En 1997, avec " La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules ", Philippe Delerm connaissait un succès de librairie phénoménal. Avec ce recueil de textes courts, l'auteur nous donnait à lire les petits bonheurs du quotidien. Ce succès était aussi la récompense de la patience de Philippe Delerm qui avait écrit pendant 10 ans avant d'être enfin publié.
Dans la famille Delerm, on aime jouer avec les mots, toutes générations confondues. Les parents de l'auteur étaient enseignants et apprenaient à lire et à...
Sur une île déserte, quels livres emporteraient-ils ? de Philippe Delerm - Présentation - Suite
Philippe Chauveau
Bonjour Philippe Delerm.
Philippe Delerm
Bonjour.
Philippe Chauveau
Votre actualité aux éditions du Seuil, Les eaux troubles du mojito. Avez-vous des fois l'envie de regarder en arrière, lorsque vous pensez à vos premiers livres, vos premiers essais d'écriture. Est-ce qu'il y a une petite nostalgie de ce temps enfui ?
Philippe Delerm
Oui bien sûr. Ca fait partie de mon rapport à la vie d'arriver à me souvenir assez facilement notamment aussi des tristesses, puisque pendant très longtemps, je n'ai pas...
Sur une île déserte, quels livres emporteraient-ils ? de Philippe Delerm - Portrait - Suite
Philippe Chauveau
Philippe Delerm, on vous a connu comme romancier. Il y avait eu Sundborn ou les jours de lumières, plus récemment, Elle marchait sur un fil. Mais c'est vrai que lorsque l'on cite votre nom, Philippe Delerm, instinctivement vient La première gorgée de bière, viennent ces textes courts. Est-ce qu'il y a une définition sur cette écriture. Est-ce que c'est un genre à part entière, est-ce que ce sont des mini-nouvelles ? Comment traduisez-vous votre travail ?
Philippe Delerm
Il n'y a pas de terme. Je le regrette...
Sur une île déserte, quels livres emporteraient-ils ? de Philippe Delerm - Livre - Suite
Philippe Delerm
Les eaux troubles du mojito
Présentation 1'50En 1997, avec " La première gorgée de bière et autres plaisirs minuscules ", Philippe Delerm connaissait un succès de librairie phénoménal. Avec ce recueil de textes courts, l'auteur nous donnait à lire les petits bonheurs du quotidien. Ce succès était aussi la récompense de la patience de Philippe Delerm qui avait écrit pendant 10 ans avant d'être enfin publié.
Dans la famille Delerm, on aime jouer avec les mots, toutes générations confondues. Les parents de l'auteur étaient enseignants et apprenaient à lire et à écrire aux enfants, Philippe Delerm lui-même fut professeur de français tout en écrivant, sa compagne Martine écrit et dessine pour le jeune public. Quant à leur fils, Vincent, ses textes plein de poésie et de charme en font un artiste chanteur reconnu.
Outre les recueils de textes courts dont il s'est fait une spécialité, on doit à Philippe Delerm plusieurs romans dont " Sundborn ou les jours de lumière " qui reçut le prix des libraires et plus récemment le très joli " Elle marchait sur un fil "
Dans ce nouveau titre, recueil d'une quarantaine de textes courts, " Les eaux troubles du mojito et autres belles raisons d'habiter sur terre ", Philippe Delerm nous invite à nous étonner de ce que nous connaissons déjà. Se faire surprendre par une averse et aimer ça, contempler un enfant aux balbutiements de la lecture, prolonger un après-midi sur la plage… Tous ces petits riens, ces petits bonheurs qui rendent la vie belle. Des mots simples, des situations dans lesquelles chacun pourra se retrouver, de petites histoires qui nous donnent envie de suspendre le temps.
Un livre peu épais mais bourré d'humanité, à conserver près de soi, à croquer à chaque instant. C'est beau, c'est tendre, ça donne envie d'être heureux. " Les eaux troubles du mojito et autres belles raisons d'habiter sur terre " de Philippe Delerm est publié au Seuil.
Philippe Delerm
Les eaux troubles du mojito
Portrait 5'36Philippe Chauveau
Bonjour Philippe Delerm.
Philippe Delerm
Bonjour.
Philippe Chauveau
Votre actualité aux éditions du Seuil, Les eaux troubles du mojito. Avez-vous des fois l'envie de regarder en arrière, lorsque vous pensez à vos premiers livres, vos premiers essais d'écriture. Est-ce qu'il y a une petite nostalgie de ce temps enfui ?
Philippe Delerm
Oui bien sûr. Ca fait partie de mon rapport à la vie d'arriver à me souvenir assez facilement notamment aussi des tristesses, puisque pendant très longtemps, je n'ai pas réussi à publier, et donc c'est une chose qui me manquait, même si j'avais une vie qui était heureuse avec une femme que j'aimais, que j'aime toujours et un petit garçon délicieux qui s'appelait Vincent et aussi un métier qui me passionnait, et que je pratiquais d'une façon qui me plaisait, avec des clubs théâtres, des clubs de foot dans le cadre du collège. Mais il me manquait d'être transformé en livre, de devenir livre, puisque c'était quand même un rêve qui m'était nécessaire.
Philippe Chauveau
Ce qui veut dire que vous écriviez, vous aviez envoyé à des éditeurs qui vous avaient répondu par la négative lorsqu'ils avaient répondu. Mais pourquoi ce besoin d'écriture, puisque vous le dites, vous étiez comblé, vous aviez la vie que vous souhaitiez. Philippe Delerm Mais il y avait un manque. A l'évidence, je pense que si l'on a cette faculté de saisir l'instant, qu'on me reconnaît parfois dans mes recueils de textes courts et des arrêtés. En même temps, si on l'a vraiment dans la vraie vie, on n'éprouve pas le besoin d'écrire, et c'est sûr, ça traduit une fêlure. Puis, au delà de la fêlure, je l'ai analysé à cause du type même de famille dans laquelle j'étais. C'est-à-dire que je suis arrivé au monde pour succéder à la mort d'une sœur que je n'ai pas connue. J'avais un frère et une sœur beaucoup plus âgés et entre deux, une sœur qui est morte des bombardements alliés à la fin de la guerre de 40, et ma mère, ayant hésité longtemps avant d'avoir un autre enfant, a fini par m'avoir donc et par me dire souvent des phrases du genre : tu m'as sauvé la vie, tu m'as redonné goût à la vie. Autant de phrases qui m'ont semblé extrêmement positives lorsque j'étais enfant et adolescent, mais qui après, avec le recul, me paraissent aussi chargées d'une espèce d'exigence, comme si, quand on a reçu cela, c'est aussi un poids, et il faut en faire quelque chose, et la seule chose que je savais vraiment bien faire c'était d'écrire, donc c'était sûrement l'écriture.
Philippe Chauveau
Vous avez choisi l'enseignement, l'enseignement des lettres notamment. Il y a aussi la découverte de la littérature. Je sais que Colette compte beaucoup dans votre Panthéon littéraire. Quels sont les auteurs qui vous ont influencé et qui peut-être, inconsciemment, vous ont donné vous-même envie d'écrire ?
Philippe Delerm
Colette, c'est tout-à-fait à fait juste, par deux aspects qui me sont très chers : par la sensualité de l'écriture, le fait de pouvoir rendre compte de toutes les odeurs, les couleurs, les façons de sentir. Mais aussi par son statut même. Colette a écrit beaucoup de romans, mais ce que l'on a gardé d'elle, ce sont précisément plutôt des recueils de textes courts, qui ne sont pas des nouvelles. Sido ou La maison de Claudine, ce ne sont pas des nouvelles, mais plutôt des recueils de textes courts, de fragments aussi. Et donc, cette idée que l'on peut être écrivain sans forcément être romancier. Et par ailleurs, l'autre pôle évidemment encore plus prégnant, c'est Proust, qui a longtemps été plutôt dissuasif, puisque je l'ai découvert au début de mes années d'études à Nanterre et tout d'un coup, tellement écrasé par cette façon de voir qui change votre façon de voir la vie, car vous prenez les lunettes de Proust pour tout regarder et vous vous dîtes, à quoi bon écrire, ce serait tellement dérisoire par rapport à ça, et qui paradoxalement, est aussi pleine d'autorisation d'écrire, parce qu'il y a là-dedans des tas de choses dont on se dit qu'elles n'ont rien à faire dans ce que l'on appelle traditionnellement un livre. Vous ouvrez A la recherche du temps perdu, et vous voyez cette idée un peu paradoxale, le désir de trouver le sommeil me réveillait, et vous vous dites, ah oui, c'est vrai, ça m'est arrivé souvent à moi aussi, mais je n'aurais jamais pensé que cela puisse être la matière d'une œuvre littéraire.
Philippe Chauveau
Ca veut dire finalement que lorsque Proust écrit sur la saveur de la madeleine et du thé, et que lorsque Philippe Delerm écrit sur la saveur de la première gorgée de bière, on est un petit peu dans le même univers ? Philippe Delerm Oui, on est un peu dans le même univers. Il y a souvent un petit côté madeleine de Proust dans les textes que j'écris. D'avantage encore dans La première gorgée de bière que dans le nouveau recueil. Parce qu'il y a maintenant, avec le temps qui passe aussi, non seulement le fait de rechercher des sensations intenses comme dans l'enfance, un peu comme la madeleine de Proust, mais il y a aussi le temps qui passe et la peur du temps qui passe et la fragilité des instants qui deviennent d'autant plus précieux qu'on les sait menacés.
Philippe Chauveau
Vous avez écrit également des romans mais c'est vrai que lorsque l'on cite votre nom, lorsque l'on parle de Philippe Delerm, instinctivement, ce qui revient, c'est La première gorgée de bière, et ce sont toujours ces textes courts. Est-ce que parfois vous avez peur d'être enfermé dans cette écriture, et vous avez envie de dire : je sais faire autre chose ?
Philippe Delerm
Je ne sais pas si j'en ai envie. Je pense que finalement, j'ai de la chance. Déjà, j'ai de la chance de rencontrer le succès, ça c'est évident. Mais rencontrer le succès avec une chose qui est vraiment vous, c'en est une autre. J'assume complètement. Je me battais beaucoup pour publier ce type de texte, et j'ai eu beaucoup de mal à les faire. Et je pense que c'est de loin ce que je préfère faire. Il y a d'autres écrivains qui sont un seul livre comme André Dhotel et Le Pays où l'on n'arrive jamais. Ce qu'il y a c'est que c'est plus élégant d'être un pays où l'on n'arrive jamais qu'une gorgée de bière mais bon, je n'ai pas choisi.
Philippe Chauveau
Votre actualité Philippe Delerm, Les eaux troubles du mojito et autres belles raisons d'habiter sur terre. Vous êtes publié aux Editions du Seuil.
Philippe Delerm
Les eaux troubles du mojito
Livre 5'41Philippe Chauveau
Philippe Delerm, on vous a connu comme romancier. Il y avait eu Sundborn ou les jours de lumières, plus récemment, Elle marchait sur un fil. Mais c'est vrai que lorsque l'on cite votre nom, Philippe Delerm, instinctivement vient La première gorgée de bière, viennent ces textes courts. Est-ce qu'il y a une définition sur cette écriture. Est-ce que c'est un genre à part entière, est-ce que ce sont des mini-nouvelles ? Comment traduisez-vous votre travail ?
Philippe Delerm
Il n'y a pas de terme. Je le regrette un petit peu, mais en fait, on n'a jamais trouvé mieux que texte court. Ce ne sont vraiment pas des nouvelles parce que dans la nouvelle il y a quand même l'idée de raconter une histoire, souvent aussi dans la nouvelle française, d'avoir une chute. Ce ne sont pas des fragments parce que ça ne fait pas partie d'un tout, sauf si on considère que ce tout, c'est la vie même et là alors oui, ce serait des fragments. L'adjectif fractal me paraît par contre, tout en étant prétentieux, me paraît juste parce qu'il y a quand même cette idée que saisir le minuscule atome de neige, c'est saisir un peu toute la structure de la neige en même temps. Donc il y a un petit peu de ça derrière, bien sûr, cette façon d'appréhender aussi des choses dont je me dis que l'on n'a pas parlé encore en littérature. Parfois je me suis trompé. Par exemple dans La première gorgée de bière, j'ai écrit sur le bruit de la dynamo sur le pneu d'un vélo. Ca me semblait un sujet un peu étroit. Et puis un écrivain que j'aime beaucoup, François de Cornière, avait écrit un texte là-dessus. Donc on est parfois un peu surpris de rencontrer la singularité des autres. Mais c'est vrai que le premier de tous ces textes, c'était un texte sur le fait de mouiller ses espadrilles dans La première gorgée de bière. Et ça aussi c'est excitant de prendre des choses qui n'ont pas l'air littéraire à priori et d'essayer de les faire devenir un peu littéraire.
Philippe Chauveau
Alors volontairement, j'ai cité deux de vos romans. Et puis après j'ai rappelé que effectivement, le grand public vous connait aussi pour ces instantanés de vie que vous nous proposez. Dans Les eaux troubles du mojito, vous avez sous-titre autres belles raisons d'habiter sur terre. Ce livre est résolument positif. Il y a certains textes courts qui sont plus difficiles que d'autres, notamment dans cette maison où des personnages âgées sont atteintes d'Alzheimer. Mais finalement, ce sont des petites histoires qui donnent envie d'avancer dans la vie.
Philippe Delerm
Oui, c'est vrai. J'ai beaucoup privilégié aussi la lumière dans ces textes. Il y a beaucoup de textes d'été, de lumière d'été. Comme vous dites, il y a aussi des choses plus dures parce qu'il se trouve que j'ai 64 ans, je suis un petit peu à cheval sur pas mal de générations dans la vie, que d'un côté je m'occupe de mes petits enfants, et que c'est une façon très roborative d'être présent dans l'existence, et je les évoque un petit peu dans le recueil, et j'évoque aussi des moments passés avec des personnes âgées qui sont tout-à-fait en fin de vie et que j'accompagne aussi. Mais malgré tout, ça déclenche un sentiment d'urgence du temps qui passe, d'être à cheval sur toutes ces générations bien sûr. Et un petit peu de recul aussi puisque je ne suis plus enseignant et que j'ai davantage de temps de regarder le spectacle et d'avoir cette sensation du temps qui coule. Mais c'est vrai que fondamentalement, il y a aussi le sentiment que c'est une façon d'être privilégié comme ça, dans l'existence. D'autant plus que je pense avoir la faculté de saisir la sensualité des choses aussi, d'essayer de les arrêter, et cette espèce de sentiment curieux que malgré cette presque possibilité de les arrêter parfois, je dois bien reconnaître qu'elles sont aussi très fortement menacées, et puis souvent aussi qu'elles vont chercher des choses dans l'intensité de l'enfance. Quand par exemple j'ai choisi comme titre le mojito, le fait de s'abîmer dans un verre de mojito, pour moi c'est assez proche de choses que je pouvais faire quand j'étais enfant, de contempler par exemple à la fin d'un petit déjeuner un pot de gelée de groseille et puis d'imaginer que je glissais dans des espèces de glaciers rouge à la surface du pot de gelée de groseille, c'est un pouvoir d'enfance que j'ai essayé de préserver.
Philippe Chauveau
Lorsque vous écrivez ces textes courts, moi je traduis ça des instantanés de vie, pensez-vous déjà au lecteur à qui vous allez offrir ces textes courts, ou finalement, les écrivez-vous aussi pour vous-même pour garder intact l'instant ?
Philippe Delerm
Il se trouve que l'écho de ces textes, évidemment, ce serait hypocrite de ne pas le reconnaître, fait que les gens m'ont souvent dit, ce que j'aime bien c'est que vous parlez de ce que je n'aurais pas su dire. Et je crois que le plus beau compliment que l'on m'ait fait sur ce premier recueil, la première gorgée de bière, c'est la première émission aussi que j'ai faite avec Bernard Pivot, ça faisait 20 ans que j'attendais ça, je me souviens très bien de ce soir là, parce que j'avais cours jusqu'à 5h et puis j'étais venu en voiture jusqu'à Paris. Et avec vraiment le sentiment que ma vie allait peut-être changer. Et ça a été le cas. Et il y a eu l'un des invités sur le plateau que l'on vous fait rencontrer avant qui, au lieu de me saluer normalement, m'a dit « ah le salaud ! » et j'ai trouvé que c'était vraiment le plus beau compliment que l'on m'ait jamais fait sur ce livre parce que je pense que « ah le salaud » ça voulait dire « ah, c'est juste ce que j'aurais voulu écrire ».
Philippe Chauveau
Quel est le compliment, la plus belle remarque qu'un lecteur ou un lectrice vous ait faite ?
Philippe Delerm
Il y a une réflexion d'un critique, un chroniqueur d'une émission de France Inter qui m'avait accueilli en faisant un petit chapeau de présentation sur moi qui avait dit : on a tous baigné dans la rivière de l'enfance, mais Philippe Derlerm lui y est resté mouillé. Si on a envie d'être sympa avec moi, je trouve que c'est assez juste.
Philippe Chauveau
Philipp Delerm, Les eaux troubles du mojito, et autres belles raisons d'habiter sur terre. Vous êtes publié aux éditions du Seuil. Merci beaucoup.
Philippe Delerm
Merci à vous.