Depuis son premier roman « Moutarde douce » en 2001, Stéphanie Hochet construit discrètement mais sincèrement et avec talent une véritable œuvre littéraire. L’amour des mots et des textes, elle le partage d’ailleurs dans les ateliers d’écriture qu’elle anime régulièrement. Amoureuse des chats, on lui doit ce joli opus paru en 2016, « Eloge du chat » qui a beaucoup fait pour sa notoriété. Fascinée par la littérature anglaise et notamment les femmes romancières, elle a vécu plusieurs années là-bas. Ainsi est...
William de Stéphanie Hochet - Présentation - Suite
Philippe Chauveau :
Bonjour Stéphanie Hochet.
« Pacifique », votre actualité aux éditions Rivages, c'est déjà votre quatorzième titre. Vous tracez votre sillon discrètement, simplement, sans bruit, mais en ayant autour de vous des lecteurs et des lectrices fidèles, des libraires qui suivent votre parcours. Je ne sais pas si cela vous arrive de vous pencher un peu en arrière, mais depuis « Moutarde douce » en 2001, quel regard portez-vous sur ce parcours d'auteur?
Stéphanie Hochet :
Je dirais qu'il a été très...
William de Stéphanie Hochet - Portrait - Suite
Philippe Chauveau :
Avec ce bandeau que votre éditeur a choisi de positionner sur votre livre, Stéphanie Hochet, c'est le Japon éternel avec cette photo du mont Fuji Yama. Et pourtant, nous sommes dans un Japon bien spécifique, celui de 1945. Isao Kaneda, c'est votre héros, un jeune garçon, qui va être envoyé kamikaze pour aller bombarder les forces américaines. C'est le point de départ de votre roman sur lequel on va bien sûr revenir. Le Japon, vous connaissez ? Vous y êtes déjà allée ?
Stéphanie Hochet :
Je le...
William de Stéphanie Hochet - Livre - Suite
Stéphanie Hochet
Pacifique
Présentation 00'02'23"Depuis son premier roman « Moutarde douce » en 2001, Stéphanie Hochet construit discrètement mais sincèrement et avec talent une véritable œuvre littéraire. L’amour des mots et des textes, elle le partage d’ailleurs dans les ateliers d’écriture qu’elle anime régulièrement. Amoureuse des chats, on lui doit ce joli opus paru en 2016, « Eloge du chat » qui a beaucoup fait pour sa notoriété. Fascinée par la littérature anglaise et notamment les femmes romancières, elle a vécu plusieurs années là-bas. Ainsi est né « Roman anglais » dans lequel place l’ombre de Virginia Woolf.
« Combat de l’amour et de la faim », « Sang d’encre » ou « Les éphémérides » font aussi partie des 14 livres qu’elle a aujourd’hui à son actif.
Pour Stéphanie Hochet, le livre est un voyage, voyage à la fois temporel et géographique. Elle se plait parfois à dérouter, à brouiller les pistes et aucun de ses livres ne se ressemblent. Mais la pertinence est toujours présente. Une qualité d’écriture, un choix raisonné dans les mots, des intrigues habilement menées, un univers spécifique. Stéphanie Hochet est une auteure à part qui sait toujours nous surprendre et nous enthousiasmer.
Voici Isao Kaneda, il n’a même pas 20 ans. Dans ce Japon d’avril 1945, il sait que le Japon va perdre la guerre. Mais, élevé dans le culte de l’empereur et du Japon éternel, fasciné par ces avions qui sillonnent le ciel, après une formation éclair, le voici pilote de chasse, sachant que son destin est de mourir pour son pays.
Dans cette histoire en trois parties, Stéphanie Hochet nous offre une vision à la fois poétique et effrayante de ce Japon de la seconde guerre mondiale, durant laquelle la jeunesse fut sacrifiée sur l’autel de la patrie. Elevée par sa grand-mère, elle-même fille de samouraï, mais proche de la culture occidentale grâce à son précepteur, M. Mizu, Isao ira-t-il au bout de sa mission, écartelé entre son devoir et sa soif de vivre.
Ce livre est une petite pépite, un roman à la fois violent et poétique et ce personnage d’Isao, fleur de cerisier sacrifiée, restera longtemps dans votre mémoire.
« Pacifique » de Stéphanie Hochet est publié aux éditions Rivages
Stéphanie Hochet
Pacifique
Portrait 00'06'32"Philippe Chauveau :
Bonjour Stéphanie Hochet.
« Pacifique », votre actualité aux éditions Rivages, c'est déjà votre quatorzième titre. Vous tracez votre sillon discrètement, simplement, sans bruit, mais en ayant autour de vous des lecteurs et des lectrices fidèles, des libraires qui suivent votre parcours. Je ne sais pas si cela vous arrive de vous pencher un peu en arrière, mais depuis « Moutarde douce » en 2001, quel regard portez-vous sur ce parcours d'auteur?
Stéphanie Hochet :
Je dirais qu'il a été très contrasté. Il a été parfois difficile parce que j'ai changé plusieurs fois de maisons d'édition. J'ai continué à écrire mes romans et ils ont trouvé des éditeurs de plus en plus sérieux. Je trouve que je suis bien tombée chez Rivages parce cela fait quand même plusieurs années que je travaille avec Rivages. Et ma chance, c'est d'avoir pu écrire exactement tout ce que je voulais, c'est à dire qu'on ne m'a jamais demandé d'écrire sur telle ou telle chose, sauf les essais, l'essai sur le chat mais que je ne regrette absolument pas parce qu'il a quelque part révélé ce qu'il y avait en moi.
Philippe Chauveau :
Vous évoquez « L'éloge du chat » qui a été l'un de vos titres phares et qui nous a montré votre amour pour les félins. Vous avez une autre passion, c'est la littérature anglaise. Vous avez vécu, vous avez étudié, vous avez enseigné au Royaume-Uni. Qu'es- ce qui vous touche dans la littérature anglaise?
Stéphanie Hochet :
Ce sont surtout les romancières anglaises qui me qui me fascinent. Elles ont été à l'origine d'émerveillement pour moi, que ce soient les soeurs Brontë, surtout Charlotte Brontë et Emily Brontë, évidemment, mais aussi Jane Austen et évidemment Virginia Woolf. Je leur trouve un tempérament, une liberté, une audace. Et puis, il y a quelque chose de fortement romantique chez elles qui révélait quelque chose chez moi. Il y a presque toujours une espèce d'affirmation féministe chez les romancière anglaise du 19ème. Donc voilà, c'est pour ça que « Roman anglais » est clairement un hommage à Virginia Woolf.
Philippe Chauveau :
Vous avez également ce goût, cette appétence, pour le partage de l'écriture. Vous animez des ateliers d'écriture. Ça vous apporte quoi ?
Stéphanie Hochet :
Je cherche à faire partager l'amour de la littérature et parfois, il faut faire naître quelque chose chez les jeunes qui ne demandent qu'à prendre. Parce que quand on dit que les jeunes ne lisent pas, ce n'est pas si vrai. Tout dépend comment on s'adresse à eux. Moi, j'aime avoir un lien avec cette jeunesse qui est souvent dans la révolte, souvent dans le besoin d'exprimer quelque chose. Je pense que par l'écrit, ça peut être très intéressant. Donc, j'ai souvent des échanges très riches avec eux. Donc, voilà, ces échanges m'apportent beaucoup parce qu’en tant qu'écrivain, en tant que écrivaine, en tant qu'autrice, je travaille seule chez moi, totalement enfermée et cela peut avoir des dangers. On peut par exemple éprouver une hyper fragilité de soi, une petite déprime au bout d'un moment. Alors, par le lien avec la jeunesse, tout d'un coup, on entre dans quelque chose de beaucoup plus vivant, on a besoin d'une altérité. En fait, on a besoin d'échanger. C'est aussi pour ça que c'est intéressant de rencontrer ses lecteurs. Parce qu’une fois qu'on a créé le livre, qu'on a écrit le livre, c'est enthousiasmant de rencontrer les lecteurs et de discuter. Tout à coup, il y a un lien.
Philippe Chauveau :
Vous évoquez la solitude de l'écrivain. En revanche, il y a toujours un sentiment de liberté dans vos romans. Vous nous faites voyager...
Stéphanie Hochet :
Justement, c'est parce que je ne bouge pas de chez moi que j'ai besoin de voyager dans mes romans !
Philippe Chauveau :
C'est vrai que vous nous emmenez parfois dans des régions françaises ou à l'autre bout du monde. Je reviens sur vos précédents titres, on en a cité quelques-uns, « L'éloge du chat », « Roman anglais », « L'animal et son biographe », « Combat de l'amour et de la faim » entre autres. On est dans des intrigues très différentes, dans des registres différents, des écritures différentes, des époques différentes aussi. Mais j'imagine qu'il y a quand même un fil rouge dans tout cela.
Stéphanie Hochet :
J'aurais du mal à répondre, mais en fait, j'ai besoin d'écrire le livre que j'ai envie de lire et il se trouve que j'aime lire des choses très différentes. J'aime dire que, quand je commence un livre, j'aime me surprendre et j'aime aller vers quelque chose qui est de l'ordre presque du mystère. Donc je vais chercher un mystère qui m'intéresse et qui m'attire. Je me permets de ne pas avoir de retenue sur l'époque et le lieu, donc je me dis qu'un voyage littéraire, c'est la liberté totale. C'est le même prix du billet, qu'on soit au Japon, qu'on soit aux Etats-Unis, qu'on soit en Angleterre, qu'on soit dans le Lot, qu'on soit dans notre époque contemporaine, en 1945 ou en 1917. J'ai absolument tous les droits en tant que romancière, à condition bien évidemment de, et pour moi c'est très important, que ce soit totalement vraisemblable. C'est à dire que je respecte l'époque, je respecte les personnages dans leur mentalité, leur façon d'être, dans leurs préjugés de l'époque.
Philippe Chauveau :
Même si parfois, vous vous autorisez quelques pas vers un univers un peu fantastique ou fantasmé…
Stéphanie Hochet :
Oui, c'est ça. Alors là, c'est encore plus la liberté absolue. C’est ce que j’ai fait avec « Sang d'encre ». Et oui, vraiment, j'ai fait un pas dans le fantastique parce que le réalisme magique m'attire aussi, parce que certains écrivains comme Cortázar m'ont fasciné. Donc, je me permets une série de pas de côté en littérature continuellement.
Philippe Chauveau :
Stéphanie Hochet, une femme libre, « Pacifique », c'est votre actualité. Vous êtes publiée aux éditions Rivages.
Stéphanie Hochet
Pacifique
Livre 00'06'39"Philippe Chauveau :
Avec ce bandeau que votre éditeur a choisi de positionner sur votre livre, Stéphanie Hochet, c'est le Japon éternel avec cette photo du mont Fuji Yama. Et pourtant, nous sommes dans un Japon bien spécifique, celui de 1945. Isao Kaneda, c'est votre héros, un jeune garçon, qui va être envoyé kamikaze pour aller bombarder les forces américaines. C'est le point de départ de votre roman sur lequel on va bien sûr revenir. Le Japon, vous connaissez ? Vous y êtes déjà allée ?
Stéphanie Hochet :
Je le connais par la littérature et par le cinéma. Je le connais parce que j'ai regardé beaucoup de documentaires, que je m'y intéresse beaucoup. Pour la littérature, ça doit faire une vingtaine d'années que je lis des romans japonais. Je n'y suis jamais allée, comme je n'étais jamais allée dans les Etats du sud des États-Unis en 2009 quand j'ai écrit « Combat de l'amour et de la faim », qui se situe principalement en Louisiane.
Philippe Chauveau :
Comment est née cette envie puisque vous ne connaissez pas le Japon ? Comment est née cette envie d'emmener vos lecteurs dans ce Japon de la fin de la Seconde Guerre mondiale? Et comment arrive ce jeune garçon Isao Kaneda?
Stéphanie Hochet :
Pour moi, écrire, c'est aussi découvrir. En même temps, j'écris et je découvre. Pour cette histoire là, précisément, il y a plusieurs années, j'avais regardé des documentaires sur la guerre du Pacifique. Alors j'avais commencé par voir, évidemment, le point de vue des Américains qui racontaient qui étaient ces monstres qui demandaient à leurs pilotes, souvent des très bons pilotes, de se sacrifier, de se jeter sur les porte-avions américains. Je me souviens de l'effroi américain, je pensais un peu comme tout le monde que ces gens étaient des fanatiques, des fous. Et puis le temps a passé et j’ai vu d'autres reportages. Je tombe sur un reportage qui prend le point de vue du japonais, c'est à dire qu'on voit que ces jeunes hommes, qui avaient une vingtaine d'années la plupart du temps, étaient des jeunes pilotes qui n'avaient simplement pas eu le choix. En fait, on les a envoyés. Et puis, il y a autre chose. En suivant un petit peu cette affaire, j'ai découvert des termes qui étaient complètement fous puisqu'on utilisait des termes très poétiques pour parler d'eux. On disait qu'ils étaient des fleurs de cerisier, c'est à dire que ce sont des jeunes hommes qui vont tomber au moment de leur jeunesse et de leur beauté et ,en projetant leurs avions sur la flotte américaine, ils vont créer ce qu'on appelle des chrysanthèmes flottants. Il y a tout un vocabulaire poétique qui est lié à l'extrême violence. Je trouve cela absolument magnétique et fascinant.
Philippe Chauveau :
Justement, ce paradoxe du Japon en 1945, vous le mettez en avant avec deux phrases en exergue de votre roman : « la fleur de cerisier s'envole sauvage et belle » en évoquant les soldats, et puis, une autre phrase : « il est plus méritoire de mourir pour son maître que d'abattre un ennemi ». Ces deux phrases sont aux antipodes. Elles représentent la beauté, la poésie et tout ce qu'il y a de plus sombre et plus violent. Finalement, le livre est comme ça. Vous avez construit un livre en trois parties pour suivre le parcours d'Isao Kaneda. Dans la première partie, il est dans ce centre de formation où il va devenir pilote. Dans la deuxième partie, on va découvrir qui il est, son enfance, élevé par sa grand-mère avec un précepteur, Mizu, qui lui raconte un peu la culture occidentale. Et puis, la troisième partie qu’on ne va pas dévoiler mais qui est très onirique. Comment est venue ce choix de l'écriture ? Est ce qu'il s'est imposé à vous rapidement ?
Stéphanie Hochet :
En fait, je me suis dit qu’il fallait creuser mon personnage, que je le fasse exister. Le plus difficile était de l'incarner, parce que ce n’est pas n'importe qui. Isao, c'est quelqu'un, effectivement, qui a une incarnation particulière puisque il n'est pas un fanatisé. C'est quelqu'un qui qui est habité par le doute. Il doute parce qu'il a reçu une éducation qui l'a aidé à grandir, à avoir le sens du doute, à ne pas mépriser son adversaire, à connaître la culture occidentale, à connaître la littérature, à connaître les auteurs. C'est quelqu'un d'assez sensible, donc c'est quelqu'un qui est partagé par beaucoup de choses même s’il est tout à fait patriote et qu’il est prêt à donner sa vie pour son pays.
Il n'est pas idiot et il voit bien que ça ne servira à rien. Comment accepter un sacrifice qui ne sert à rien ? C'est ça, le problème !
Philippe Chauveau :
Dans la deuxième partie, vous nous racontez la jeunesse, l'enfance, d'Isao. C'est un jeune homme, il ne connaît pas grand-chose à la vie car il a été élevé un peu en vase clos chez sa grand-mère. Mais il va quand même croiser l'amour et cela va lui ouvrir les portes d'un autre univers qu'il ne soupçonnait pas.
Stéphanie Hochet :
Oui, ce sont à chaque fois des visions. C'est très onirique. Il va voir des jeunes filles à son cours de kendo. Il y a une jeune fille en particulier qu’il observe mais qu'il n'osera jamais approcher. Il est tellement élevé loin de ses contemporains, qu'il est embarrassé de timidité. Mais voilà, tout ça fait naître chez lui beaucoup de poésie. Ça, c'est très japonais d'être tout à fait dans la délicatesse autour du sentiment amoureux. Et voilà, il y aura d'autres rencontres. Mais il est très jeune. Il a 21 ans. Il a toute sa vie à vivre.
Philippe Chauveau :
Comme dans vos précédents livres, il y a une ambiance, un univers qui vous est propre. Et puis, il y a cette poésie que vous évoquez, qui est peut-être liée au Japon. Mais c'était aussi votre envie de mettre quelque chose de très onirique pour nous parler de la guerre.
Stéphanie Hochet :
C'est à dire que, quand j'ai commencé à écrire, j'avais évidemment envie d'installer de la poésie, de diluer de la poésie dans ce livre, comme dans les autres livres. Sauf que là, en plus, il se trouve qu'il y a des choses qui naissent naturellement, quand on a des termes comme par exemple, quand l’empereur Hirohito dit de ces kamikazes qu'ils sont des étoiles tombées du ciel, quand on parle de joyaux brisés pour parler des kamikazes. Tout de suite, on est dans la poésie. C'était une évidence.
Philippe Chauveau :
Il y a des livres qui sont des rencontres et des personnages qui deviennent des amis de papier. Vous n'oublierez pas de sitôt Isao Kaneda. Et puis, vous allez aussi aimer la poésie de Stéphanie Hochet dans cette écriture qui nous rappelle la beauté de la jeunesse mais surtout nous rappelle l'horreur de la guerre. « Pacifique », aux éditions Rivages. Merci beaucoup Stéphanie Hochet.