Elle est l’une des révélations littéraires de cette fin d’année 2019. Avec son « Bal des folles », Victoria Mas a su se faire un prénom. Evoluant depuis sa naissance dans un univers artistique auprès de sa mère, la chanteuse Jeanne Mas, la jeune Victoria découvre la littérature à l’adolescence avec Maupassant puis Marguerite Duras. Son envie d’écrire la pousse à des études littéraires même si ses premiers pas professionnels seront dans le cinéma en tant qu’assistante de production.S’intéressant à la place...
Un miracle de Victoria Mas - Présentation - Suite
Philippe Chauveau :Bonjour Victoria Mas. Merci d'avoir accepté notre invitation. On parle beaucoup de votre roman, « Le bal des folles », l'une des jolies surprises de la rentrée littéraire 2019. C'est votre premier roman. On va revenir sur ce qu'est ce bal des folles mais faisons un petit peu plus connaissance. Vous avez un nom que l'on connaît forcément, votre maman est une artiste célèbre. Comment est venu votre goût de l'écriture ? Justement, chez vous, on était plus dans la musique ou bien le livre avait quand même sa...
Un miracle de Victoria Mas - Portrait - Suite
Philippe Chauveau :Avec ce livre, Victoria Mas, vous nous emmenez à la fin du dix-neuvième siècle. Le titre est déjà très énigmatique et les premières pages le sont encore plus avec cette invitation à un bal un peu particulier. Finalement, ce bal des folles n'intervient que dans les dernières pages du roman mais il donne quand même son titre au livre. En quelques mots c'était quoi ce bal des folles ?
Victoria Mas :Ce bal des folles avait lieu fin 19ème, chaque année, à l'hôpital de la Salpêtrière qui, à l'époque,...
Un miracle de Victoria Mas - Livre - Suite
Victoria Mas
Le bal des folles
Présentation 00'02'02"Elle est l’une des révélations littéraires de cette fin d’année 2019. Avec son « Bal des folles », Victoria Mas a su se faire un prénom.
Evoluant depuis sa naissance dans un univers artistique auprès de sa mère, la chanteuse Jeanne Mas, la jeune Victoria découvre la littérature à l’adolescence avec Maupassant puis Marguerite Duras. Son envie d’écrire la pousse à des études littéraires même si ses premiers pas professionnels seront dans le cinéma en tant qu’assistante de production.
S’intéressant à la place de la femme et à l’évolution de la société à la fin du XIXème siècle, elle découvre ce fameux bal des folles que Jean-Martin Charcot avait instauré pour les femmes internées à l’hôpital de la Salpêtrière. Là, une fois par an, la bonne société parisienne venait danser avec ces démentes, costumées et grimées. Comble du voyeurisme mais aussi véritable exercice thérapeutique, ce bal était l’occasion pour ces pauvres femmes de sortir de leur isolement au cours d’une soirée mais aussi lors des semaines la précédant.
Prenant prétexte de ce fait authentique, Victoria Mas a su plonger au cœur de la personnalité de ses personnages, se focalisant sur trois femmes, Eugénie, Louise et Geneviève, chacune avec son histoire, ses fragilités et ses résistances.
S’appuyant sur une documentation sérieuse sans sacrifier à la qualité de l’écriture, la jeune primo-romancière nous offre un livre très abouti, qui résonne étrangement avec notre époque contemporaine.
Dans ce Paris des années 1885 en pleine évolution, où les plus faibles sont laissés de côté, le roman interpelle sur la place des femmes et le rôle de la médecine, à une époque où les asiles étaient aussi la possibilité de se débarrasser de ceux que l’on jugeait différents.
Un sujet passionnant et un livre très réussi. « Le bal des folles » de Victoria Mas est publié chez Albin Michel.
Victoria Mas
Le bal des folles
Portrait 00'06'33"Philippe Chauveau :
Bonjour Victoria Mas. Merci d'avoir accepté notre invitation. On parle beaucoup de votre roman, « Le bal des folles », l'une des jolies surprises de la rentrée littéraire 2019. C'est votre premier roman. On va revenir sur ce qu'est ce bal des folles mais faisons un petit peu plus connaissance. Vous avez un nom que l'on connaît forcément, votre maman est une artiste célèbre. Comment est venu votre goût de l'écriture ? Justement, chez vous, on était plus dans la musique ou bien le livre avait quand même sa place ? Bref, pourquoi l'envie d'écrire ?
Victoria Mas :
Je pense que, chez moi, il y avait beaucoup de créations et un esprit de créativité très présent. Après, de mon côté, c'est vrai que la lecture et l'écriture ont toujours été présentes aussi loin que je me souvienne. C'est un peu classique mais c'est vrai ! Dans mon cas, j'ai vraiment eu le déclic de commencer à écrire sérieusement à l'âge de 18 ans lorsque j'ai lu « L'Amant » de Marguerite Duras. Et ça a été mon épiphanie personnelle puisque j'ai été frappée par la puissance du livre mais aussi par la vie de cette romancière et je me suis dit j’allais faire comme elle !
Philippe Chauveau :
Qui vous met ce livre dans les mains ?
Victoria Mas :
Un professeur de littérature à l'étranger puisque j'étais à l'étranger à l'époque. Je faisais mes études supérieures en Californie.
Philippe Chauveau :
A partir de là vous avez eu envie de découvrir plus largement la littérature française, avec les classiques peut-être ? C'était une porte d'entrée ?
Victoria Mas :
Je les avais déjà découvert, mes premiers émois littéraires sont nés de Maupassant vers l'âge de 12 ou 13 ans. J'ai commencé à lire « Le Horla » et de là ma fascination du coup pour le 19ème siècle avec Zola, Victor Hugo, Baudelaire... J'étais fascinée non seulement par la lecture par les livres l'objet en lui-même, mais aussi par la figure de l'écrivain. Je voulais savoir qui qui était derrière ces mots, ces pages, ces récits. Donc, inconsciemment, je pense que tout cela me travaillait. Il a vraiment fallu attendre de déclic, à 18 ans, pour envisager les choses sérieusement.
Philippe Chauveau :
Si je vous entends bien, que ce soit Maupassant ou Duras, vous aviez besoin de savoir qui avait écrit, quelle la personnalité de ces auteurs ? Je vais faire un petit peu la même chose. Qui êtes-vous Victoria Mas ? Justement, avant cette envie d'écriture, à 18 ans, lorsqu'il y a eu ce déclic, quel avait été votre parcours ? Quelles sont les études que vous avez suivies, des études littéraires ?
Victoria Mas :
Oui, j'ai fait des études de lettres. J'ai obtenu un master de lettres modernes à la Sorbonne et j'ai commencé à travailler dans l'audiovisuel en tant que scripte et assistante de production, notamment à l'étranger. Quand je suis revenue m'installer en France j'ai continué en écrivant des manuscrits à côté. Je faisais de la correction, de la traduction, de la rédaction, de l'éditorial aussi principalement. Plein de petits métiers mais qui faisaient écho aussi à l'écriture.
Philippe Chauveau :
Quelles sont les méthodes de travail que vous avez adoptées pour ce premier roman ? Avez-vous cherché à savoir comment travaillaient d'autres romancières, d'autres romanciers ? Vous êtes vous astreinte à un rythme bien particulier ? Comment êtes-vous devenue romancière ?
Victoria Mas :
En écrivant tout d'abord des manuscrits, en cherchant ma voix, en cherchant mon style, en cherchant ce qui me touchait profondément. J'en ai écrit plusieurs avant de tomber sur cette histoire. En fait, cette anecdote du bal des folles qui avait lieu fin 19ème et le fait de commencer à écrire sur des faits réels a changé toute ma façon de travailler et ma façon d'aborder les personnages, mais aussi ma façon d'aborder la narration. Donc, pour ce livre en particulier, en plus de la documentation et des recherches, j'ai vraiment travaillé la structure en amont, c'est à dire qu'il fallait vraiment que je sache où j'allais. Chapitre par chapitre, je déclinais les scènes et il fallait que je sache exactement où j'allais et que je fasse des fiches pour chaque personnage, que je les développe en amont. Ce n'était pas du tout une écriture improvisée. Je suis vraiment partie avec un plan en tête.
Philippe Chauveau :
Lorsque vous êtes en travail d'écriture, arrivez-vous à rester une lectrice ou, au contraire, avez-vous besoin d'être complètement dans votre histoire ?
Victoria Mas :
Je préfère éviter de lire autre chose pour ne pas être influencée, de peur de voir le style de quelqu'un d'autre et de remettre en question ce que je suis en train d'écrire. Je préfére ne pas avoir de parasites.
Philippe Chauveau :
Vous avez choisi, pour ce premier roman, de nous plonger à la fin du 19ème siècle. Le goût des temps passés est-il très prégnant chez vous ?
Victoria Mas :
C'est vrai que j'aime bien. J'ai un goût prononcé pour le passé, le dix neuvième surtout. Je suis assez fascinée par les vieilles pierres aussi. Faire un petit travail d'archéologue, comme ça, juste par curiosité, creuser un Paris ou une région ou une époque dont on sait peu de choses, pour l'instant ça m'intéresse. Mais je ne m'interdis pas du tout d'écrire au présent aussi.
Philippe Chauveau :
Quel regard portez-vous justement sur notre époque contemporaine en tant que femme et en tant que romancière ?
Victoria Mas :
Je pense qu'elle n'est ni pire ni meilleure que d'autres époques. Aujourd'hui, on a tendance, peut-être, à s'inquiéter un peu plus ou à estimer que le monde va beaucoup plus mal qu'avant. Je pense que c'est juste dû au fait qu'on a accès à de l'information immédiate et internationale très vite. Mais je pense que la situation, à beaucoup d'égards, est évidemment meilleure que, par exemple, en 1885. En même temps, elle est pire aussi à d'autres égards. Je reste neutre mais je n'ai pas de nostalgie particulière en regardant le passé. Je ne suis pas du genre à penser que c'était mieux avant. Je ne pense pas nécessairement mieux avance pas nécessairement, mieux maintenant on fait avec.
Philippe Chauveau :
Etre romancière aujourd'hui, en 2019-2020, est-ce un projet d'avenir ?
Victoria Mas :
C'est vraiment mon projet depuis mes 18 ans et j'espère que j'aurai l'opportunité de continuer à écrire et à publier des livres. Ce qui me rassure aujourd'hui, c'est de voir que le livre existe toujours et a toujours une place au sein de la culture française. Les gens sont toujours intéressés par les livres, sont intéressés par l'objet aussi ; ils veulent continuer à remplir leurs bibliothèques, à découvrir de nouveaux auteurs. Donc, je me dis que pour l'instant, j'ai encore la chance de pouvoir écrire et de me dire que le livre a encore une existence du moins dans un futur proche.
Philippe Chauveau :
Ce premier roman est une réussite et on vous souhaite un très joli parcours. « Le bal des folles » est publié aux éditions Albin Michel.
Philippe Chauveau :
Bonjour Victoria Mas. Merci d'avoir accepté notre invitation. On parle beaucoup de votre roman, « Le bal des folles », l'une des jolies surprises de la rentrée littéraire 2019. C'est votre premier roman. On va revenir sur ce qu'est ce bal des folles mais faisons un petit peu plus connaissance. Vous avez un nom que l'on connaît forcément, votre maman est une artiste célèbre. Comment est venu votre goût de l'écriture ? Justement, chez vous, on était plus dans la musique ou bien le livre avait quand même sa place ? Bref, pourquoi l'envie d'écrire ?
Victoria Mas :
Je pense que, chez moi, il y avait beaucoup de créations et un esprit de créativité très présent. Après, de mon côté, c'est vrai que la lecture et l'écriture ont toujours été présentes aussi loin que je me souvienne. C'est un peu classique mais c'est vrai ! Dans mon cas, j'ai vraiment eu le déclic de commencer à écrire sérieusement à l'âge de 18 ans lorsque j'ai lu « L'Amant » de Marguerite Duras. Et ça a été mon épiphanie personnelle puisque j'ai été frappée par la puissance du livre mais aussi par la vie de cette romancière et je me suis dit j’allais faire comme elle !
Philippe Chauveau :
Qui vous met ce livre dans les mains ?
Victoria Mas :
Un professeur de littérature à l'étranger puisque j'étais à l'étranger à l'époque. Je faisais mes études supérieures en Californie.
Philippe Chauveau :
A partir de là vous avez eu envie de découvrir plus largement la littérature française, avec les classiques peut-être ? C'était une porte d'entrée ?
Victoria Mas :
Je les avais déjà découvert, mes premiers émois littéraires sont nés de Maupassant vers l'âge de 12 ou 13 ans. J'ai commencé à lire « Le Horla » et de là ma fascination du coup pour le 19ème siècle avec Zola, Victor Hugo, Baudelaire... J'étais fascinée non seulement par la lecture par les livres l'objet en lui-même, mais aussi par la figure de l'écrivain. Je voulais savoir qui qui était derrière ces mots, ces pages, ces récits. Donc, inconsciemment, je pense que tout cela me travaillait. Il a vraiment fallu attendre de déclic, à 18 ans, pour envisager les choses sérieusement.
Philippe Chauveau :
Si je vous entends bien, que ce soit Maupassant ou Duras, vous aviez besoin de savoir qui avait écrit, quelle la personnalité de ces auteurs ? Je vais faire un petit peu la même chose. Qui êtes-vous Victoria Mas ? Justement, avant cette envie d'écriture, à 18 ans, lorsqu'il y a eu ce déclic, quel avait été votre parcours ? Quelles sont les études que vous avez suivies, des études littéraires ?
Victoria Mas :
Oui, j'ai fait des études de lettres. J'ai obtenu un master de lettres modernes à la Sorbonne et j'ai commencé à travailler dans l'audiovisuel en tant que scripte et assistante de production, notamment à l'étranger. Quand je suis revenue m'installer en France j'ai continué en écrivant des manuscrits à côté. Je faisais de la correction, de la traduction, de la rédaction, de l'éditorial aussi principalement. Plein de petits métiers mais qui faisaient écho aussi à l'écriture.
Philippe Chauveau :
Quelles sont les méthodes de travail que vous avez adoptées pour ce premier roman ? Avez-vous cherché à savoir comment travaillaient d'autres romancières, d'autres romanciers ? Vous êtes vous astreinte à un rythme bien particulier ? Comment êtes-vous devenue romancière ?
Victoria Mas :
En écrivant tout d'abord des manuscrits, en cherchant ma voix, en cherchant mon style, en cherchant ce qui me touchait profondément. J'en ai écrit plusieurs avant de tomber sur cette histoire. En fait, cette anecdote du bal des folles qui avait lieu fin 19ème et le fait de commencer à écrire sur des faits réels a changé toute ma façon de travailler et ma façon d'aborder les personnages, mais aussi ma façon d'aborder la narration. Donc, pour ce livre en particulier, en plus de la documentation et des recherches, j'ai vraiment travaillé la structure en amont, c'est à dire qu'il fallait vraiment que je sache où j'allais. Chapitre par chapitre, je déclinais les scènes et il fallait que je sache exactement où j'allais et que je fasse des fiches pour chaque personnage, que je les développe en amont. Ce n'était pas du tout une écriture improvisée. Je suis vraiment partie avec un plan en tête.
Philippe Chauveau :
Lorsque vous êtes en travail d'écriture, arrivez-vous à rester une lectrice ou, au contraire, avez-vous besoin d'être complètement dans votre histoire ?
Victoria Mas :
Je préfère éviter de lire autre chose pour ne pas être influencée, de peur de voir le style de quelqu'un d'autre et de remettre en question ce que je suis en train d'écrire. Je préfére ne pas avoir de parasites.
Philippe Chauveau :
Vous avez choisi, pour ce premier roman, de nous plonger à la fin du 19ème siècle. Le goût des temps passés est-il très prégnant chez vous ?
Victoria Mas :
C'est vrai que j'aime bien. J'ai un goût prononcé pour le passé, le dix neuvième surtout. Je suis assez fascinée par les vieilles pierres aussi. Faire un petit travail d'archéologue, comme ça, juste par curiosité, creuser un Paris ou une région ou une époque dont on sait peu de choses, pour l'instant ça m'intéresse. Mais je ne m'interdis pas du tout d'écrire au présent aussi.
Philippe Chauveau :
Quel regard portez-vous justement sur notre époque contemporaine en tant que femme et en tant que romancière ?
Victoria Mas :
Je pense qu'elle n'est ni pire ni meilleure que d'autres époques. Aujourd'hui, on a tendance, peut-être, à s'inquiéter un peu plus ou à estimer que le monde va beaucoup plus mal qu'avant. Je pense que c'est juste dû au fait qu'on a accès à de l'information immédiate et internationale très vite. Mais je pense que la situation, à beaucoup d'égards, est évidemment meilleure que, par exemple, en 1885. En même temps, elle est pire aussi à d'autres égards. Je reste neutre mais je n'ai pas de nostalgie particulière en regardant le passé. Je ne suis pas du genre à penser que c'était mieux avant. Je ne pense pas nécessairement mieux avance pas nécessairement, mieux maintenant on fait avec.
Philippe Chauveau :
Etre romancière aujourd'hui, en 2019-2020, est-ce un projet d'avenir ?
Victoria Mas :
C'est vraiment mon projet depuis mes 18 ans et j'espère que j'aurai l'opportunité de continuer à écrire et à publier des livres. Ce qui me rassure aujourd'hui, c'est de voir que le livre existe toujours et a toujours une place au sein de la culture française. Les gens sont toujours intéressés par les livres, sont intéressés par l'objet aussi ; ils veulent continuer à remplir leurs bibliothèques, à découvrir de nouveaux auteurs. Donc, je me dis que pour l'instant, j'ai encore la chance de pouvoir écrire et de me dire que le livre a encore une existence du moins dans un futur proche.
Philippe Chauveau :
Ce premier roman est une réussite et on vous souhaite un très joli parcours. « Le bal des folles » est publié aux éditions Albin Michel.
Victoria Mas
Le bal des folles
Livre 00'07'10"Philippe Chauveau :
Avec ce livre, Victoria Mas, vous nous emmenez à la fin du dix-neuvième siècle. Le titre est déjà très énigmatique et les premières pages le sont encore plus avec cette invitation à un bal un peu particulier. Finalement, ce bal des folles n'intervient que dans les dernières pages du roman mais il donne quand même son titre au livre. En quelques mots c'était quoi ce bal des folles ?
Victoria Mas :
Ce bal des folles avait lieu fin 19ème, chaque année, à l'hôpital de la Salpêtrière qui, à l'époque, internait principalement des femmes et j'entends des hystériques, des épileptiques, des nerveuses, des schizophrènes… Et toutes ces femmes, une fois par an, avaient l'occasion de se déguiser avec des costumes de carnaval absolument loufoques. Le Tout-Paris mondain se pressait alors au sein de l'hôpital pour venir côtoyer ces folles de près. Donc, c'était un drôle de mélange entre un public de curieux et ces femmes pour qui cette soirée représentait tout. C'était pour elles un moment de confort, un moment de lumière, un moment de joie et de musique. Mais il y avait un côté très obscène et très voyeuriste qui m'a profondément gênée quand j'ai appris l'existence de ce bal.
Philippe Chauveau :
Néanmoins, ce moment festif qui se déroulait à la période de la Mi-Carême avait une valeur thérapeutique puisque c'est le Dr Charcot qui initie cela en se disant que, peut-être, ce bal des folles peut permettre à ces femmes de sortir la tête de l'eau. Il y avait quand même cette idée.
Victoria Mas :
Tout à fait. C'est vrai qu’au final ce bal est assez paradoxal dans le sens où il faisait beaucoup de bien à ces femmes qui étaient internées puisque, encore une fois, le temps d'un soir, elles avaient la promesse de bougies, de lumières, d'hommes aussi, de retour à un semblant de normalité. Et les semaines qui précédaient ce bal, les jours de préparation, en effet, il y avait beaucoup moins de crises d'hystérie dans le secteur donc ça avait vraiment une vertu thérapeutique. Après, de l'autre côté, l'autre versant de ce bal, c'est ce public qui ne voulait pas croiser ces femmes, ni au sein de leur foyer ni dans leurs rues, mais qui acceptaient de les voir une fois par an dans un cadre vraiment confiné en espérant voir une femme qui tomberait en catalepsie ou une autre qui ferait une crise d'hystérie. J'ai eu de la peine et j'ai eu mal pour ces femmes.
Philippe Chauveau :
Comme on le disait, cette scène du bal arrive dans les dernières pages et ce sont bien les semaines qui précèdent que vous allez nous raconter à travers les portraits de plusieurs femmes que l'on va retrouver à la Salpêtrière. Il y a Thérèse mais il y en a surtout trois, Eugénie, Louise et Geneviève. Trois personnalités, trois parcours différents. Présentons-les rapidement en commençant par Eugénie qui se retrouve là, poussée par sa famille.
Victoria Mas :
Eugénie, c'est l'exemple même de l'internement de confort. D'ailleurs concernant Eugénie, on l'a souvent comparé à Camille Claudel parce qu'elles sont assez similaires dans le sens où ce sont des femmes intelligentes, curieuses, émancipées, avec un désir d'autonomie très fort, et qui se retrouvent internées de force du fait de leur force. Eugénie a un don particulier et c'est pour cette raison qu'elle se retrouve à la Salpêtrière. Là, elle va rencontrer l'intendante du secteur des hystériques qui se prénomme Geneviève. Celle-ci oeuvre au sein de ce secteur depuis une vingtaine d'années et a dédié sa vie à la médecine, vouant une admiration sans faille à Charcot. Elle ne voit plus ces femmes comme des femmes mais vraiment comme des folles, comme des aliénés. Elle a décidé de les déshumaniser et c'est l'arrivée d'Eugénie qui va amener Geneviève à changer son regard sur les femmes. Et enfin, on a Louise, je me suis inspirée évidemment d'Augustine pour écrire le personnage de Louise qui aspire à être, comme Augustine, la nouvelle patiente célèbre du docteur Charcot, avec la notoriété que cela implique à l'époque. Elle a des rêves de mariage un peu illusoires pour sa situation mais elle présente en fait une innocence qui fait du bien tout au long du roman.
Philippe Chauveau :
L'une des forces de votre roman, c'est la peinture que vous faites de cette fin du 19ème siècle à travers les personnages qui côtoient la Salpêtrière. Il y a toute la société qui est ici représentée. Et puis, vous insistez bien évidemment sur la place des femmes durant cette période. Y-a-t-il un parallèle à faire entre ce que les femmes vivent aujourd'hui et ce qu'elles pouvaient vivre au 19ème siècle ? Avez-vous pensé à cela dans l'écriture ?
Victoria Mas :
Je pense qu'en fait les parallèles se font tout seuls. Mon objectif était vraiment de décrire ce qui se passait en 1885 aussi bien que possible. Après, en effet, j'avais des échos qui venaient très naturellement de cette époque, par exemple l'idée, qu'à l'époque, on pensait que l'hystérie était principalement féminine donc liée au sexe de la femme. Aujourd'hui, on a un peu cette pensée qui n'est certes plus médicale mais est un peu banalisée, un peu sociale, dans le sens où les émois d'une femme sont nécessairement liées à son cycle menstruel. Mais en plus de la place des femmes, on a aussi les conditions d'enfermement. J'ai beaucoup d'infirmières et d'aides soignantes, des lectrices, qui viennent me voir et me disent qu'elles retrouvent leurs conditions de travail au sein de ce livre alors que je parle vraiment d'une époque révolue. Or, en fait, concernant l’internement, c'est encore d'actualité. Quant au voyeurisme, je pense qu’il a une place encore plus présente dans notre société d’aujourd'hui au travers des réseaux sociaux et des émissions de téléréalité. Tout cela se présentait à moi de façon naturelle et je me disais que c'était quand même assez incroyable de pouvoir faire écho entre notre époque et celle de fin 19ème.
Philippe Chauveau :
Pour travailler sur cette époque que vous évoquez, la fin du neuvième siècle, pour évoquer aussi ce bal des folles, le Dr Charcot, comment avez-vous travaillé ? Avez- vous rencontré des spécialistes ? Avez-vous fait des recherches spécifiques?
Victoria Mas :
J'ai fait beaucoup de recherches et consulté nombre de documentations pour vraiment comprendre l'environnement social et moral de l'époque, pour comprendre qui était Charcot aussi, parce que j'avais une vague idée de qui il était mais je n'avais jamais approfondi sa biographie et ses travaux. J'ai lu aussi des ouvrages de Yannick Ripa qui est une historienne qui s'est beaucoup intéressée à la folie des femmes de l'époque, J'ai trouvé aussi des portraits de femmes. Je me suis beaucoup inspirée de toute l'iconographie de la Salpêtrière qui est facilement accessible. Tous ces portraits de femmes que je découvrais ne me semblaient pas folles, pour la plupart d'entre elles, comme on voulait le croire à l'époque. Mais après, je ne voulais pas aller plus loin non plus. Au bout d'un moment, quand j'avais bien compris le décor, quand je pensais avoir suffisamment compris l'arrière-plan, je savais qu'il fallait que j'arrête parce qu'il y avait beaucoup de choses à dire aussi. J'aurais pu continuer pendant des mois à faire des recherches parce que c'était en effet fascinant mais je voulais me focaliser sur mes personnages, mes héroïnes. Puisque cela serait vraiment le pilier fondamental de ce roman.
Philippe Chauveau :
Le sujet est passionnant, l'écriture est très travaillée et très belle. C'est votre premier roman Victoria Mas et c'est une réussite ! « Le bal des folles » est publié aux éditions Albin Michel. Merci beaucoup.