Joëlle Chevé

Joëlle Chevé

L'Elysée au féminin

Livre 9'40'

Philippe :

Joëlle Chévé, vous avez choisi un sujet qui a été au cœur de l'actualité il y a quelques mois. Même si c'est un livre dont vous nous aviez déjà parlé avant parce que vous y avez consacré de longs mois. Vous avez choisi de parler des femmes qui se sont succédés à l'Élysée, depuis les débuts de la IIe république jusqu'à la première dame actuellement en place, Brigitte Macron. Comment avez vous travaillé ? Pour en savoir un peu plus sur Anne-Aymonne Giscard D'éstaing ou Bernadette Chirac il y a des documents, il y a des images etc... Pour celles qui furent les premières dames de la IIe et de la IIIe République ça a surement été plus compliqué, quels ont été les documents que vous aviez à disposition ?

Joëlle :

Il faut aller à la pêche, si j'ose dire, donc vous travaillez sur les biographies de présidents, sur les ouvrages généraux sur la IIIe République et beaucoup avec la presse.

Philippe :
D'ailleurs vous évoquez Madame Auriol, qui à la fin du septenat de son mari a expliqué que les journalistes avaient fait vivre un enfer à elle et à sa famille. C'est une constante ?

Joëlle :
Oui c'est une constante. Les femmes de président sont vraiment le maillon faible, on s'attaque à elle pour attaquer le président. Et les premiers présidents socialistes de l'histoire de la république. Donc sous le feu des attaques d'une presse de droite qui est encore très puissante, mais en même temps un couple très populaire, donc le couple Auriol est parti en effet, très amer des attaques des journalistes, et très contents de quitter l'Élysée, comme la plupart des couples présidentiels.

Philippe :

Il y a des personnages facinants, que ce soit les présidents ou leurs épouses. Il y a le couple Mac Mahon par exemple, qui brille de mille feux, on sort du second empire et de ces fêtes exceptionnelles, après on aura une austèrité toute républiquaine, et puis il y a les Mac Mahon qui font la transition..

Joëlle :
Oui ! Il y a eu Thiers avant, qui n'est pas resté très longtemps. Et Thiers était un monarchiste qui était passé à un républiquanisme modéré. Et là on se retrouve avec les Mac Mahon, un couple qui est monarchiste, puisque la majorité à la chambre est encore monarchiste. On voit un couple qui est très briant, elle en particulié, lui a quelques petits problemes pour s'exprimer. Elle a des grands projets pour l'Élysée, et on est en prise directe avec les fastes du second empire, et elle va donner à l'Élysée un éclat incontestable à une époque ou la république est encore entourée de monarchie. Donc il n'est pas question que cette république naissante se montre inférieure dans le faste, dans le luxe... On nous dit toujours « nous avons encore des mœurs monarchiques... » mais ces mœurs sont héritées, ce sont nos traditions que la République a repris à son compte, et elle avait pas le choix en même temps.

Philippe :
Ce qu'on apprécie dans votre livre c'est qu'il y a le travail de l'historienne, et puis il y a aussi le talent de l'auteure, vous avez une formation littéraire. Et il y a certains passages qui sont vraiment très prégnants comme pour Madame Doumer, la veuve blanche, ou alors Madame Coty qui meurt pendant le mandat de son époux. Et la on sent que vous aviez une vraie sensibilité pour ces femmes là.

Joëlle :
Oui, pour Blanche Doumer en particulié. Son mari a été assassiné et elle a perdu quatre fils à la guerre de 14. Avec un mari on ne peut plus traditionnel, qui écrivait « une femme est une page blanche sur laquelle l'homme écrit tout les jours », ce qui lui a permis de lui faire huit enfants ! On est dans une vision très traditionnelle des femmes, et acceptée par cette femme, qui va être solicitée pour ralumer la flamme du soldat inconnu, incarnant la France martyre de la grande guerre.

Philippe :
Nous avons tout un chapitre sur les femmes de présidents les plus récentes, et à chaque fois vous avez mis un petit adjectif : « Bernadette toujours prête », « Danielle la rebelle », « Anne-Aymonne la sérieuse »... Alors que les autres femmes de présidents, vous ne leur avez pas forcément accolé ce petit adjectif.

Joëlle :
Cela tient au fait que les sources sont plus abondantes sur les femmes de la Ve république, sources souvent journalistiques c'est vrai alors il faut faire le tri...

Philippe :
Et vous avez peut-être la dent un peu plus dure pour les plus récentes

Joëlle :
Peut être parce qu'on les connait mieux, mais aussi parce que j'ai été facinée en revisitant la IIIe et la IVe de voir l'élévation morale de ces présidents. Je pense par exemple à la passation de pouvoir entre Auriol et Coty. Le président Auriol recevant le président Coty, et lui disant « je suis rentré à l'Élysée en parvenu, je veux que mon successeur y rentre en roi ». Imaginez cela aujourd'hui... On est très loin de tout ça, ces présidents qui refusent la retraite, qui refusent tout avantage financier, qui paient leurs timbres poste. Donc la on est rentré dans un autre monde dans la Ve République, surtout à partir des mandats Mittérand-Chirac.

Philippe :
Lorsque des premières dames sont bafouées comme celle dont le mari meurt dans les bras de sa maîtresse ou lorsqu'un président tombe d'un train... Il n'y a jamais eu de femme rebelle dans ces épouses de présidents ?

Joëlle :
Non en fait, la seule que nous voyons se rebeller c'est Cécilia Sarkozy, elle est exceptionnelle. C'est la seule qui part. Elle est partie une permière fois, elle revient pour assurer l'éléction de son mari, qui est persuadé que sans une femme il ne gagnera pas l'éléction. Elle revient, elle fait la campagne avec lui et elle repart après parce c'est une femme libre qui avait envie de vivre autre chose, qui n'aimait plus son mari et qui n'allait pas rester pour les avantages de la fonction.

Philippe :

Votre livre est arrivé à un moment clé de l'actualité, puisqu'il y a eu cette volonté de donner un statut ou une charte au rôle de première dame, c'est l'une des missions que s'était fixé Emannuel Macron en arrivant à la présidence. Vous parlez d'une boîte de Pandore lorsque l'on aborde le sujet des premières dames dans vos dernières pages. Vous dites que parler des femmes de présidents c'est un peu la boite de Pandore, vous avez eu l'occasion de faire une interview de Brigitte Macron, quelle est selon vous le rôle de la femme du président ?

Joëlle :
Je dirais qu'il n'a pas beaucoup changé depuis Notre Dame de Ternidor, Madame Tallien jusqu'à ajourdhui

Philippe :
Comment le faire évoluer ?

Joëlle :
Mais pourquoi devrait-il évoluer ? C'est la question que je pose... Il n'y a aucune raison qu'il évolue... Nous élisons un président, la constitution ne parle pas de la femme du président, il peut très bien être célibataire. Nous élisons un président, sa femme est liée à lui par les liens du mariage, qui sont des liens juridiques, maintenant une première dam pourra très bien avoir envie dans le futur de faire autre chose que d'accompagner son mari. Le couple actuel est un couple très fusionnel, avec une première dame qui a sa carrière derrière elle, qui souhaite être au près de son mari, si on l'exclue, elle ne le verra jamais. J'ai trouvé que ce terme de charte était très habile parce qu'il fait passer en douceur ce qu'un statut n'aurait jamais pu faire passer.. Pas question de donner un statut juridique à une première dame mais par contre de lui laisser la liberté, eventuellement de remplir ce rôle qui est traditionnel, mais que rien ne l'oblige à remplir.

Philippe :

Une toute dernière question Joëlle Chevé, parmis toutes les femmes que vous avez découvertes en écrivant cet ouvrage, pour la quelle avez vous le plus d'affection ?

Joëlle :
Je ne suis pas là pour les aimer ou ne pas les aimer. On peut être plus sensibles à certains parcours. C'est vrai que celui de Mme Auriol m'a paru assez exemplaire : fille d'artisan verrier, se marrie avec un grand avocat, et qui va redonner un lustre à l'Élysée avec une classe étonante, après la réouverture de l'Élysée après la 2nde Guerre Mondiale. Mais je les trouve toutes étonantes, attachantes, aucune n'a rempli la fonction de la même façon, sur trente personnages ! Avec des contraintes constitutionnelles, sociales, qui étaient toutes différentes. Et j'aurai un petit mot particulié pour Yvonne De Gaulle qui me paraît la plus énigmatique, la plus secrète et certainnement celle qui a été au dessus de la fonction. Rien ne pouvait la séduire, elle n'a jamais laissé une interview, il n'y a pas une seule photo privée, nous ne connaissons même pas le son de sa voix, elle est très étonante Yvonne De Gaulle.

Philippe :
C'est votre actualité Joëlle Chevé, c'est un livre passionant que vous publiez aux éditions du Rocher, ça s'appelle « L'Élysée au féminin de la IIe à la Ve République ». Merci beaucoup.

Joëlle :
Merci.

  • PRÉSENTATION
  • PORTRAIT
  • LIVRE
  • Joëlle Chevé est une historienne reconnue. Ses travaux sur la noblesse française de province font référence. Parallèlement à ses recherches, elle est aussi journaliste et fait notamment partie de la rédaction du magazine « Historia ». Parmi ses publications, Joëlle Chevé s'est souvent intéressée à la place et aux rôles des femmes proches du pouvoir dans la grande Histoire. On lui doit par exemple une biographie de Marie-Thérèse d'Autriche, l'épouse de Louis XIV, ou encore cet ouvrage sur les courtisanes au fil des...Replay 2018 de Joëlle Chevé - Présentation - Suite
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