Irène Frain

Irène Frain

Je te suivrai en Sibérie

Livre 00'07'12"

Philippe Chauveau :

Dans ce livre, Irène Frain, vous allez nous emmener dans une aventure incroyable, avec une femme qui l'est tout autant. Elle s'appelle Pauline. Elle est née en Lorraine. Aujourd'hui, on ne la connaît pas très bien en France même si en Russie elle a laissé des traces. C'est un personnage authentique que vous avez découvert. Vous allez nous expliquer comment. Voilà une femme absolument incroyable. Si je résume, est elle donc née en Lorraine, elle va partir en Russie où elle va être modiste et puis l'amour va l'emmener jusqu'en Sibérie où elle va accompagner son homme, exilé par le tsar. Comment avez-vous découvert cette femme ? Qui est Pauline ?

Irène Frain :

Je le dis franchement, c'est une éditrice qui m'a tendu ses mémoires publiées en 1975 par les Soviétiques à l'occasion du 150e anniversaire de la révolte des aristocrates russes contre le tsar qu'on appelait les Décembristes. Et moi, cela ne me tentait pas du tout. Je vais vous faire un mauvais jeu de mots en vous disant que je n'étais pas chaude pour la Sibérie ! Donc je lis ça, je m'y plonge un soir. Seulement, à 4 heures du matin, j’étais toujours dans ce livre ! Les mémoires de Pauline Geuble sont à la fois saisissantes, elliptiques, parfois très détaillées, embrouillées, par d'autres moments confuses mais souvent très claires, à tel point que je la croie à côté de moi. Mais surtout, elles sont inachevées.

Philippe Chauveau :

C'est ça qui vous a poussée ?

Irène Frain :

Frustration absolue de madame Frain et placards à ouvrir ! Je découvre aussi, en faisant quelques recherches, qu'elle a fait l'objet, à l'époque, de deux portraits contradictoires de Dostoïevski et Dumas. Dostoïevski, lui, est ébloui. Pour lui, c'est la Madone, la sainte, la guérisseuse, une femme lumineuse, radieuse, incroyable, qui donne du courage alors qu'elle est quand même dans l'un des pires bagnes du goulag. Or, un autre portrait d’Alexandre Dumas, fait d'elle une jolie femme de Paris, très coquette et un brin légère. Je me demande alors qui a raison ou qui a tort. Donc il faut que je comprenne. Et c'était parti…

Philippe Chauveau :

La force de votre livre, c'est que, non seulement, vous allez nous raconter le parcours incroyable de cette petite Lorraine qui va aller jusqu'en Sibérie mais vous nous racontez aussi vos recherches en nous parlant de la Russie d'aujourd'hui et les rencontres que vous avez faites, la façon dont vous avez déniché des documents complètement inédits. Vous employez alors un ton très franc, très fantasque, très drôle aussi parfois. Précisons-le, il y a beaucoup d'humour dans votre livre. Vous nous racontez tout ça comme si nous étions dans votre salon. Vous nous racontez la vie de Pauline comme si nous étions près de vous.

Irène Frain :

Mais c'est mon obsession de la résurrection. Donc, quand je parle de Pauline, et c’est quand même la majorité du texte, je parle le français que j'aime, celui qui est le mien, un français la plupart du temps ciselé et châtié. Mais c'est vrai aussi, quand je suis en reportage, pendant quelques brèves pages, j'emploie des mots contemporains.

Philippe Chauveau :

Je ne vais pas rentrer volontairement dans la vie de Pauline parce que vous la racontez tellement bien dans ce livre. Elle est parfois très attachante, elle est parfois exaspérante et irritante mais c'est surtout une femme amoureuse. Parce que si elle fait tout cela, cette petite Lorraine devenue modiste à Moscou et qui va partir en Sibérie, c'est bien pour retrouver l'homme de sa vie, pour retrouver son son amoureux. C'est ce que vous aimez chez elle, c'est une femme amoureuse. Est-cela qui vous a séduit chez elle ?

Irène Frain :

Bien sûr ! C'est elle qui la première a dit dit : « Je vais te suivre en Sibérie ». Elle s'était introduite dans la forteresse de Saint-Pétersbourg. Son amant n'était pas marié à l'époque. Elle venait d'avoir un enfant de lui donc elle était dans une situation précaire aussi bien matériellement que socialement. Elle a juré qu’elle le suivrait en Sibérie et elle l'a fait.

Philippe Chauveau :

Au-delà du portrait de cette femme qui va fédérer autour d'elle, que ce soit à Moscou ou plus loin en Sibérie, c'est aussi une vision de la Russie du 19ème siècle que vous nous racontez.

Irène Frain :

Oui, ce sont des gens qui vivent à la française, qui ont une vision de la France peut-être un peu décalée, qui parle un français très élégant mais un peu suranné, qui mangent des plats de l'époque de Louis XIV, comme du pot au feu de cygne. Ce sont aussi des gens qui ont, au départ, un milieu de vie extrêmement raffiné entourés de valets à foison. Et d’un coup, en Sibérie, ils vont se retrouver sans rien. Plus de fortune, quelques vêtements élimés peu adaptés à la Sibérie et, dans l'adversité, ils vont continuer ce mode de vie très élégant, à la française, où on dit "ces dames" en parlant de Pauline et de ses amies, on fait des baise-main, on s'incline. Mais, en même temps, il faut qu'ils survivent ; ils n'ont guère à manger et ils sont reclus et derrière les murs de leur prison Ce qui est extraordinaire, c’est que, grâce à l'élan vital que leur donnent les femmes, ils vont créer une mini république à la française avec des élections, avec des délégués et avec des principes d'égalité. En cela, ils vont devenir très vite des icônes, C'est ça qui est totalement baroque chez ces hommes toujours très élégants d'ailleurs.

Philippe Chauveau :

En nous parlant de Pauline, vous nous faites le portrait d'une femme résolument moderne.

Irène Frain :

Oui, parce qu'elle n'a pas peur de l'espace. Elle n'a pas peur de la vitesse. C'est une femme qui va tambour battant. De nos jours, ce serait une executive woman, elle mènerait une entreprise du CAC 40. Elle a une vitalité, un bon sens aussi, un pragmatisme, tout en étant extrêmement droite car Pauline a une éthique.

Philippe Chauveau :

Continuez-vous à lui parler encore à Pauline ? Fait-elle encore partie de votre quotidien maintenant que vous avez offert son histoire aux lecteurs ?

Irène Frain :

Elle s'éloigne évidemment même si j'ai l'impression, en vous voyant, en voyant d'autres professionnels des média, que je porte la bonne parole de Pauline, sa lumière intérieure qu'a si bien décrite Dostoïevki. Mais, si vous voulez, je pense souvent à elle parce que j'ai traversé une difficulté importante pendant l'écriture de ce livre. Ce n'était pas une maladie, c’était une tragédie dans ma famille et Pauline m'a aidée à tenir. Evidemment, une tragédie ne s'éteint pas du jour au lendemain et dans les moments difficiles que je traverse, je pense à elle, je me réfère à elle et je me demande que qu’elle aurait fait Pauline.

Philippe Chauveau :

Voilà une femme absolument incroyable, un beau portrait de femme et aussi une belle histoire d'amour entre entre Pauline et Yvan. C'est votre actualité, Irène Frain, « Je te suivrai en Sibérie ». Le livre est publié aux éditions Paulsen. Merci beaucoup.

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  • Ouvrir un livre d’Irène Frain, c’est l’assurance d’une aventure, d’un voyage, de la découverte d’un destin. Ouvrir un livre d’Irène Frain, c’est aussi apprécier le talent d’une plume efficace. Depuis « Le nabab » en 1982, qui fut son premier succès de librairie, la petite bretonne qui rêvait d’évasion dans son école de Lorient a fait du chemin. Avec aujourd’hui une quarantaine de titres à son actif, Irène Frain est devenue une référence. « Modern style », « Quai des Indes », « Les naufragés...Ecrire est un roman d'Irène Frain - Présentation - Suite
    Philippe Chauveau : Bonjour Irene Frain. « Je te suivrai en Sibérie », ce n'est pas moi qui vous fait cette proposition mais c'est le titre de votre actualité chez Paulsen. Voilà un titre qui prend place dans une bibliographie déjà conséquente. Vous êtes pratiquement à une quarantaine d'ouvrages déjà. Tout a commencé en 1982 avec « Le nabab ». Mais il y avait eu une autre vie avant Irène Frain, puisque vous avez été professeur, enseignante. Lorsque vous faites le parcours, quelles sont les images qui vous reviennent...Ecrire est un roman d'Irène Frain - Portrait - Suite
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