Irène Frain n’a jamais oublié ses racines bretonnes. Elles furent d’ailleurs à l’origine de son premier livre, publié en 1979, « Quand les bretons peuplaient la mer ». Mais comme tous les bretons, elle a toujours eu soif d’aventure, de liberté et d’évasion. « Le nabab », son premier succès de librairie, mais aussi « La forêt des 29 », « Les naufragés de Tromelin » ou « Quai des Indes » en sont les représentants. Indépendante, comme toute bretonne me dires-vous, elle a aussi eu à cœur d’écrire...
Ecrire est un roman d'Irène Frain - Présentation - Suite
Philippe Chauveau :
Bonjour Irène Frain,
Irène Frain :
Bonjour Philippe.
Philippe Chauveau :
Un nouveau titre dans votre bibliographie déjà conséquente. Un crime sans importance. Vous allez nous faire partager un moment fort de votre vie personnelle. Vous nous aviez déjà parlé de votre famille dans d'autres titres et vous nous parlez aussi régulièrement de la grande Histoire. Et puis, vous nous parlez aussi de grands portraits de femmes. Si vous deviez définir votre travail d'auteur, que diriez-vous ?
Irène...
Ecrire est un roman d'Irène Frain - Portrait - Suite
Philippe Chauveaux :
Voilà un livre qui vous est très personnel, Irène Frain, vous nous avez déjà parlé de votre famille, de votre enfance, des difficultés relationnelles avec vos proches. Mais ce livre là est sans doute le plus fort que vous n'auriez jamais eu à écrire. On va faire connaissance, au tout début de ce récit avec une femme. Elle s'appelle Denise. On la retrouve un beau matin dans sa maison morte. Et puis, très vite, on va se rendre compte qu'elle a vraisemblablement été assassinée. Et cette femme, vous la...
Ecrire est un roman d'Irène Frain - Livre - Suite
Irène Frain
Un crime sans importance
Présentation 00'01'39"Irène Frain n’a jamais oublié ses racines bretonnes. Elles furent d’ailleurs à l’origine de son premier livre, publié en 1979, « Quand les bretons peuplaient la mer ». Mais comme tous les bretons, elle a toujours eu soif d’aventure, de liberté et d’évasion. « Le nabab », son premier succès de librairie, mais aussi « La forêt des 29 », « Les naufragés de Tromelin » ou « Quai des Indes » en sont les représentants. Indépendante, comme toute bretonne me dires-vous, elle a aussi eu à cœur d’écrire de beaux portraits de femme comme Simone de Beauvoir, Marie Curie ou, plus récemment, Pauline Geuble, cette jeune française anonyme emportée par amour dans le tourbillon de l’Histoire, dans la Sibérie du XIXème siècle.
Enfin, la bibliographie d’Irène Frain, toujours en lien avec sa Bretagne natale, ce sont aussi des histoires de famille et des relations parfois tendues avec ses proches. Une situation ambigüe qui n’est sans doute pas étrangère à son besoin d’écriture.
Avec ce nouveau livre, « Un crime sans importance », voilà incontestablement le livre le plus personnel de d’Irène Frain dans lequel elle nous raconte sa sœur, Denise, assassinée un matin d’été, seule dans sa maison dans une coquette petite commune de la région parisienne.
Et l’auteur de tenter de comprendre ce qu’on a cherché à lui cacher. Car du crime à proprement parler à la chape de plomb qui a été posée dessus, difficile de savoir ce qui est le plus douloureux. L’opacité de la police, la mise à l’écart imposé par sa propre famille, les mensonges des officiels locaux, Irène Frain n’élude rien.
A travers le destin tragique de sa sœur, elle met en lumière tous ceux qui ont à se battre contre une justice impassible et inhumaine.
Un livre fort, tout en nuances, une chronique du silence et de l’injustice ordinaire écrit pour l’amour d’une sœur.
« Un crime sans importance » d’Irène Frain est publié aux éditions du Seuil.
Irène Frain
Un crime sans importance
Portrait 00'06'41"Philippe Chauveau :
Bonjour Irène Frain,
Irène Frain :
Bonjour Philippe.
Philippe Chauveau :
Un nouveau titre dans votre bibliographie déjà conséquente. Un crime sans importance. Vous allez nous faire partager un moment fort de votre vie personnelle. Vous nous aviez déjà parlé de votre famille dans d'autres titres et vous nous parlez aussi régulièrement de la grande Histoire. Et puis, vous nous parlez aussi de grands portraits de femmes. Si vous deviez définir votre travail d'auteur, que diriez-vous ?
Irène Frain :
J'explore l'inconnue de nos vies et qui, à mon avis, est le propre de la littérature. Que ce soit la vie de grands contemporains, de grands anonymes aussi de l'histoire qui ne sont pas rentrés dans les figures majeures, mais qui ont des destins exceptionnels. J'aime beaucoup la notion de destin. Aussi j'ai écrit des fictions comme Secrets de famille, qui n'avait rien à voir avec ma famille, pour comprendre comment s'organise ceux qui fondent notre société, des familles et des êtres qui s'unissent, se désunissent ou bien des fictions pures. C'est ça, l'inconnu de nos vies, soit par la fiction, soit par l'interrogation historique pure.
Philippe Chauveau :
La femme que vous êtes aujourd'hui, l'auteur reconnu que vous êtes devenu, est-ce la même personne que la petite fille qui se réfugiait dans le grenier de la maison familiale pour découper les personnages des magazines, pour s'inventer des histoires. Est-ce toujours vous ou avez vous l'impression d'avoir énormément changé ?
Irène Frain :
Non, je n'ai pas changé. Je suis curieuse. J'aime chercher, j'aime interroger et comprendre. La vie tout de suite m'a paru très mystérieuse, jalonnée de secrets, de mensonges, de trucage, de silences, beaucoup de silences. Et ça m'intéresse pas que la vie soit comme ça. Je suis une grande amoureuse de la vie et j'en demande toujours de plus a la vie. Ce que je lui demande d'abord, comme dans ma prime enfance, c'est la vérité. Maintenant, avec l'âge ce qui a changé c'est que je demande simplement un fragment de vérité. Mais j'ai besoin de lumière pour vivre, la vérité ne va pas sans la lumière et vice versa.
Philippe Chauveau :
Cette lumière, cette vérité, vous les avez trouvés dans la lecture, dans les livres et dans l'écriture.
Irène Frain :
Oui, d'abord dans les livres qui sont entrés dans la maison par miracle, parce que mes parents étaient très modestes. C'est ma grande sœur, Denise, qui les a apporté parce qu'elle était rentrée très tôt à l'école normale institutrice. Elle était enseignante, très brillante et surtout très généreuse. Pour elle, c'était une mission que de faire entrer les livres dans la maison. Elle a fait rentrer aussi la musique. Elle a fait aussi rentrer les arts plastiques. Il y avait des livres sur les arts plastiques. C'est grâce à elle que je suis allée au théâtre. Donc, si vous voulez, tout ça m'a paru relever de Alice au pays des merveilles.
Philippe Chauveau :
Vous avez découvert un monde que vous ne soupçonniez pas à travers les livres et les art en général.
Irène Frain :
Absolument. Et c'était essentiel dans cet après guerre des années 50 et 60 qui peinaient quand même à se réparer dans les petites villes ou les villes moyennes, ou les banlieues où il n'y avait pas d'argent. Il y a eu une grande ferveur dans la culture à ce moment là, à travers les professeurs, les instituteurs, les écoles également, les prêtres ou tous les acteurs sociaux. On croyait qu'on pouvait changer le monde. C'est à dire apporter ce qu'on a appelé du progrès, un mot qui n'a plus cours maintenant pour des tas de raisons, avec la culture et avec la beauté. Il y avait quelque chose de très dynamique dans la société de ce côté là, notamment pour réveiller l'espoir dans les classes défavorisées auquel j'appartenais. Et c'est une chose que je regrette beaucoup dans la société contemporaine, c'est qu'elle n'est plus cette ferveur.
Philippe Chauveau :
Dans votre travail d'auteur, je l'ai dit en préambule, il y a souvent de beaux portraits de femmes. On peut rappeler Beauvoir in Love ou le livre consacré à Marie Curie, par exemple. Et puis, il y a eu d'autres ouvrages dans lesquels c'étaient des femmes plus anonymes, en tout cas moins connues du grand public, et que vous avez remis en lumière. Là encore, vous avez l'impression d'être un porte drapeau de la cause féminine par l'écriture ?
Irène Frain :
Non, parce que quand on a des messages, on les envoie par Internet, par la poste. Je ne me vois pas comme ça, avec le drapeau, en tête de cortège et avec de grandes déclarations, la théorie, etc, c'est pas moi. Je crois qu'on trouve le mouvement en marchant, mais en marchant dans sa propre vie. Je crois que c'est comme des petites actions de tous les jours dans le domaine qui est le sien et qu'on peut faire quelque chose.
Philippe Chauveau :
Je reprends votre expression, vous marchez dans votre propre vie, la plume à la main. Dans quel état d'esprit êtes vous lorsque vous vous mettez à votre table de travail, quel que soit l'ouvrage sur lequel vous vous mettez à travailler, que ressentez-vous ? Éprouvez-vous ? Quelle jubilation est-ce d'être en écriture?
Irène Frain :
Ce n'est pas une jubilation. Je suis dans l'état exactement d'un joueur de casino qui remet toutes ses plaques sur la table et qui se dit je vais peut-être tout perdre mais je joue quand même. Il n'y a pas de jubilation, je ne peux pas faire autrement, écrire est ma réponse à la faiblesse du monde, aux faiblesses du monde, mais aussi à ses beautés, à ses exaltations possibles. Et les humiliations arrivent de façon sporadique quand je sens qu'une page est absolument exacte, pas seulement par rapport à ce que je voulais exprimer, mais par rapport à une vérité du monde, je crois que le mensonge et le trucage ne font pas pleurer. Mais la vérité, elle fait pleurer. Et dans ces cas là, je pleure parce que je sais que je suis dans l'exactitude. Mais ce n'est pas tous les jours.
Philippe Chauveau :
Votre actualité, Irène Frain, c'est ce nouveau titre aux Éditions du Seuil, Un crime sans importance.
Irène Frain
Un crime sans importance
Livre 00'07'43"Philippe Chauveaux :
Voilà un livre qui vous est très personnel, Irène Frain, vous nous avez déjà parlé de votre famille, de votre enfance, des difficultés relationnelles avec vos proches. Mais ce livre là est sans doute le plus fort que vous n'auriez jamais eu à écrire. On va faire connaissance, au tout début de ce récit avec une femme. Elle s'appelle Denise. On la retrouve un beau matin dans sa maison morte. Et puis, très vite, on va se rendre compte qu'elle a vraisemblablement été assassinée. Et cette femme, vous la connaissez bien, c'est votre sœur. Vous avez eu envie, surtout vous avez eu besoin de nous raconter cette histoire parce que vous êtes en pleine interrogation. En quelques mots, quelle est la genèse de cet ouvrage ? Comment arrive-t-il dans votre bibliographie ce livre ?
Irène Frain :
Un beau matin, il y a deux ans exactement. Je regarde mes mails, au petit déjeuner et il y en a un très impersonnel, avec pour objet le nom de ma sœur aînée. Et dès que je le vois, je sais qu'elle est morte. Mais je n'imagine évidemment pas ce qui suit. C'est un mail extrêmement clinique, qui m'apprend qu'elle est morte assassinée chez elle, en plein jour, par un agresseur que l'on a pas pris et qu'elle a agonisé pendant sept semaines à l'hôpital de la Pitié à Paris. Donc, personne ne m'a prévenu. Enfin, j'apprend qu'elle est morte la veille. Le mail est suivi du prénom d'un de ses fils et d'un numéro de téléphone portable, sans invitation quelconque à des obsèques ni quoi que ce soit. Ce mail est assorti des échanges précédents avec des membres de la famille ou des inconnus. On voit bien que cela a été laissé exprès puisque en les lisant, au bout de quelques minutes de relecture, je comprends que il était fortement question de me prévenir que la veille des obsèques, de façon à ce que je n'y assiste pas. Donc ma famille ne souhaitait pas que je vienne. Ce que j'ai ignoré. J'ai appelé la personne qui m'avait laissé son numéro. J'ai demandé des explications courtoisement et j'ai dit que je viendrais aux obsèques. Le jour des obsèques, j'observe, je suis un peu dépossédés de moi-même, mais j'ouvre grand les yeux et les oreilles. Au fil des jours, je comprends quand je cherche à en savoir plus que ma famille me posera dans sa globalité une fin de non-recevoir.
Philippe Chauveaux :
Ce livre est le livre du silence parce qu'il y a le silence de votre famille qui va tout faire pour que vous ne soyez pas informé ou en tout cas, au tout dernier moment. Et puis, après ce que vous nous racontez aussi dans de nombreuses pages, c'est le silence de la justice, de la police, de la ville, qui ne vous apporte pas d'explication.
Irène Frain :
Oui, et c'est très redoutable parce que dans les séries télé, vous avez toujours un juge d'instruction ou un substitut, n'est ce pas ? On a tous vu dans les séries télé. Là, il n'y a pas de juge d'instruction. L'affaire paraît de plus en plus trouble et je découvre qu'en fait, il y a eu d'autres agressions du même type et toujours des personnes âgées vulnérables, des cibles faciles. Toujours le matin, samedi matin, presque toujours, à une exception près et presque toujours la même arme que je préfère ne pas citer ici tellement elle était abominable.
Philippe Chauveaux :
Ce qui veut dire que vous allez face au silence de la police et de la justice. Vous allez essayer de mener vous même votre propre enquête et vous rendre compte qu'il y a une chape de plomb sur cette histoire.
Irène Frain :
D'abord, je suis une femme écrasée pendant à peu près 14 mois, ensuite je décide d'aller sur place. Je ne mène pas d'enquête au sens propre parce que je n'ai jamais été journaliste d'investigation. Je ne suis pas armée, c'est tout un boulot et il faut du culot pour le faire.
Philippe Chauveaux :
Vous cherchez à comprendre en tous les cas ?
Irène Frain :
Voilà.
Philippe Chauveaux :
Ce que vous nous dites, c'est qu'il y a aussi, on l'a dit, le silence de la justice et de la police, le silence de votre famille. Et puis, peut être aussi un silence de la collectivité, des élus qui ne veulent pas ternir le nom de la commune.
Irène Frain :
Voilà. Et puis surtout, parce qu'il faut faire vivre la commune. Donc, s'il y a une société importante avec mille ou deux mille emplois avec un projets, avec la justice on s'arrange pour étouffer. Donc moi, au bout de quelques mois, l'écrivain, la fille qui a un petit nom, est devenue l'enquiquineuse. Donc on m'a menti. On a inventé un décret qui n'existait pas pour que je ne demande pas un juge d'instruction ce qui était mon droit le plus strict. Et je me suis retrouvée à côtoyer à la fois les ténèbres, le mal, l'énigme du mal, comme on dit, alors que je suis une fille de lumière. Donc, ce n'était vraiment pas mon univers. Comment peut-on faire une chose pareille ? Comment l'humain est capable de massacrer une vieille dame avec des armes ou un vieil homme ? D'ailleurs, il y avait plusieurs cas, il y en a 18. Silence radio sur les 18 jusqu'à maintenant. Et comment aussi on peut sacrifier des vies à des ambitions.
Philippe Chauveaux :
Votre livre est habilement construit. Il y a l'écriture, une écriture parfois très clinique, avec les faits et votre ressenti. Et puis, des fois, beaucoup plus poétiques, notamment lorsque vous revenez sur certains sentiments plus personnels. Il y a notre époque contemporaine. Et puis, il y a aussi vos propres souvenirs d'enfance, vos souvenirs d'adolescence qui égrènent tout le récit. Ce qui est important de souligner, et c'est peut être pour ça que parfois vous parlez de culpabilité dans l'ouvrage, c'est que les liens étaient quelque peu distendus avec cette sœur.
Irène Frain :
Ils étaient distendus parce qu'on m'avait accusé des troubles mentaux de ma sœur, qui pouvait très bien vivre hors d'un hôpital psychiatrique, la preuve.
Philippe Chauveaux :
C'est-à-dire qu'elle revient dans votre vie par un effet boomerang, par son décès.
Irène Frain :
Oui, il fallait affronter ça. Il fallait le dire. Peut-être le livre paraît habile, mais moi, je n'ai pas construit de façon préméditée et finalement, je n'ai pas mis beaucoup de temps à l'écrire.
Philippe Chauveaux :
Une dernière question Irène Frain. Dans ce livre, il y a une charge contre la police, contre la justice.
Irène Frain :
Oui, elle est ironique
Philippe Chauveaux :
Mais en tant que en tant que citoyenne, avec la notoriété que vous avez et c'est aussi une façon de dire ne baissez pas les bras si vous êtes confrontée à ce genre de situation ?
Irène Frain :
Alors je n'accuse pas la police de façon manichéenne. Ils font aussi un travail formidable, mais là, on abandonne le terrain des invisibles. C'est-à-dire que les morts ne pèsent pas équitablement. Je suis désolé, 18 agressions, certaines peut-être, en plus de Denise, mortelle puisqu'il y a une série qui nous est cachée par la justice de façon très opaque et mystérieuse. Oui, c'est quand même pas normal. Quand j'ai choisi l'ironie vis à vis de la justice, j'ai affutés mes couteaux littéraires. Et la littérature, ça sert à ça depuis Voltaire.
Philippe Chauveaux :
C'est votre actualité, c'est un livre d'une grande force. Votre nouveau titre est aux Éditions du Seuil, un crime sans importance. Merci beaucoup Irène Frain.