donner à voir une certaine réalité, oui ça c'était mon envie pour elle. Pour « La tresse », je suis partie très très loin. Je suis partie en Inde, en Sicile, au Canada. Je voulais raconter comment les femmes sont traitées dans différentes régions du monde, ce qu'elles vivent, ce qu'elles subissent. Et le courage qu'il leur faut pour sortir parfois de la cage dans laquelle on les enferme. Et puis après ça je me suis dit : « oui mais chez nous... » Jj'avais envie de parler aussi des femmes dans notre société, chez nous ici en France, se dire : « qu'est-ce qu'elles vivent ? ». Moi, de façon assez naïve, j'imaginais que les femmes et les enfants étaient relativement protégés de la précarité. En fait, c'est absolument l'inverse. Les femmes sont en première ligne. Ce sont les premières bénéficiaires des minima sociaux. Ce sont les premières bénéficiaires des banques alimentaires. Donc tout ce constat, il a été assez effarant. Je dois dire que je me suis sentie complètement bouleversée d'apprendre que deux personnes dans la rue sur cinq sont des femmes. Sauf qu'on ne les voit pas parce qu'elles se cachent, parce qu'elles sont agressées, elles sont en danger dans la rue. Toute cette réalité là, elle m'a profondément touchée, dérangée, et je me suis dit : « mais je dois raconter ça, je dois raconter qu'aujourd'hui en France, on a nos intouchables ».
Philippe Chauveau
Dans ce livre vous mettez en lumière le travail formidable de l'Armée du Salut, qui discrètement, mais depuis des décennies, oeuvrent pour les plus démunis. Et puis surtout, vous mettez en lumière ces femmes que souvent, on laisse dans l'ombre, et que l'on n'a pas envie de voir. C'est un livre bouleversant, c'est une histoire qui est aussi très lumineuse avec ce personnage de Solène dont on se souvient très longtemps. Ca s'appelle « Les victorieuses ». C'est un beau livre sur la femme. C'est votre actualité, Laetitia Colombani. Vous êtes publiée aux éditions Grasset. Merci beaucoup.
Laetitia Colombani
Merci à vous.