Anne-Dauphine Julliand

Anne-Dauphine Julliand

Jules-César

Livre 00'07'03"

Philippe Chauveau :

Avec ce qui est donc votre premier roman, Anne-Dauphine Julliand, nous faisons connaissance avec Jules-César. Quel drôle de nom pour ce petit bonhomme qui nous vient du Sénégal. Il vit là-bas avec son frère Simon, avec son père Augustin et sa maman Suzanne, et la grand-mère aussi, dont on reparlera. Toute cette petite famille vit au Sénégal, mais il y a la maladie qui plane sur eux, sur Jules-César. C'est le point de départ de votre roman. Présentation de Jules César et de sa famille. Qui sont-ils ?


Anne-Dauphine Julliand :

C'est une famille de Casamance, du sud du Sénégal, une famille heureuse. Jules-César a presque sept ans, c'est un petit garçon plutôt épanoui, plutôt joyeux dans la vie, si ce n'est qu'il a les reins qui ne fonctionnent plus. Cela le contraint quand même beaucoup parce qu'il va souvent à l'hôpital et n'a pas beaucoup d'espoir de guérison. Il est accompagné en effet de sa maman, pour laquelle il a une passion dévorante et qui le lui rend bien parce qu'elle se consacre complètement à cet enfant malade. Il a un grand frère, Simon, pour lequel il a une grande admiration. Simon, qui a 11 ans, qui joue au foot comme lui aimerait jouer au foot et qui, du coup fait, lui, l'admiration de son père Augustin. Augustin n’a même pas 30 ans, c'est un tout jeune papa qui a gravi les échelons petit à petit d'une entreprise. Il en est très fier et est très fier de sa réussite sociale. Tout cet équilibre va être bouleversé par la maladie et la nécessité pour Jules-César de se faire soigner en France.


Philippe Chauveau :

Justement, vous faites le choix de placer le début du roman en Casamance, au Sénégal. Jules-César est pris en charge par les hôpitaux locaux. Il a la dialyse régulièrement, mais il sait qu'au Sénégal, il ne pourra jamais avoir une greffe de rein. Pourquoi avoir choisi le Sénégal ? Est-ce lié à un souvenir personnel ? Avez- vous eu l'occasion d'aller là-bas, d'être confrontée au milieu médical sénégalais ? Pourquoi le choix de ce pays ?


Anne-Dauphine Julliand :

C'est un pays que je connais bien pour y avoir été plusieurs fois. Et puis, pendant toute ma vie difficile, toutes les années avec mes filles, j'ai été accompagnée par une femme qui s'appelle Thérèse, qui s'est occupée de mes filles comme personne ne pouvait envisager de le faire, avec un amour incroyable et aussi avec sa culture africaine, cette façon de prendre soin, même de toucher les malades. C'est vraiment quelque chose. Elle m'a ouvert complètement le cœur à l'Afrique et aux traditions africaines, à tout ce que l'Afrique a de beau, à ses limites également. Donc, je me sentais suffisamment familière du Sénégal pour en parler. Et puis, parce que le Sénégal a justement cette particularité de ne pas avoir d'accord avec la France pour les soins et de ne pas pouvoir greffer du tout. Donc, cela complexifiait un peu la situation de Jules-César et d'Augustin et ça la rendait intéressante.


Philippe Chauveau :

On a parlé de Jules-César, de son frère et de ses parents. Il y est aussi la grand-mère qui est importante. Dans les premières pages, nous sommes vraiment dans l'ambiance du Sénégal, dans l'ambiance africaine, avec ses traditions, ses couleurs et ses senteurs. On est dans le quotidien de cette famille. Pourquoi la grand-mère est-elle importante dans l'histoire ?


Anne-Dauphine Julliand :

Pour moi, la grand-mère représente la spiritualité, la sagesse. Elle représente les racines aussi, les racines de Jules-César et bien plus que celles de Jules-César d'ailleurs. Augustin veut s'en émanciper de tout ça mais Mam l'incarne encore. Elle a toutes ses croyances, elle a même des rites locaux. Elle est attachée à la nature et à différents dieux auxquels elle croit. Elle mélange un peu la foi catholique et la foi de ses ancêtres. Ce sont ces racines qu’elle transmet à Jules-César, l’ancrant dans son pays alors qu'il va devoir se déraciner.


Philippe Chauveau :

Jules-César et son père Augustin vont se déraciner tous les deux. Ils vont prendre d'abord un taxi puis ensuite l'avion pour arriver en France. Il y a les premiers jours d'émerveillement durant lesquels la tante Rosalie les emmène visiter Paris et voir la tour Eiffel. Puis après, il y a le quotidien, l'hôpital, une nouvelle école, etc… C'était important pour vous de montrer la difficulté pour ces deux hommes africains arrivés sur le territoire ?


Anne-Dauphine Julliand :

Ce livre, pour moi, interroge beaucoup notre humanité à plein d'égards. Qu'est-on prêt à faire pour soigner celui que l'on aime et qui est malade ? Car Augustin le fait plus par amour pour sa femme que par amour pour son petit garçon, dont il ne se sent pas du tout proche et qui l'effraie. En fait, c’est la maladie qui l'effraie. Mais cette histoire, c'est aussi notre humanité. Qu'est-on est prêt à faire pour aider celui qui va mourir parce qu'il ne peut pas être soigné chez lui ? C'est un peu ça.


Philippe Chauveau :

Il est important de parler de la relation compliquée entre Augustin et son fils Jules-César. Il y a de l'affection certes, mais, vous le disiez, la maladie a creusé un fossé. Jules-César quête l'amour de son père là où son père a beaucoup de mal à lui témoigner son affection.


Anne-Dauphine Julliand :

Exactement. Car la maladie transforme les relations, on le voit très fréquemment. Là encore, j'ai voulu interroger la paternité face à la maladie. On est beaucoup de mères à nous exprimer sur la maladie mais on interroge rarement les hommes. Là, j'ai campé un père confronté à la maladie de son fils, qui va presque donner sa vie pour sauver celle de son fils. En fait, ce qui dérange le plus Augustin, ce n'est pas que Jules-César soit mauvais au foot ou qu'il n'arrive pas à courir, c'est que Jules- César le met face à ses propres fragilités à lui. Jules-César confronte Augustin à ses limites de père, à la souffrance et la peur de le perdre également. Et plutôt que de d’accueillir sa fragilité, il se barricade. Il ne veut pas souffrir.


Philippe Chauveau :

Il y a donc ces deux personnages, ce père et ce fils, Augustin et Jules-César. Mais il y a beaucoup d'autres personnages qui gravitent autour d'eux. Un petit mot sur monsieur Jean-Jean ? C'est le voisin de Tata Rosy, un homme âgé, un peu bougon, toujours un peu revêche, qui va se prendre d'affection pour le petit Jules-César. Pourquoi est-ce important qu'il y ait aussi ce personnage ? Etait-ce une façon de camper la société française ?


Anne-Dauphine Julliand :

Oui, c'est nous ce personnage, vraiment ! Mais j'ai beaucoup d'affection pour monsieur Jean-Jean. En fait, c'est un peu chacun de nous. Monsieur Jean n'est pas méchant, il est aigri parce que la vie ne lui a pas apporté ce qu'il voulait. Il voit ce petit garçon arriver chez sa voisine. Il est tout le temps à observer. Il est très malade, atteint d'un cancer et se balade avec son chariot à oxygène. Finalement, il va s'attacher à Jules-César aussi parce qu'ils sont tous les deux malades, parce qu'ils sont tous les deux atteints. Et puis, parce qu'il va découvrir que le bonheur est possible et que Jules-César l'invite à être heureux, même si sa vie touche à sa fin. Jules-César semble lui dire : « Soyez heureux quand même, maintenant, il vous reste un peu de temps pour l'être ».


Philippe Chauveau :

Voilà un livre, un roman, qui est un gros coup de cœur et un grand rayon de soleil. Un livre qui fait du bien, même si, effectivement, vous parlez de choses graves et de choses douloureuses. Vous nous parlez surtout d'humanité, d'amour, cet amour entre un entre un père et son fils. « Jules-César », le premier roman d'Anne-Dauphine Julliand est publié aux éditions Les Arènes. Merci beaucoup.

  • PRÉSENTATION
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  • LIVRE
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