Thierry Lentz

Thierry Lentz

Bonaparte n'est plus !

Livre 07'47"

Philippe Chauveau :

Thierry Lentz, « Bonaparte n'est plus ! », c'est votre actualité chez Perrin, voilà un titre accrocheur, un titre qui claque. On remarquera le point d'exclamation et le choix de « Bonaparte n'est plus », vous auriez pu titrer « Napoléon n'est plus », expliquez-nous ce titre.

Thierry Lentz :

C'est la façon dont les journaux ont annoncé la nouvelle dans le monde entier. Dans pratiquement tous les journaux, c'est la première phrase des articles consacrés à Napoléon : « Bonaparte n'est plus ». Plus personne ne l'appelle à ce moment-là Napoléon. Les anglais lui dénient son titre d'empereur, on l'appelle un peu partout Bonaparte. Comme on annonce sa mort c'est « Bonaparte n'est plus ».

Philippe Chauveau :

Forcément le titre accroche le regard. Nous sommes le 5 mai 1821, Napoléon rend le dernier souffle sur l'île de Sainte-Hélène, très loin de l'Europe. Ce qui est intéressant dans votre livre, qui se lit presque comme un roman, c'est quasiment au jour le jour, de façon chronologique, on tourne les pages en se demandant ce qu'il va se passer. C'est ce que vous expliquez dans la préface, il faut vraiment lire ce livre en faisant abstraction de tout ce que l'on sait des évènements à venir. Vous nous rappelez aussi que le traitement de l'actualité n'était pas le même qu'aujourd'hui. Ce qui veut dire qu'au moment de la mort de Napoléon au mois de mai et la nouvelle en Europe il s'est passé plusieurs semaines.

Thierry Lentz :

Il s'est passé deux mois. Napoléon meurt le 5mai, la nouvelle atteint l'Europe le 3 juillet. On continue à publier des choses en Europe sur la vie de Napoléon à Sainte-Hélène alors qu'il est déjà mort. Il y a même un article dans une revue russe je crois, où l’on écrit « il va beaucoup mieux, il en a encore pour dix ans » alors qu'il est déjà mort à ce moment-là !

Philippe Chauveau :

Ce sont les anglais qui, les premiers, vont être informés de la mort de Napoléon, et les français vont l'apprendre par les journaux anglais.

Thierry Lentz :

Les anglais font office d'agence de presse à l'époque puisque toutes l'information arrive au ministère de la guerre anglais et c'est le ministère de la guerre qui distille l'information à partir des rapports que lui envoie le gouverneur de Sainte-Hélène Hudson Law. Il y a vraiment une maîtrise complète de l'information par Londres.

Philippe Chauveau :

On ne dit plus Napoléon, on dit Bonaparte, comme si l'épopée napoléonienne n'avait jamais existé. Mais, curieusement, il n'y a pas d'exaltation au moment de la mort de Napoléon. On va même voir que certaines cours vont prendre le deuil, le tsar va remettre la Légion d'honneur que Napoléon lui avait remise, comme si finalement une fois mort on se disait « peut être qu'on l'a maltraité » ?

Thierry Lentz :

Il y a un peu de ça, mais il y a aussi une espèce de soulagement. Il faut bien voir que depuis six ans Napoléon est à Sainte-Hélène. On a assez peu de nouvelles de lui même si on a quelques protestations, des remontrances, qui ont été publiées mais on l'a quand même un peu oublié. D'abord parce que la vie a repris après les guerres. Rappelons toujours que la France a été occupée pendant trois ans entre 1815 et 1818 avec des indemnités de guerre et d'occupation qui étaient très dures à supporter. La Restauration a réussi à faire évacuer le territoire mais quand on regarde tout ce qu'il s'est passé en 1820-1821, on comprend que les gouvernements avaient d'autres soucis que ce prisonnier qui finit par mourir. Il meurt jeune, à 51 ans, mais ça soulage un peu tout le monde. Cela soulage le budget anglais, cela soulage en France même si on va continuer à surveiller le fils de Napoléon, le roi de Rome, qui est à Vienne. Mais la vie va pouvoir continuer comme elle était à ce moment-là.

Philippe Chauveau :

Tout l'intérêt de votre ouvrage est, qu'effectivement, vous nous racontez comment la nouvelle est perçue dans les différents pays et aussi dans les différentes strates, que ce soit les cours royales et les gouvernants, que ce soit la population. Vous nous racontez comment les grognards de la Grande armée voient ça, comment le Roi de Rome, dans sa « prison » de Vienne apprend la mort de son père, comment l'Archiduchesse Marie-Louise apprend la mort de son ancien mari. Il y a plusieurs regards très différents mais ce que vous nous dites, c'est que l'on est bien loin du mythe napoléonien qui va naître plus tard, à partir du retour des cendres, en 1840. Vous nous parlez d'une « mèche lente », sa mort ne fait pas l'effet d'une bombe, c'est une mèche lente.

Thierry Lentz :

Ce n'est pas l'objet du livre de dire qu’il ne s'est rien passé mais le résultat est un petit peu ça. On a pleuré en dedans mais on n'a pas pleuré en dehors. Sur le moment, il ne se passe rien, c'est la mort d'un homme ordinaire en quelque sorte. Le parallèle est un peu osé mais il a été fait à l'époque : c'est un peu comme la mort du Christ. Le lendemain de la mort du Christ, Jérusalem a recommencé à vivre comme l'avant-veille. C'est après, avec les Evangiles, que se développe le Christianisme. On est presque sciemment de la part des partisans de Napoléon dans ce schéma christique qui va aller jusqu'au saint sépulcre vide après le retour des cendres. Des gens continuent d'aller sur la tombe de Napoléon à Sainte-Hélène alors qu'elle est vide depuis 150 ans. C'est ça la mèche lente ! Les gens ne se rendent pas compte que la fin de la vie d'homme de Napoléon va permettre la naissance d'un autre Napoléon : le Napoléon libéral, le Napoléon amoureux des libertés, le Napoléon de la gloire etc…

Philippe Chauveau :

Vous qui avez exhumé des documents, vous qui avez étudié tout ce qu'il s'est passé après ce 5 mai 1821, avez-vous l'impression que la mort de Napoléon et les évènements qui en ont découlé sont conformes à ce que Bonaparte aurait souhaité ? Avait-il mis en scène sa propre mort ? Cela ressemble-t-il à ce qu'il avait imaginé à votre avis ?

Thierry Lentz :

Je pense qu'il a mis en scène sa mort puisqu'il meurt un peu comme Louis XIV, il meurt en public. C'est une mort de souverain. Je pense qu'il avait bien compris que, comme il l'a dit à l’un de ses domestiques, si le Christ n'était pas mort en croix il ne serait pas Dieu. Il va subir sa passion jusqu'au bout et ensuite ses évangéliste, et il le sait déjà, vont préparer des choses, il a dicté une quantité de textes qui vont être publiés après sa mort. Je pense qu'il a décidé de jouer la bataille de la postérité et non plus la bataille pour être libéré, pour être transférer en Europe et voir ses conditions de détentions être adoucies.

Philippe Chauveau :

Voilà un livre passionnant et, je le redis, qui se lit comme un roman de la première à la dernière page. Thierry Lentz, c'est votre actualité, « Bonaparte n'est plus ! » vous êtes publié chez Perrin. Merci beaucoup.

Thierry Lentz :

Merci.

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  • PORTRAIT
  • LIVRE
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