Gregor Péan

Gregor Péan

La seconde vie d'Eva Braun

Livre 00'07'17"

Philippe Chauveau

Une couverture qui ne passe pas inaperçue avec cette photo colorisée d'Adolf Hitler et de sa maîtresse, qui fut sa femme dans les derniers jours, Eva. Eva Braun, La seconde vie d'Eva Braun. Vous avez eu envie de nous raconter le destin de cette jeune femme que l'Histoire nous a toujours montré comme une ravissante idiote, et qui se serait suicidée le 19 avril 45 dans le bunker avec Hitler son compagnon. Et puis finalement, vous nous dites « Non, non, ce n'était pas ça. Il s'est passé autre chose. » Drôle d'histoire. Pourquoi avoir eu envie de vous emparer du destin de cette jeune Allemande fascinée par le Führer ?

Grégor Péan

J'avais accumulé beaucoup de matériaux et j'avais donc la possibilité d'écrire autre chose qu'un documentaire, autre chose qu'un essai. Ça, ça s'est cumulé avec l'idée que les gens qui n'avaient pas eu le courage de dire, d'assumer ce qu'ils avaient fait, je pense par exemple à Goering qui s'est suicidé en prison, Hitler qui s'est suicidé, et Himmler qui a mangé sa petite capsule de cyanure, etc. Je trouvais que c'était trop facile. Donc j'avais envie par le biais du roman, c'est ça que le roman nous permet, de prendre Eva Braun, de la sortir de sa situation un peu facile de suicide et de la questionner d'une certaine manière. Et je l'ai mise surtout entre les griffes des soldats russes et ça m'a permis, pour le coup, d'explorer la guerre, l'après-guerre, et en fait les résultats dramatiques du côté russe.

Philippe Chauveau

Justement, sans trahir l'intrigue, mais on aura compris que Eva Braun est exfiltrée du bout du bunker et qu'en fait, il y aura une pâle copie qui va la remplacer, et puis surtout, on va retrouver Eva Braun effectivement dans une cave, dans une prison soviétique, où elle sera interrogée par une traductrice, Natacha Petrovna. C'était l'occasion aussi de confronter deux femmes, deux femmes qui sont sensées être ennemies par leur nationalité mais qui, peut-être, peuvent se comprendre ou pas. C'est toute la difficulté. C'était important cette confrontation des deux femmes. Parce que le personnage de Natacha est aussi un élément capital de votre roman.

Grégor Péan

Oui, alors justement, quand je vous disais que j'avais un besoin de d'exprimer, de raconter la guerre du point de vue russe, le personnage de Natacha Petrovna, donc la traductrice militaire qui avance avec l'armée de Joukov, jusqu'à Berlin et qui va devenir la traductrice et l’un des personnages principaux du livre, qui va devenir le seul trait d'union entre Eva Braun et le monde. Cette femme, elle était importante, d'abord par son point de vue et ensuite parce que caricaturalement, elle est j'ai envie de dire, le pendant d’Eva Braun, l'aspect illuminé et l’aspect lumière alors qu’Eva Braun est l'aspect sombre quelque part. Il fallait qu'on mette en perspective si vous voulez. Si j'avais eu que Eva Braun, ça aurait été plus compliqué de faire le portrait d'Eva Braun.

Philippe Chauveau

Alors forcément, vous parlez indirectement d'Hitler puisqu'il se suicide dès le début du roman.

Mais il y a Staline qui est bel et bien présent dans le roman. Vous écrivez un moment. « Joseph Staline a suivi avec une attention particulière la mort de son ennemi Adolf Hitler. La nouvelle de sa mort l'a secoué, comme on peut le deviner. Certes, il a haï Hitler comme nul autre, mais ce n'est pas si simple. Entre eux, il ne s'agit pas d'une petite baston à la sortie d'un bar. C'est la plus grande bataille de tous les temps. Derrière chaque protagoniste, des millions d'hommes et de femmes. Le jeu des puissances, des toutes-puissances était aussi un jeu de miroir. C'est un peu de lui-même que Staline a trouvé chez le dictateur allemand ». C'est-à-dire que finalement, Staline-Hitler, Hitler-Staline, même combat ?

Grégor Péan

Oh oui, oui, oui. C'est-à-dire qu'à ce niveau de puissance… En fait, quand on lit sur Hitler, sur Staline, on réalise qu'il y a déjà énormément de similitudes, il y a ce goût insensé du pouvoir. Et Hitler et Staline, ils vivent les mêmes choses d'une certaine manière, mais chacun d'un côté. Et à la fois, oui, presque, une sorte d'amour haine entre l'un et l'autre.

Philippe Chauveau

La question qui est le fil rouge du roman, c'est Eva Braun, finalement, était-elle au courant de tout ce qui se passait ? Savait-elle qui était réellement Adolf Hitler ?

Grégor Péan

Alors après elle, elle n'a pas une implication dans le nazisme Eva Braun, elle est cette petite idiote, elle est amoureuse, et elle ne se rend pas compte. Elle ferme les yeux. On lui dit de pas parler politique, elle donne la papatte et elle caresse son Führer dans le sens du poil.

Philippe Chauveau

Vous écrivez « Regardez Eva à mené inévitablement à s'interroger sur l'humanité, enfin, sur ce qu'est une vie d'être humain ». Est-ce que finalement, en ne faisant pas mourir Eva Braun dans le bunker d'Hitler, ce n'est pas mettre le peuple allemand de 1945 derrière le personnage d'Eva Braun et de lui faire poser cette question. Comment redémarrer quand on a accompagné un dictateur ?

Grégor Péan

Evidemment, c'est aussi une des questions même si c'est un sujet tellement compliqué, la dénazification est d'ailleurs beaucoup d'historiens vont vous dire qu'elle n'a jamais eu lieu et que tous les grands appareils d'Etat étaient truffés d'anciens, si ce n'est nazis, en tout cas personnages qui avaient appartenu aux postes clés du troisième Reich, etc etc. Donc ça c'est un sujet très compliqué, mais en effet ça dépasse Eva Braun. C'est une interrogation sur l'être humain. Qu'est-ce qu'il est capable de faire ? Est-ce qu'on peut se remettre en question à partir de 40 ans dans la mesure où on perd tout ? Est-ce qu'on est, tous les êtres qui nous entourent, est-ce qu'on n'est qu'un être social ? Bon, je dois avouer que ce livre commence comme une farce. Et je pense qu'il se transforme de plus en plus en tragédie. Et c'était un peu mon objectif.

Philippe Chauveau

Et pour parler de ce sujet complexe et de ce personnage bien méconnu de la grande Histoire, vous faites le choix d'une écriture très contemporaine, parfois même vous interpellez le lecteur. Vous employez des mots du vocabulaire parlé. Vous faites aussi une économie de dialogues, donc une véritable œuvre littéraire. Quelle a été l'envie de l'écriture de ce roman ?

Comment avez-vous travaillé l'écriture ?

Grégor Péan

Alors j'aimais bien l'idée de l'écriture décomplexée. Pourtant, sur un livre qui flirte avec l'historique.

Philippe Chauveau

C’est pour dédramatiser le sujet ?

Grégor Péan

C'est pour amener plus de proximité entre le lecteur et la situation. Donc j'avais envie d’y cool et de pas... Je ne suis pas un historien, je ne fais pas un livre d'histoire, je raconte une histoire qui se passe dans l'Histoire.

Philippe Chauveau

Voilà en tout cas un livre, un roman qui ne laisse pas indifférent. Assez glaçant aussi par certains moments, mais portée par une très belle écriture. C'est un véritable coup de cœur. Ça s'appelle La Seconde vie d'Eva Braun et vous êtes publié aux éditions Robert Laffont. Merci beaucoup.

Grégor Péan

C'est moi qui vous remercie.

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