Alexandra Lapierre

Alexandra Lapierre

Belle Greene

Livre 00'08'13"

Philippe Chauveau :

Alexandra Lapierre, vous avez ce chic pour trouver des personnages que la grande histoire a oublié et qui pourtant, à un moment, ont fait partie de cette grande histoire. Voici Belle da Costa Greene, une femme que l'on connaît bien dans le milieu de l'art. Ce sont les Etats-Unis de la fin du 19ème et du début du 20ème siècle. Et pourtant, il y a tout un autre pan de son histoire que l'on ne connaît pas, que vous allez nous raconter dans ce livre. Comment arrive-t-elle dans votre vie, cette fameuse Belle Greene?

Alexandra Lapierre :

Elle est arrivée dans ma vie il y a 30 ans. Je travaillais sur Fanny Stevenson, dont je lisais les correspondances et les manuscrits de Robert Louis Stevenson. J'étais à la Morgan Library, la bibliothèque qui se trouve à New York, sur la trente sixième rue où je demandais les manuscrits de Fanny Stevenson. Et à chaque fois que je demandais un document, on me disait : " vous allez le chercher dans le bureau de Belle", au bout de quatre fois, je demande "qui est Belle ?", on me dit que c'était la directrice de la bibliothèque. Je demande si je peux la rencontrer, si elle pourrait répondre à des questions, mais elle est morte en 1950. Et puis j'étais à Rome, n'a rien à voir, trente ans plus tard, il y a maintenant cinq, six ans. Des amis me parlent des plus belles bibliothèques où nous avions travaillé. Et je dis que pour moi, l'un des souvenirs les plus forts, c'était la bibliothèque de New York, où il y avait cette directrice mythique. Donc, je rentre à la maison. Je me demande comment s'appelait cette directrice mythique? Et j'ai commencé à regarder, petit à petit elle avait tout pour me plaire. Parce que c'était une folle de livres, on avait ça en commun. Et tout d'un coup, de pouvoir raconter l'histoire d'une femme qui, au début du vingtième siècle, avait créé une bibliothèque qui était aujourd'hui une des plus extraordinaires au monde, alors qu'elle même n'avait pas le sou, qu'elle venait d'un milieu qui ne la destinait absolument pas à devenir ce personnage là, qu'elle avait eu cette passion des livres et des livres rares. La première a rapporter aux Etats-Unis des bibles imprimées par Gutenberg. Tout d'un coup, là, elle commençait à me hanter.

Philippe Chauveau :

Elle ne pouvait que rentrer dans votre panthéon personnel. Plantons le décor, lorsque vous parlez de ces fameuses librairies, de ces fameux lieux où sont regroupés des livres anciens. Ce n'était pas du tout l'image de notre petite bibliothèque de quartier. Ce sont vraiment des bibliothèques avec des incunables, avec des livres des premiers temps de l'imprimerie. Quelles sont elles, ces grandes librairies dans le monde?

Alexandra Lapierre :

Evidemment, il y a la Bibliothèque Nationale en France, il y a National Library en Angleterre. Et puis, il y a ces grandes bibliothèques américaines, la Morgan Library, cette bibliothèque de Belle. Mais au même moment, en 1900, tous les très riches Américains qui ont fait fortune dans l'acier et dans les chemins de fer comprennent qu'être riche ne suffit pas. Il faut aussi avoir la connaissance. Alors que certaines de ces personnes n'ont jamais ouvert un livre, ils vont commanditer en Europe des agents pour tout acheter et aller chez les aristocrates français, les aristocrates anglais leur proposer d'acheter leur bibliothèque entière.C'est ce moment fou.

Philippe Chauveau :

Il existe une frénésie. Parce que ces riches Américains vont vouloir avoir la plus belle bibliothèque comparée à celle du voisin. Ce que vous nous racontez dans le livre, c'est que ce fameux JP Morgan, qui est milliardaire, va faire confiance à cette jeune femme qui est née de rien, en quelque sorte. Il va lui confier les clés du royaume puisque c'est grâce à elle que la Morgan Library va devenir celle qu'elle est aujourd'hui avec des documents absolument incroyable. Il y a une relation très ambiguë. C'est un peu je t'aime moi non plus entre Belle Green et son patron. Il y a une relation de confiance, et en même temps, ils ne sont pas du même milieu.

Alexandra Lapierre :

Ils ne sont pas du même milieu et lui a le pouvoir. Donc, à tout instant, il la menace de la mettre à la porte. Belle va devenir la femme la plus payée d'Amérique. On est en 1910. Elle n'a pas de mari. Elle n'a pas de fortune personnelle. Elle a sa voiture de sport personnelle. Elle est d'une modernité par rapport à tous les combats d'aujourd'hui. Elle annonce vraiment tout ce qui se passe maintenant. Entre eux, ça va être une relation d'amour fou, parce qu'elle l'adore et elle lui doit tout. Et en même temps, c'est insupportable. Et c'est moi ce que j'ai beaucoup aimé chez Belle. C'est une femme à la fois libre et qui vit dans un enchaînement complet.

Philippe Chauveau :

C'est une femme flamboyante, qui sait user de ses charmes auprès des hommes. On sait aussi qu'elle a un grand goût pour la mode. Elle vient chez Poiret à Paris, pour découvrir les nouvelles tendances de la mode et elle réussit par son physique, parce qu'elle est très brune, à la peau très mate puisqu'elle prétend avoir des ascendances portugaises. Et c'est l'autre partie du personnage que vous mettez en avant. Et ce sont les recherches que vous avez faites et qui sont très innovantes. C'est qu'elle cache un secret, qui si elle l'avait dévoilé, ne lui aurait pas permis d'avoir cette vie.

Alexandra Lapierre :

Jamais. C'est quelqu'un qui vit sous les projecteurs puisqu'on évoquait le fait qu'elle serait la femme la plus payée d'Amérique et qui ment sur tout. Elle ne s'appelle pas Belle da Costa Greene. Elle n'a pas des ascendances portugaises de l'aristocratie comme elle l'a inventé. Elle n'est pas née en Virginie, dans une plantation avec une grand mère à demi hollandaise, blablabla. En fait, elle est afro américaine. Sauf que dans cette Amérique de la ségrégation, après les dix ans qui vont suivre l'abolition de l'esclavage et où les populations des anciens esclaves noirs et blancs auront le droit de vote, et les droits civiques, après 10 ans tout se referme. La ségrégation est pire que jamais 10 ans après la guerre de Sécession, en 1874. À partir de ce moment là, quiconque a une goutte de sang noir, c'est une loi, ça s'appelle la goutte de sang unique, est à jamais considéré comme une personne de couleur.

Philippe Chauveau :

C'est une histoire absolument passionnante que vous nous raconter. Tout est véridique et en même temps, vous avez choisi l'écriture romanesque comme vous le faites habituellement. Alors on l'a dit Belle Greene, c'est à la fois cette femme qui va faire carrière dans le monde de l'art et des livres anciens. Et puis cette femme, avec ce terrible secret lié à ses origines. En quelques mots, elle vous inspire quoi?

Alexandra Lapierre

Belle Greene, c'est l'incarnation de la vitalité. C'est quelqu'un qui a choisi son destin alors que c'était impossible en tant que femme, de couleur, pauvre. Elle a choisi son destin et elle a aimé la vie comme personne ne peut l'aimer. Elle savait qu'elle pouvait la perdre à tout instant. Et cette espèce de soif de vie, cette curiosité, elle le dit d'ailleurs : "Le problème avec moi, c'est ma curiosité. Je veux tout connaître". Elle veut tout connaître car elle peut tout perdre demain et j'ai trouvé ça formidable chez elle. C'est à la fois ce sens de la vie et elle le communique à tous les gens autour d'elle. Cette vitalité inouïe et cette peur de mourir à cause de cette chape de plomb qui est au dessus d'elle.

Philippe Chauveau :

Je vous l'ai dit en préambule, Alexandra Lapierre, je me suis régalé avec ce livre. C'est passionnant, de la première à la dernière page. Je vous le recommande vivement, Belle Greene, c'est aux éditions Flammarion. Merci beaucoup.

Alexandra Lapierre :

Merci.

  • PRÉSENTATION
  • PORTRAIT
  • LIVRE
  • Fille du journaliste et romancier Dominique Lapierre à qui l’on doit notamment « Paris brûle-t-il » ou « La cité de la joie », Alexandra Lapierre a grandi au milieu des livres. Après ses études à la Sorbonne, elle file aux Etats-Unis où elle ambitionne de travailler dans le milieu du cinéma. Finalement, l’écriture la rattrape et son premier titre, « La lionne du boulevard », publié en 1984, préfigure ce qui fera son succès, raconter la grande Histoire à travers ses personnages et par une écriture...Belle Greene d'Alexandra Lapierre - Présentation - Suite
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