Grand reporter, journaliste, Sorj Chalandon connait bien notre monde qu’il a largement sillonné. Observateur attentif et fidèle de notre époque, il écrit pour Libération avant de rejoindre la rédaction de Canard enchainé en 2009. On rappellera que Sorj Chalandon reçut le prix Albert Londres pour ses reportages sur le procès de Klaus Barbie. Mais Sorj Chalandon s’est aussi fait un nom en librairie en tant que romancier, depuis 2005, année de son premier titre « Le premier bonzi ». Depuis, se basant souvent sur son propre...
Par le Prix Patrimoines Louvre Banque Privée de Sorj Chalandon - Présentation - Suite
Philippe Chauveau :
Bonjour Sorj Chalandon. Votre actualité, « Une joie féroce », votre 9ème titre, aux éditions Grasset. Vous êtes romancier, certes, mais on n'oublie pas la casquette de journaliste. Il y eut « Libération », aujourd'hui « Le Canard enchaîné » entre autres. Vous sentez-vous plus journaliste ou romancier ?
Sorj Chalandon :
Je suis un journaliste qui écrit des romans la nuit, voilà !
Philippe Chauveau :
La définition du journaliste, aujourd'hui, quelle est-elle ?
Sorj Chalandon :
Quelqu'un qui,...
Par le Prix Patrimoines Louvre Banque Privée de Sorj Chalandon - Portrait - Suite
Philippe Chauveau :Sorj Chalandon, nous allons faire connaissance avec quatre femmes. Ce sont les héroïnes d'« Une joie féroce », votre neuvième titre. Il y a Jeanne, qui va ouvrir le bal, il y a Brigitte, il y a Assia et il y a Mélodie. Ces quatre femmes, on les découvre lorsqu'elles préparent un casse. C'est le début du roman. Et puis après, on va remonter un petit peu en arrière et vous allez nous expliquer comment ces quatre femmes se sont rencontrées. C'est la salle d'attente d'un hôpital qui est un peu le lieu de...
Par le Prix Patrimoines Louvre Banque Privée de Sorj Chalandon - Livre - Suite
Sorj Chalandon
Une joie féroce
Présentation 00'02'17"Grand reporter, journaliste, Sorj Chalandon connait bien notre monde qu’il a largement sillonné. Observateur attentif et fidèle de notre époque, il écrit pour Libération avant de rejoindre la rédaction de Canard enchainé en 2009. On rappellera que Sorj Chalandon reçut le prix Albert Londres pour ses reportages sur le procès de Klaus Barbie. Mais Sorj Chalandon s’est aussi fait un nom en librairie en tant que romancier, depuis 2005, année de son premier titre « Le premier bonzi ». Depuis, se basant souvent sur son propre parcours, il a publié plusieurs titres dont certains ont été primés. « Une promesse », prix Médicis en 2006, « Retour à Killybegs », Grand prix de l’Académie française en 2011, « Le quatrième mur », Goncourt des lycéens en 2013. Mais égrainer des prix serait bien réducteur face à la qualité de l’écriture de Sorj Chalandon et au thèmes abordés dans ces romans. Avec une plume toujours délicate et sensible, l’auteur sait toucher au cœur, sans sensiblerie, pour nous parler de nous, de nos vies confrontées à la grande histoire, des destins personnels broyés par la grande machine du monde qui avance.
Touché par le cancer il y a quelques mois, ainsi que son épouse, Sorj Chalandon ne cache pas que cette épreuve a été le déclencheur de son nouveau titre « Une joie féroce ». A l’été 2018, quatre femmes tentent le braquage d’une bijouterie place Vendôme à Paris. Qui sont-elles et pourquoi prennent-elles ce risques ? Revenant quelques mois en arrière, le romancier nous raconte ces quatre femmes, ces combattantes, ces résistantes qui se sont rencontrées dans la salle d’attente d’un hôpital. Toutes atteintes par le cancer, elle se sont apprivoisées, se sont construit un nouvel univers protecteur qui les rend plus fortes pour combattre la maladie. Sans misérabilisme aucun, il y a beaucoup d’émotion et de pudeur dans le portrait de ces quatre femmes que brosse Sorj Chalandon. Mais on sourit aussi souvent à cette histoire rocambolesque de braquage amateur. Et surtout, ces femmes qui se découvrent plus fortes qu’elles ne pensaient l’être sont bien des héroïnes du quotidien.
« Une joie féroce », le nouveau roman de Sorj Chalandon, est publié chez Grasset.
Sorj Chalandon
Une joie féroce
Portrait 00'06'34"Philippe Chauveau : Bonjour Sorj Chalandon. Votre actualité, « Une joie féroce », votre 9ème titre, aux éditions Grasset. Vous êtes romancier, certes, mais on n'oublie pas la casquette de journaliste. Il y eut « Libération », aujourd'hui « Le Canard enchaîné » entre autres. Vous sentez-vous plus journaliste ou romancier ?
Sorj Chalandon : Je suis un journaliste qui écrit des romans la nuit, voilà !
Philippe Chauveau : La définition du journaliste, aujourd'hui, quelle est-elle ?
Sorj Chalandon : Quelqu'un qui, pour moi, est une sorte de reporter. Un jour, pour me faire de la peine, je pense, un rédacteur en chef m'avait dit : « Il y a deux sortes de journalisme, le journalisme du savoir et le journalisme du regard. Toi, tu es un journalisme du regard ». Et ça me va très bien ! Donc, en ce qui me concerne en tant que journaliste, je ne pense pas, je rapporte ce que les gens pensent. Je ne vois pas, je rapporte que les gens voient. Je ne pérore pas, je rapporte ce que les gens disent. Pour moi, c'est ça le journalisme. Je ne suis pas un éditorialiste, je suis un rapporteur de gens.
Philippe Chauveau : Justement, le journaliste que vous êtes, avec le parcours et le bagage que vous avez, ce journaliste, quel regard porte-t-il sur ce qu'est le journalisme aujourd'hui, notamment en France ?
Sorj Chalandon : Pour moi, c'est un métier qui souffre parce qu’il est très déconsidéré. Autrefois, lorsque les journalistes frappaient à la porte d'une petite ferme pour avoir un renseignement, on les faisait entrer pour leur donner le café. Maintenant, ils sont accueillis à la porte de la ferme avec un fusil. On dit que les journalistes, les policiers, les magistrats, tout ça, c'est tout pourri ! Donc, il faut se battre contre cette image qui s'est dégradée terriblement. Peut-être, d'ailleurs souvent, par la faute des journalistes eux-mêmes ! Mais en tout cas, pour moi, le journalisme reste l'un des plus beaux métiers au monde. Rendre compte, c'est quand même quelque chose qui est insensé. Sauf quand, lorsque vous lisez sur les réseaux que j’appelle asociaux, tous ces trucs où l’on dit que c’est la faute aux média. On va dire que si un type pique dans la caisse, s’il se goinfre, s’il est emprisonné, c'est la faute aux médias ! Non, ce n'est pas la faute aux media si le type a piqué dans la caisse ! Le problème, c'est qu'on en parle et on pense que c'est très moche. Nous ne sommes que des baromètres qui disons ce qui se passe. En espérant qu'il fasse beau, désormais, on casse le baromètre et ça je ne supporte pas.
Philippe Chauveau : C'est à dire que le journaliste est un baromètre ? Mais le journaliste n'est-il pas aussi un peu un lanceur d'alerte parfois ?
Sorj Chalandon : Oui, il peut être un lanceur d'alerte. Je travaille au « Canard Enchaîné » donc c'est quelque chose que je connais… Mais, c'est un journalisme que moi je ne pratique pas même si je l'aime ce journalisme là. J’aime les gens qui lancent des alertes, les gens qui travaillent pour retrouver le chèque n° 23 qui prouve que le type a effectivement piqué dans la caisse ! Mais moi, ce journalisme là, je le laisse à d'autres, notamment dans mon journal, à ceux qui ont des carnets d'adresses, qui ont des envies comme ça de rapporter des choses. Moi, ce qui m'intéresse le plus, c'est la vie des gens et c'est ce journalisme là que j'aime. Peut-être parce que je ne sais pas faire l'autre.
Philippe Chauveau : Vous avez évoqué les réseaux sociaux en employant le terme de réseaux asociaux. Vous même avez une présence sur les réseaux sociaux. Quel regard portez-vous aujourd'hui sur cet outil ? Vous dites « attention au danger » en l'occurrence ?
Sorj Chalandon : Oui, même si je ne suis que sur Facebook. Mais il se trouve que, dans tous mes derniers "posts" comme on dit, j’évoquais le problème kurde ou la Syrie. Je ne m'en sers pas pour faire mon auto promotion mais il y a quelques jours, par exemple, j'ai posté quelque chose sur l'islamophobie et cette manifestation qui a eu lieu. Et j'ai mis en parallèle cet enfant à qui un adulte a collé cette petite étoile jaune à cinq branches avec un tout petit croissant et une énorme étoile jaune qui évidemment rappelle ce que l'on sait et j'ai collé à côté de ça un gamin juif, en noir et blanc, avec cette même étoile et je dis qu'il ne faut pas jouer avec ça. Au final, neuf cents réponses de gens qui s'insultent ! Alors, j'ai tout arrêté, je me suis dit : « stop » ! Ce n'est pas le lieu de l'intelligence. C'est un bistrot, c'est un comptoir où les gens éructent et au bout d'un moment, je dis "OK, d'accord, on ferme j'arrête, j'éteins la lumièren rentrez chez vous". Mais j'ai laissé quand même, sur la porte de mon café, la photo du petit enfant juif.
Philippe Chauveau : Deux questions en une. Vous qui, par l'écriture journalistique, depuis des années maintenant, essayez peut-être de faire avancer le monde…
Sorj Chalandon : Je n'ai pas cette prétention là ! Je ne veux pas faire avancer le monde, j'essaie surtout de le comprendre. Je ne peux pas changer le monde, mais je ne veux pas qu'il me change et je me battrai pour que le monde ne me change pas.
Philippe Chauveau : Avez-vous néanmoins, aujourd'hui, une désillusion sur la façon dont le monde avance ? Et l'écriture romanesque est-elle, pour vous, une façon d'être dans un sas de respiration par rapport à ce que vous offre le monde d'aujourd'hui ?
Sorj Chalandon : J'ai été très idéologue et je suis aujourd'hui, disons, orphelin d'idéologie. Je suis revenu un peu de tout mais ce n'est pas du tout du cynisme, c'est de la désaffection et c'est de la tristesse. Et la fiction pour moi est un moyen, non pas d'être gai, mais de me raccrocher à des choses qui me manquent en tant que journaliste.
Philippe Chauveau : Mais vous sentez vous le même en étant journaliste ou romancier ? Y a-t-il deux Sorj Chalandon ?
Sorj Chalandon : Non, il y en a un le jour et un la nuit. Journaliste vraiment dans la journée, et la nuit, une fois que la ville dort, une fois que ma famille dort, une fois que mes enfants dorment, je peux rêver à un autre monde.
Philippe Chauveau : Et ils s'entendent bien ces deux Sorj Chalandon ?
Sorj Chalandon : Oui, ça va ! On se croise le matin et le soir…
Philippe Chauveau : Votre actualité chez Grasset votre neuvième titre une joie féroce.
Sorj Chalandon
Une joie féroce
Livre 00'06'30"Philippe Chauveau :
Sorj Chalandon, nous allons faire connaissance avec quatre femmes. Ce sont les héroïnes d'« Une joie féroce », votre neuvième titre. Il y a Jeanne, qui va ouvrir le bal, il y a Brigitte, il y a Assia et il y a Mélodie.
Ces quatre femmes, on les découvre lorsqu'elles préparent un casse. C'est le début du roman. Et puis après, on va remonter un petit peu en arrière et vous allez nous expliquer comment ces quatre femmes se sont rencontrées. C'est la salle d'attente d'un hôpital qui est un peu le lieu de rendez-vous de ces quatre femmes. Qui sont-elles ces quatre héroïnes que vous avez eu envie de nous présenter ?
Sorj Chalandon :
D’abord, pour la première fois, je suis une femme ! Cela veut dire que dans mes huit romans précédents, les femmes avaient un tout petit rôle. Il n'y avait presque pas de rôle pour elles, c'est vrai. Elles étaient des ombres d'hommes. Elles étaient en périphérie. Je m'étais toujours juré qu'un jour, je mettrais en scène des résistantes et des combattantes. Sauf qu'il fallait une bonne raison et la bonne raison donc c'est la maladie. Ma femme a été touchée par le cancer et, onze jours après, je suis diagnostiqué à mon tour. Donc, notre appartement est devenu le pavillon des cancéreux! Là, je me suis dit que je n’allais pas parler de mon cancer parce qu'il ne m'intéresse pas. En revanche, le moyen d'être une femme, ça y est, je l'ai ! Donc, je vais me battre, je vais être une femme, je vais être Jeanne, l'héroïne de ce roman et il faut que je mette au point un appareillage romanesque qui fait que cette femme là va rencontrer d'autres femmes. Elles seront quatre en tout. Des femmes secrètes, des femmes qui ont une petite vie normale. J'ai envie de les retrouver avec une arme dans la main.
Philippe Chauveau :
Il y a, en sorte, deux romans en un. Il y a toutes les scènes qui se passent à l'hôpital, lorsqu'elles sont dans l'attente, les moments de doute et les moments d'angoisse. Jeanne qui voit aussi sa vie se déliter parce que son mari va se montrer très faible, il va s'en aller lorsqu'il va apprendre la maladie de son épouse. Et puis, il y a cette autre partie du roman où là, elles vont préparer un casse. Je ne trahis aucun secret puisque c'est dans les premières pages mais je ne vais pas expliquer pourquoi effectivement elles font elles font ce casse. Il y a donc, finalement, deux histoires. Et vous le dites, la maladie n'est qu'un prétexte même si elle est toujours présente.
Sorj Chalandon :
Bien sûr mais elle n'est qu'un prétexte parce que Jeanne est une libraire. Jeanne n'aurait jamais dû avoir une arme à la main et dévaliser une grande bijouterie de la place Vendôme. Jamais ! Pourquoi le fait-elle ? D'abord, parce que son mari s'en va et qu'elle se retrouve seule. Parce que, lorsque vous avez un cancer, les banques ne vous prêtent plus d'argent. C'est fini. Pendant au moins cinq ans, voire dix ans il y a plus de prêts. Ces quatre filles là ont besoin d'argent. On ne dit pas pourquoi mais c'est une raison impérieuse. Ces quatre femmes sont « désenfantées ». Toutes ont un problème d'enfant et elles vont aider la plus jeune, Mélodie, à récupérer le sien. Mais il leur faut de l'argent et, sans entrer dans les détails, cet argent là, où le trouver ? il n'y a plus de banque, il n'y a plus de banquier, il n'y a plus d'amis, il y a plus de copains, il n'y a plus rien. Si ! Place Vendôme, il y a une bijouterie qui est possible. Donc, c'est la maladie qui les pousse. C'est la maladie qui les oblige.
Philippe Chauveau :
Justement, vous nous expliquez que par la maladie, grâce à la maladie, on peut se reconstruire, se construire une nouvelle vie, une autre vie. Et je dis bien construire, il n'y a pas le choix, on a d'autres priorités, on se fait de nouveaux amis, on a d'autres buts et on se découvre peut-être différemment, peut-être plus forte. C'est le cas de Jeanne qui est très faible et qui se révèle finalement être une combattante, une résistante.
Sorj Chalandon :
Vous n'avez pas le choix effectivement. Soit vous baissez les bras, il y a plein de gens qui ont baissé les bras, soit vous vous redressez. C'est l'histoire de quatre femmes qui se redressent et j'aime bien ça.
Philippe Chauveau :
On retrouve dans ces pages toute la sensibilité de votre écriture mais je précise que même si le sujet pouvait parfois prêter au pathos, vous avez complètement évité cela. Il y a même beaucoup d'humour, notamment lorsqu'elle prépare ce fameux casse, lorsqu'elles se découvrent les unes les autres, on s'amuse. Il y a des passages où on a un peu le cœur serré et puis, la page d'après, on a un vrai sourire parce que ces quatre femmes sont épatantes. C'est ce que vous aviez envie d'offrir aux lecteurs ?
Sorj Chalandon :
Oui ! Il se trouve que ce que je reçois en ce moment, pour la promotion du livre, je ne l'ai jamais reçu auparavant. C'est à dire que la violence des femmes qui viennent dans des salons ou dans des signatures et qui enlèvent, devant moi, leur perruque en me disant : « Qu'est-ce que j'aurais aimé vous rejoindre vos filles ! Qu'est-ce que j'aurais aimé participer à ce casse ! », pour moi, c'est une très belle chose. Une copine m'a envoyé un petit SMS, il y a quelque temps, écrivant : « Sorj "t'es une sacrée nana !". Et j’ai trouvé ça tellement joli… Donc, voilà, ce n'est évidemment pas un mode d'emploi pour vaincre la maladie, ce n'est pas non plus un mode d'emploi pour faire un casse réussi, c'est juste : « Moi j'en sors, je suis Jeanne ». J'ai attendu plusieurs mois avant d'être opéré parce que je voulais écrire avec ça en moi. Je ne voulais pas qu'on me l'enlève, je voulais le sentir dans l'écriture chaque jour. Je voulais d’abord que ma femme s'en sorte avant d'être opéré moi-même, mais c'est une sacrée chance d'écrire sur un sujet en étant habité par ce sujet là. Et, une fois que c'est terminé, l'expulser comme un rat pour qu’il retourne dans son égout.
Philippe Chauveau :
Vous ne l'avez expliqué, ce livre est né d'un événement de votre vie avec votre épouse. Ce livre, le portez-vous aujourd'hui comme un étendard ? Tous les deux, vivez-vous la vie plus forte qu'avant ? Est-ce que ce livre finalement va vous accompagner ?
Sorj Chalandon :
Ce livre va m'accompagner parce que la maladie, je n'en suis pas encore tout à fait sorti ! C'est un peu compliqué. Mais je crois qu'au-delà de cela, on prend conscience que tout cela est d'une fragilité épouvantable. Donc, c'est une joie féroce de vivre et en même temps, chaque matin, on est content de se réveiller.
Philippe Chauveau :
Jeanne, Brigitte, Mélodie et Assia, ces quatre femmes combattantes et résistantes sous la plume de Sorj Chalandon, « Une joie féroce ». Le livre est publié chez Grasset. Merci beaucoup.