Laëtitia Colombani

Laëtitia Colombani

Les Victorieuses

Livre 00'09'17"

Philippe Chauveau

« Les victorieuses », voilà un titre qui claque. C'est le titre de votre nouveau roman, Laetitia Colombani, votre deuxième roman après « La tresse ». Les victorieuses, ce sont ces femmes qui sont figurées sur la couverture. Vous allez nous parler d'un endroit assez particulier, d'endroits qui existent, le Palais de la femme à Paris. Et puis surtout, vous allez nous parler de femmes, des femmes dans leur histoire personnelle, mais qui représentent la Femme avec un f majuscule. Tout démarre avec Solène. Solène est un peu une Wonder Woman, c'est une avocate. Elle a bien réussi son parcours, un peu poussé par sa famille, parce que finalement, ce n'était pas sa volonté première. Qui est-elle, Solène ?

Laetitia Colombani

Solène, c'est une femme d'une quarantaine d'années, qui sur le papier a tout réussi puisqu'elle est avocate dans un très grand cabinet. Elle gère des dossiers fiscaux. Et puis elle fait un burn out. En fait, elle voit un de ses clients, ses plus importants clients, sauter dans le vide sous ses yeux en sortant d'un procès.

Philippe Chauveau

La première scène, une scène choc.

Laetitia Colombani

C'est la scène d'ouverture du livre, où on voit ce client se jeter dans le vide dans le nouveau palais de justice de Paris, qui est un gigantesque Atrium. Solène est là, elle est témoin de ce drame et ce drame, pour elle, l'a fait exploser en vol.

Philippe Chauveau

Ca fait vaciller toutes ses certitudes.

Laetitia Colombani

Ca fait vaciller absolument toute sa vie. Elle fait un burn out. Elle se retrouve dans une maison de repos Ca fait ressortir les souffrances. Le fait qu'elle n'est pas là où elle aimerait être. Elle n'avait pas choisi d'être avocate, elle rêvait d'être écrivain quand elle était enfant. Ses parents lui ont demandé de se conformer à une voie plus classique. Et puis l'homme de sa vie l'a quittée. C'est un avocat brillant comme elle. Couple d'avocats. Lui ne voulait pas d'enfant donc elle a renoncé à ses désirs d'enfant pour lui. Et puis finalement, il est parti avec une autre femme, il a fondé une famille avec une autre. Et toutes ces blessures là, elles resurgissent. A ce moment de sa vie, c'est la crise de la quarantaine dont on parle, crise de milieu de vie et Solène perd le sens. Elle ne trouve plus de raison de se lever le matin et ce sens là, elle va le retrouver grâce aux conseils de son psychiatre qui, dans la maison de santé, lui dit : « tournez-vous vers les autres, essayez du bénévolat, allez aider plus malheureux que vous. Peut-être que vous allez trouver un sens à vous sentir utile. ».

Philippe Chauveau

Dans cette démarche, elle accepte finalement un jour d'aller à la rencontre de ces femmes qui sont dans un centre. Alors je vais un petit peu plus loin dans le roman, mais c'est l'occasion pour vous de nous présenter le Palais de la femme qui existe réellement, et ce qui est intéressant, c'est que l'on va continuer à suivre Solène qui va donc aller vers les autres, pour les aider, et peut être essayer de calfeutrer un petit peu son mal être. Mais vous allez aussi nous présenter un autre personnage, dans les années 20, une autre femme qui s'appelle Blanche Peyron, personnage authentique qui a notamment aidé à l'émergence de l'Armée du Salut en France, et à la création de ce Palais de la femme qui permet aux femmes en déshérence de reprendre pied. Comment avez vous découvert ce personnage de Blanche Peyron ? Comment avez vous découvert ce Palais de la femme qui existe aujourd'hui ? Et comment avez vous eu envie de faire entrer Solène, personnage romanesque, dans cette histoire ?

Laetitia Colombani

Le Palais de la femme, c'est un endroit que je ne connaissais pas, et je l'ai découvert totalement par hasard, en me perdant dans le quartier. C'est dans le 11ème arrondissement de Paris, un quartier que je connais très peu, et je me suis retrouvée devant ce gigantesque bâtiment rue de Charonne, et c'est le nom qui m'a intrigué. Le Palais de la femme, c'est ce qui est inscrit sur le dessus du bâtiment, et je me suis dit : « qu'est ce que c'est que ce palais ? Je me suis approchée des plaques en bronze qui détaille l'historique du bâtiment qui est classé au titre des monuments historiques de Paris, et je me suis dit : « Mais voilà une histoire assez singulière. » Cet endroit, le Palais de la femme, est un foyer pour femmes en difficulté. C'est un foyer d'accueil qui est l'un des plus grands foyers d'accueil pour femmes en Europe. Il a été créé en 1926 sur les ruines d'un ancien couvent. Depuis des siècles, des religieuses vivaient là, qui ont été expulsées. Et donc, sur le cimetière même des religieuses a été construit cet hôtel, qui au départ, avant la Première Guerre mondiale, était un hôtel destiné aux hommes célibataires ou aux ouvriers, qui s'est transformé en hôpital de guerre, et qui a été racheté après la guerre par une femme qui oeuvrait pour l'Armée du salut et qui s'est dit : « voilà, il y a ce lieu gigantesque qui était inoccupé ». 743 chambres à l'époque un gigantesque hôtel. Elle s'est dit : « je vais l'acheter pour l'Armée du salut et le transformer en foyer pour les femmes qui sont dans la rue. »

Philippe Chauveau

Ce qui est intéressant dans votre roman, c'est que les périodes alternent entre les années 1920 et puis plus aujourd'hui avec le personnage de Solène, ce qui est l'occasion pour vous de nous parler de l'engagement, de l'implication de Blanche Peyron et de son mari Albin, parce que c'était un binôme très fusionnel. Vous nous racontez aussi les difficultés pour l'Armée du Salut de s'intégrer, de s'impliquer en France, puisqu'à l'origine c'était plus l'Angleterre et l'Irlande qui étaient leur terreau de prédilection. Et puis, lorsque l'on revient au personnage de Solène, là on est avec des personnages d'aujourd'hui, avec des femmes qui se battent, des femmes qui ont été et qui essaient de reprendre pied dans ce Palais de la femme. Vous n'avez pas cherché à faire du misérabilisme dans ce livre, parce que vos personnages sont lumineux. Et puis il y a Solène, qui au départ avait tout pour être heureuse, et qui se reconstruit petit à petit en étant au contact de gens qu'elle n'avait j'avais croisés auparavant.

Laetitia Colombani

Oui. Le pari pour moi dans ce livre c'était d'arriver à décrire cet endroit, le Palais de la femme, qui est le personnage principal du livre, de le décrire sans misérabilisme mais sans angélisme, de le décrire au plus juste de ce qu'il est. C'est un lieu de reconstruction pour les femmes. C'est un lieu d'espoir mais c'est aussi un lieu difficile. C'est un foyer. Personne n'habite en foyer par choix. On habite en foyer par nécessité, avec la vie en communauté qui provoque parfois des conflits. Il y a quand même la promiscuité. Il y a des différences culturelles très grandes puisque au palais, se côtoient des femmes qui viennent du monde entier, et qui ont toutes des traditions, toutes des religions, et donc ce lieu là, qui est une espèce de tour de Babel, on parle à des dizaines de langues différentes, ce lieu est un lieu militant, inspirant. Moi j'ai essayé de décrire vraiment au plus près l'espoir qu'il peut apporter à ces femmes, mais aussi une certaine forme de désespérance. Pour l'une d'entre elles, notamment, les choses sont plus compliquées. Je voulais rédiger mon récit toujours sur un fil, en allant vers les plus démunis.

Philippe Chauveau

C'est vrai que Solène va finalement revenir à sa vocation première, puisque dans ce centre, on va lui proposer d'être écrivain public et d'aider à faire tout un tas de courriers personnels ou plus institutionnels pour ces femmes en déshérence. Il y a cette phrase très belle : « Avoir une clé ce n'est pas rien, c'est avoir une vie. » Puisque c'est ce que propose ce foyer en donnant une clé, en donnant un studio, un appartement à ces femmes. C'est l'occasion de leur redonner une dignité. Forcément votre roman fait résonance avec notre actualité, avec d'autres sociétés où les sans abris sont sont nombreux dans nos rues. Y a-t-il une part de militantisme aussi dans votre écriture ? Au-delà de ces portraits de femmes, vous voulez aussi mettre le doigt là où ça fait mal. Vous voulez dénoncer certaines inégalités. C'est du militantisme ou c 'est la romancière tout simplement ?

Laetitia Colombani

Une forme de militantisme, je ne sais pas. En tous cas, donner à voir une certaine réalité, oui ça c'était mon envie pour elle. Pour « La tresse », je suis partie très très loin. Je suis partie en Inde, en Sicile, au Canada. Je voulais raconter comment les femmes sont traitées dans différentes régions du monde, ce qu'elles vivent, ce qu'elles subissent. Et le courage qu'il leur faut pour sortir parfois de la cage dans laquelle on les enferme. Et puis après ça je me suis dit : « oui mais chez nous... » Jj'avais envie de parler aussi des femmes dans notre société, chez nous ici en France, se dire : « qu'est-ce qu'elles vivent ? ». Moi, de façon assez naïve, j'imaginais que les femmes et les enfants étaient relativement protégés de la précarité. En fait, c'est absolument l'inverse. Les femmes sont en première ligne. Ce sont les premières bénéficiaires des minima sociaux. Ce sont les premières bénéficiaires des banques alimentaires. Donc tout ce constat, il a été assez effarant. Je dois dire que je me suis sentie complètement bouleversée d'apprendre que deux personnes dans la rue sur cinq sont des femmes. Sauf qu'on ne les voit pas parce qu'elles se cachent, parce qu'elles sont agressées, elles sont en danger dans la rue. Toute cette réalité là, elle m'a profondément touchée, dérangée, et je me suis dit : « mais je dois raconter ça, je dois raconter qu'aujourd'hui en France, on a nos intouchables ».

Philippe Chauveau

Dans ce livre vous mettez en lumière le travail formidable de l'Armée du Salut, qui discrètement, mais depuis des décennies, oeuvrent pour les plus démunis. Et puis surtout, vous mettez en lumière ces femmes que souvent, on laisse dans l'ombre, et que l'on n'a pas envie de voir. C'est un livre bouleversant, c'est une histoire qui est aussi très lumineuse avec ce personnage de Solène dont on se souvient très longtemps. Ca s'appelle « Les victorieuses ». C'est un beau livre sur la femme. C'est votre actualité, Laetitia Colombani. Vous êtes publiée aux éditions Grasset. Merci beaucoup.

Laetitia Colombani

Merci à vous.

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