Voilà déjà plus de vingt ans que Marie-Hélène Lafon s’est fait un nom en librairie. En 2021, avec « Le soir du chien », pour lequel elle obtient le Renaudot des Lycéens, on découvrait une écriture et un style qui depuis ont fait la marque de fabrique de Marie-Hélène Lafon. C’est à dessein que j’emploie ce terme de ‘marque de fabrique’ car elle le reconnait, pour elle, chaque livre est un nouveau chantier et elle glisse ses doigts dans les mots et la syntaxe comme un potier met les mains dans la glaise. Depuis ce...
Les sources de Marie-Hélène Lafon - Présentation - Suite
PhilippeBonjour Marie-Hélène Lafon.
Marie-Hélène Lafon.Bonjour Philippe Chauveau.
PhilippeLes Sources, c'est votre dixième titre, c'est aux éditions Buchet-Chastel. Je suis ravie de vous accueillir. J'ai l'impression que vous avez chanté toute la nuit. Vous avez une petite voix qui est un peu partie, mais c'est parce que vous passez beaucoup en interview en ce moment.
Marie-Hélène LafonC'est parce que je fais beaucoup cours à mes élèves.
PhilippeAussi, aussi, justement on va parler de ça parce que vous avez cette double...
Les sources de Marie-Hélène Lafon - Portrait - Suite
PhilippeUn titre qui claque, un titre qui sonne, Les sources. On reviendra sur ce titre parce qu'il n'est pas anodin. Et puis il y a ce bandeau que votre éditeur a choisi de mettre sur la couverture. C'est votre dixième roman Marie-Hélène Lafon. C'est un livre qui va se décliner en trois parties. Trois dimanche trois week end, 1967 1974 et puis de nos jours, on va découvrir une famille. Une famille où en apparence, tout pourrait sembler aller bien, mais en fait, on va voir que c'est beaucoup plus compliqué que ça. Il y a trois...
Les sources de Marie-Hélène Lafon - Livre - Suite
Marie-Hélène Lafon
Les sources
Présentation 00'02'54"Voilà déjà plus de vingt ans que Marie-Hélène Lafon s’est fait un nom en librairie. En 2021, avec « Le soir du chien », pour lequel elle obtient le Renaudot des Lycéens, on découvrait une écriture et un style qui depuis ont fait la marque de fabrique de Marie-Hélène Lafon. C’est à dessein que j’emploie ce terme de ‘marque de fabrique’ car elle le reconnait, pour elle, chaque livre est un nouveau chantier et elle glisse ses doigts dans les mots et la syntaxe comme un potier met les mains dans la glaise. Depuis ce premier titre, Marie-Hélène a parcouru un beau chemin littéraire qu’elle aime à partager avec ses lecteurs au cours de rencontres en librairies et en médiathèques. Car elle a le goût du partage et de la transmission.
C’est aussi ce goût du partage et de la transmission qui la séduisent dans son métier d’enseignant. Même si ce n’était pas une vocation, sans doute l’est-ce devenu. Et c’est avec enthousiasme et conviction qu’elle continue à enseigner, en parallèle de son métier de romancière.
Prix du style en 2012 pour « Les pays », prix Goncourt de la Nouvelle en 2016 pour « Histoire », prix Renaudot 2020 pour « Histoire du fils », Marie-Hélène Lafon est reconnue à la fois par les lecteurs et par ses pairs.
Et son nouveau roman est l’un des titres phares de la rentrée de janvier 2023.
Avec « Les sources », Marie-Hélène Lafon nous entraine une fois encore dans son Auvergne d’origine, là où prennent racine, où prennent source, la plupart de ses titres. Une famille paysanne apparemment sans histoire. Trois enfants, Isabelle, Claire et Gilles le petit dernier né chacun à un an d’intervalle. Et puis le père et la mère. Mais derrière les apparences, on sent que rien ne va au sein de cette famille, que la violence est là, psychologique, voire physique. La mère se sent comme étrangère, prisonnière, dans cette vie qu’elle ne voulait pas. Mais comment s’en échapper ? Nous sommes en 1967, dans une ferme éloignée de tout, au fin fond du Cantal.
Avec une écriture ciselée, belle et violente à la fois, en trois parties, trois dimanches, en 1967, en 1974, en 2021.Marie-Hélène Lafon nous raconte l’histoire de ce couple inapproprié, de cette famille fissurée.
Un roman court, intense, âpre qui vous laisse presque en apnée et résonne bien après le point final. Et puis surtout le talent de Marie-Hélène Lafon
Quelle beauté dans l’écriture, quelle désespérance dans le sujet. Et pourtant, la source est là, fluide et lumineuse, qui raconte d’où nous venons et qui laisse entrevoir tous les possibles.
« Les sources » de Marie-Hélène Lafon est publié chez Buchet-Chaste
Marie-Hélène Lafon
Les sources
Portrait 00'08'19"Philippe
Bonjour Marie-Hélène Lafon.
Marie-Hélène Lafon.
Bonjour Philippe Chauveau.
Philippe
Les Sources, c'est votre dixième titre, c'est aux éditions Buchet-Chastel. Je suis ravie de vous accueillir. J'ai l'impression que vous avez chanté toute la nuit. Vous avez une petite voix qui est un peu partie, mais c'est parce que vous passez beaucoup en interview en ce moment.
Marie-Hélène Lafon
C'est parce que je fais beaucoup cours à mes élèves.
Philippe
Aussi, aussi, justement on va parler de ça parce que vous avez cette double casquette Marie-Hélène. Il y a la romancière que l'on connaît. Mais c'est vrai que vous n'avez jamais eu envie de lâcher l'enseignement puisque depuis très longtemps, il y a chez vous ce goût de l'apprentissage, de la transmission. Pourquoi, alors que les maisons d'édition vous ouvrent leurs bras, pourquoi garder ce contact avec les élèves ?
Marie-Hélène Lafon
Parce que c'est probablement un goût que j'ai du terrain et un goût que j'ai de la nécessité d'être à l'endroit où je suis quand j'enseigne à mes élèves le rude rudiment, c'est à dire la langue, c'est à dire la littérature, c'est à dire le sens même des mots, des choses. Il me semble que c'est un métier absolument fondamental.
Philippe
Il y a t il justement un auteur emblématique qui vous a donné vous même envie de prendre la plume ? Y a t il eu aussi un enseignant emblématique qui vous a donné envie d'être vous aussi un outil de transmission ?
Marie-Hélène Lafon
Deux auteurs emblématiques, un mort et un vivant. Gustave Flaubert, Pierre Michon. Et, bien entendu, je l'appelle encore le maître d'école. Monsieur Brunet, 90 ans, bon pied bon oeil dans la vallée de la Santoire, qui fut mon maître d'école en CM2, CM1, CE2. Et la bonne personne au bon endroit, le bon aiguillage.
Philippe
Lorsque vous parlez de votre travail d'écriture Marie-Hélène Lafon, et c'est vrai que c'est la romancière que nous recevons aujourd'hui, il y a des mots qui reviennent très souvent. C'est chantier, transmission, tous ces mots, artisanat aussi. Comme si vous aviez les mains dans la glaise à chaque fois. C'est ça pour vous, la définition de l'écriture ?
Marie-Hélène Lafon
Je dis que je suis une travailleuse du verbe. J'ai les mains dans la viande verbale. L'étymologie de viande, ça vient du latin vivenda, c'est ce qui sert à vivre. Donc nous y sommes, aussi bien d'ailleurs du côté du métier de professeur que du côté du travail d'écriture. La langue, c'est le pays que j'habite, c'est mon terreau essentiel. Et écrire, c'est malaxer la langue. Donc c'est extrêmement physique, c'est extrêmement artisanal oui, en effet, je ne suis pas traversée par une inspiration. Je m'assieds à ma table et je travaille.
Philippe
Et pourquoi cette envie de la transmission, du partage ? Parce que ce goût pour la langue et les mots, vous auriez pu les garder pour vous ?
Marie-Hélène Lafon
Je me suis sentie tellement à ma place dans l'école, ça a été tellement pour moi. Un lieu qui donnait sens aux choses que probablement, je me suis dit, enfin je me le suis même pas dit ce n'était pas conscient, mais c'eût été dommage de ne pas le partager.
Philippe
Et c'est le même procédé en ce qui concerne la transmission vers les lecteurs, ça procède de la même chose.
Marie-Hélène Lafon
C'est une question que je ne me suis jamais posée, surtout pas avant de commencer à publier. Et quand j'ai commencé à publier très vite, très très vite, deux mois après, j'ai été invitée en librairie. Je n'allais jamais à des rencontres en librairie avec des écrivains vivants avant de publier. Pourtant j'avais 39 ans quand j'ai publié mon premier livre, donc je n'avais pas du tout conscience de cet usage. Et quand j'ai commencé à le faire à la librairie Point Virgule à Aurillac, Cantal, début novembre 2001, je me suis rendu compte que ça me plaisait, qu'il y avait vraiment quelque chose qui se passait sur le terrain. Là aussi.
Philippe
Une question qui s'adresse autant à la romancière qu'à la professeur. Lorsque vous voyez, en tout cas, ce sont les chiffres qui le disent, lorsque vous voyez le niveau des élèves qui baissent, notamment en français, lorsque vous voyez un ministre qui dit qu'il faut remettre la dictée au goût du jour, lorsque vous voyez les jeunes qui délaissent le livre papier pour leur téléphone. Quel regard portez vous là dessus ? Et êtes vous un peu désabusée ? Vous dites-t-il qu'il faut continuer à mener le combat. Ça vous inspire quoi ?
Marie-Hélène Lafon
Je suis sur le terrain, moi, et j'ai des élèves plusieurs heures par semaine. Des élèves de quatorze ans en face de moi et sur le terrain, ça continue, ç'est-à-dire quelque chose se passe avec eux, quelque chose se transmet avec eux. À mon avis, ce qu'il y a de mieux, nettement, de plus riche et de plus tant dans l'Education nationale, ce sont les élèves. J'insiste.
Philippe
Message d'espoir alors néanmoins, derrière tout ça.
Marie-Hélène Lafon
L'espoir il faut le garder, sinon on devient amère et on fait ce métier à reculons, auquel cas il vaut mieux ne plus faire du tout.
Philippe
Vous êtes aujourd'hui installée à Paris et pourtant, depuis votre premier titre en 2001, vous ne cessez de nous emmener et de vous ramener aussi sur les terres de votre enfance, le Cantal notamment. Pourquoi ce besoin de revenir sur ces terres là en terme de littérature ?
Marie-Hélène Lafon
Vous savez, je cite volontiers cette phrase très courte de Robert Bresson, le cinéaste, dans Notes sur le cinématographe. Il écrit, "Ne glisse pas ailleurs, creuse sur place". Il se trouve que, un peu à tâtons, j'ai placé cette phrase en exergue d'un livre que j'ai publié en 2002, c'est à dire tout à fait au début. Un livre de nouvelles, "Liturgie" dans lequel se trouve le tout premier texte que j'ai écrit. Donc vous voyez au fond, instinctivement, j'ai toujours senti que le lieu et le milieu d'où je venais était un terreau inépuisable.
Philippe
Alors voilà, on le disait, chacun se retrouve dans ses histoires, chacun peut se les approprier. Il y a des sujets qui sont forts, il y a des ambiances, des paysages qui sont des personnages à part entière. Et puis après, il y a cette richesse de la langue et c'est vrai que vos pages sont à la fois de la poésie, et puis parfois aussi, ce sont des grandes claques que vous nous donnez par la force des mots. Tout cela semble tellement fluide. Tout cela semble tellement facile, tellement simple. Et pourtant, j'ai l'impression pour vous, à chaque fois, c'est une difficulté supplémentaire, comme s'il y avait une appréhension à chaque fois que vous écrivez un nouveau roman.
Marie-Hélène Lafon
Alors quand j'ouvre un chantier, tout se passe comme si je n'avais jamais écrit une ligne de ma vie.
Philippe
Et vous avez peur de ça ?
Marie-Hélène Lafonv
Oui, bien sûr. Je veux dire, quand j'ouvre un chantier, il y a à la fois l'excitation du chantier et l'angoisse de n'être pas à la hauteur de ce chantier. Comme si je n'avais jamais rien écrit, comme si je n'étais adossé à rien. Bon, je crois que quand je perdrais ce vertige là, j'aurais perdu beaucoup. Pour l'instant, il est intact le vertige. Et le chantier des sources a été à cet égard plus rude que tous les précédents.
Philippe
On parlait justement de c'est de ces histoires que chaque lecteur peut s'approprier. D'ou viennent elles, ces histoires ? On sait par exemple que dans votre précédent titre, c'était une histoire qui était très proche de votre famille. Mais est ce que parfois, lors des rencontres avec les lecteurs, on vous vous confie aussi des histoires qui pourraient devenir des romans ?
Marie-Hélène Lafon
Alors évidemment. Et ça, ce que vous dites peut arriver, bien sûr. Ou des motifs, ou des détails, ou une phrase. Vous voyez, quelqu'un va dire une phrase que je ne vais évidemment pas noter. Je ne note jamais rien, mais je vais retenir. Et par ailleurs, vous savez, dans les familles, dans les villages, on n'a qu'à se pencher pour les ramasser les histoires. Des pistes d'histoires, ils en partent constamment, de tous les côtés. Le réel est infiniment plus démentiel que tout ce que je ne pourrais jamais imaginer moi. D'ailleurs je n'imagine jamais rien. Je me contente de m'enfoncer dans le maquis du réel et j'élague. Toujours je l'élague. Parce que si je gardais tout ce que le réel offre d'inextricables réseaux luxuriants, moi même, j'aurais l'impression de délirer complètement. C'est le réel qui est délirant, c'est le réel qui sort de ses gonds tout le temps.
Philippe
Si d'un mot vous deviez définir votre écriture, Marie-Hélène Lafon.
Marie-Hélène Lafon
Un feu.
Philippe
Un feu que vous faites pétiller avec ce nouveau titre. C'est le dixième titre de votre bibliographie, c'est aux éditions Buchet-Chastel. Ça s'appelle Les Sources.
Marie-Hélène Lafon
Les sources
Livre 00'08'45"Philippe
Un titre qui claque, un titre qui sonne, Les sources. On reviendra sur ce titre parce qu'il n'est pas anodin. Et puis il y a ce bandeau que votre éditeur a choisi de mettre sur la couverture. C'est votre dixième roman Marie-Hélène Lafon. C'est un livre qui va se décliner en trois parties. Trois dimanche trois week end, 1967 1974 et puis de nos jours, on va découvrir une famille. Une famille où en apparence, tout pourrait sembler aller bien, mais en fait, on va voir que c'est beaucoup plus compliqué que ça. Il y a trois enfants Gilles, Claire, Isabelle et puis il y a le père et la mère dont on ne connaîtra pas les prénoms. Qui est elle, cette famille ? Et pourquoi faire démarrer ce roman en 1967.
Marie-Hélène Lafon
Alors ça, quand j'ai ouvert ce chantier fin février 2022, la date, c'est à dire 10 et 11 juin 1967, s'est imposée d'emblée. Je voulais un week end de juin parce que les longs soirs de juin, donc 10 11 juin 67, je suis allé vérifier que c'était bien un samedi et un dimanche, il me fallait un samedi, un dimanche voilà. C'est seulement après coup que je me suis rendu compte que c'était la semaine de la guerre des Six Jours. Que je n'avais pas du tout anticipé, je m'en suis rendu compte ensuite. Il me fallait 67 parce qu'on était dans les prémisses, on était dans l'avant 68. 68 n'était pas encore passé par là. Ensuite, 68 va passer par là, on va en entendre les échos dans la deuxième partie.
Philippe
Alors vous le dites, nous sommes en juin, c'est un dimanche, c'est un week end et tout pourrait être très serein dans la cour de cette ferme. Mais très vite, on va comprendre qu'il y a quelque chose. Il y a une tension qui est palpable. Le père et la mère se sont mariés en décembre 59. Très vite, il y a eu les trois enfants. Mariage plus ou moins de circonstance, parce qu'on va apprendre que le père, lui, il a peut être eu d'autres envies lorsqu'il était soldat au Maroc, il a une autre femme. Ce sont des petits détails qui vont être glissés au fil du récit. Un mariage qui n'aurait peut être jamais dû avoir lieu.
Marie-Hélène Lafon
Un aiguillage, mariage et aiguillage, ça rime. Donc un aiguillage, en effet, peut être fâcheux. En tout cas, elle, il lui arrive de rembobine le fil de sa vie et d'oser s'avouer que sa vie eut sans doute été meilleure si cet aiguillage là n'avait pas été pris. Sauf que maintenant, le verbe visser revient à plusieurs reprises. Elle se sent vissée là parce qu'il y a les trois enfants. Ça, c'est fondamental. Ils apparaissent d'ailleurs dès la première page, les trois enfants.
Philippe
Et ils sentent bien qu'il y a quelque chose qui cloche.
Marie-Hélène Lafon
Ils sont complètement traversés par la peur.
Philippe
Et vous, vous l'avez rappelé, nous sommes en 1967. Ce qui veut dire que, parce que là cette femme, elle pourrait très bien faire sa valise et puis partir. Mais non, parce qu'à cette époque là, ce n'est pas si facile que ça, même si aujourd'hui ce n'est encore pas facile, mais encore moins à cette période. Et puis surtout, il y a les terres, bien sûr, ce que la ferme a été acheté en commun. Et puis il y a le "qu'en dira-t-on ?" dans les hameaux voisins ?
Marie-Hélène Lafon
Bien entendu.
Philippe
Et c'est pour ça que la mère se sent pieds et poings liés.
Marie-Hélène Lafon
Voilà, vous avez tout à fait raison de le souligner. On est à une époque et dans un milieu où on ne divorce pas. Le divorce c'est l'infamie la plus totale, on a un peu de mal à l'envisager aujourd'hui ça. Je ne dis pas qu'aujourd'hui ce soit facile à prendre ce genre de décision, mais à cette époque là ça l'était encore beaucoup moins. Surtout pour une femme comme celle là dont les catégories mentales sont celles de son milieu. C'est à dire, on est l'épouse d'un paysan, on possède une ferme, on est prospère. De surcroît, elle conduit sa voiture, ce qui est un indice de modernité. Toutes les femmes à cette époque là, dans ce milieu, n'ont pas leur permis de conduire.
Philippe
Ce qui ce qui lui donne une image lorsqu'elle va au village.
Marie-Hélène Lafon
Voilà. D'ailleurs cette image au fond est à peu près la dernière chose à laquelle elle se rattache en quelque sorte. Narcissiquement, elle a besoin de donner cette image d'elle même. La propriétaire d'une ferme qui conduit sa voiture avec ses enfants bien habillés dans la voiture et qui va à la messe avec eux. Ça, c'est la version officielle. La version officieuse est beaucoup moins satisfaisante.
Philippe
Bien différente. Il y a toutes ces questions qui reviennent et puis très vite, on va aussi bien comprendre qu'il se passe des choses inavouables dans ce couple, qu'il y a cette violence, une violence physique qui n'est pas montrée forcément dans le roman. Mais on sent qu'elle est là quelque part.
Marie-Hélène Lafon
Oui, on sent qu'elle est là, on sent qu'elle est innommable au sens propre du terme. Elle s'accompagne d'une grande violence verbale qui elle, est toujours là.
Philippe
Il y a cette première partie qui est la plus importante dans votre écriture du roman. Et puis après, on va passer en 1974. Alors autant dans la première partie, on nous parlait de la mère. 1974, c'est le père là, on nous raconte le père.
Marie-Hélène Lafon
C'est le flux de conscience du père.
Philippe
Le père qui se retrouve tout seul dans sa ferme parce qu'on comprend qu'il y a eu séparation et divorce, que les enfants ont grandi. Et puis le père qui ressasse toujours, qui ressasse, qui ressasse. Parce que lui, finalement, il n'a peut être pas compris ce qui lui était arrivé. Il s'est pas remis en question !
Marie-Hélène Lafon
À pas du tout. Alors ça, absolument pas.
Philippe
C'est son orgueil. Surtout qui en a pris un coup.
Marie-Hélène Lafon
Absolument. Son orgueil lui tient lieu de tout. Et la raison essentielle pour laquelle, vous avez bien indiqué tout à l'heure qu'il a probablement aimé une autre femme pendant son long temps de service militaire au Maroc. Les raisons pour lesquelles il est rentré du Maroc, c'est parce que même s'il a beaucoup aimé le service militaire, il a compris que dans l'armée, il ne serait jamais son propre chef. Tandis que dans sa ferme, il serait son maître, croyait il, voilà. Et en l'occurrence aussi le maître de sa chose qui était sa femme. Sa chose lui à échappée. En menant les enfants, il s'est adapté, mais il ne se remet absolument pas en question, en effet. Peut être que se remettre en question serait impossible. C'est l'impossible trou noir, c'est à dire qu'il exploserait en plein vol s'il veut rester en face de lui même et continuer à tenir debout, il ne peut pas se remettre en question.
Philippe
C'est la deuxième partie. Je le disais, la première partie est assez, assez conséquente, la deuxième est un peu plus courte. Et puis il y a une troisième partie qui est très courte, mais qui finalement est peut être aussi celle qui est la plus lumineuse. C'est celle des enfants, parce qu'il y a un moment, voilà, le temps a passé, les protagonistes ne sont plus là pour certains, il faut fermer la maison. On vend la maison mais les souvenirs sont toujours là et ce sont les sources. Les sources que l'on peut associer aux racines. Mais c'est vrai que vous, vous préférez ce terme de source. Ce troisième chapitre, comment l'avez vous écrit ? Parce que vous auriez pu imaginer deux fins.
Marie-Hélène Lafon
Vous voyez, mon éditrice, c'est la dédicataire de ce livre a été extrêmement présente. C'est elle qui, après avoir lu la première partie, m'a dit : "Marie Hélène, il faut faire entendre la voix du père". J'ai compris qu'elle avait raison, j'ai pas discuté un seul moment, j'ai écrit la deuxième partie. Et après avoir lu la deuxième partie, elle m'a dit : "Marie-Hélène, il nous faudrait une closure", m'a t elle dit. Il m'est apparu immédiatement qu'il fallait que l'un des enfants, j'ai presque envie de dire, tire son épingle. Qu'est ce qu'il en reste ? Évidemment qu'il en reste des images terribles. Il en reste de douleurs inextinguibles. Il en reste certainement des cicatrices. Mais ce n'est pas ça que Claire choisit d'emporter. Elle choisit d'emporter la lumière et la douceur.
Philippe
Vous m'aviez confié que ce livre avait peut être été l'un des plus rudes à écrire. Pourquoi ? Parce qu'on retrouve des thèmes qui vous sont chers la famille dans ce Cantal que vous connaissez bien, la difficulté des relations, les déchirures familiales. Pourquoi ce texte là a-t-il été plus âpre ?
Marie-Hélène Lafon
Parce que il répondait à une nécessité absolument impérieuse qui a fait exploser en plein vol le livre qui était prévu. Ce n'est pas du tout ce que je devais publier. C'etait un livre de nouvelles qui était quasiment prêt et dont il m'est apparu qu'il ne m'était absolument pas nécessaire. Enfin, il m'est apparu que le livre qu'il était nécessaire d'écrire, c'était ça, c'est à dire remonter à ces sources là, même si elles sont brûlantes et donner forme. Donner forme, ça donne sens voilà. Et donc le chantier du livre de nouvelles ayant été complètement atomisé, je me suis mise en face de ça et avec un sentiment de nécessité absolue. Soit j'arrivais à écrire ça et à donner forme, soit j'écrivais plus.
Philippe
Et le livre est là, c'est le dixième titre de votre bibliographie et c'est une c'est une réussite parce qu'on retrouve la sensibilité de votre écriture. Et puis il y a ce sujet rude dont chacun pourra s'emparer et mettre en parallèle de sa propre histoire. C'est une petite merveille que ce livre Marie-Hélène Lafon, Les Sources, c'est aux éditions Buchet Chastel. Merci beaucoup à vous.
Marie-Hélène Lafon
Merci.