50 ans de chansons. Voilà un artiste qui a su traverser le temps, avec simplicité et humilité, accompagné par un public fidèle.

50 ans après ses débuts, Yves Duteil refait le chemin avec nous. Un coffret 4 CD vient de paraitre chez Bayard Musique avec 72 chansons incontournables.

Mais cet anniversaire est aussi l’occasion d’un livre dans lequel le chanteur revient sur ce parcours.

Sachant habilement mêler les notes et les mots, Yves Duteil a tracé son sillon avec persévérance, ne se laissant pas aller au chant des sirènes de la célébrité et résistant à toutes les moqueries et attaques qui lui tombèrent dessus à certains moments de sa carrière.

Il revient sur ces instants-là dans ce livre écrit sans chronologie, comme un simple livre de souvenirs dans lequel les chansons font écho aux moment vécus.

S’il rend largement hommage à son épouse Noëlle qui l’accompagne depuis ses débuts, il nous raconte aussi les grandes rencontres de sa vie, celles qui ont forgé l’homme qu’il est aujourd’hui.

De son premier succès « Virages » en 1972 à son dernier album en date « Respect » paru en 2018, Yves Duteil a composé des centaines de chansons qui toutes, touchent au cœur. Qu’il aborde des sujets de société ou raconte nos vies dans leur fragilité et leurs bonheurs, il sait mieux que quiconque jongler avec les mots et trouver les mélodies qui résonnent en vous pendant longtemps. « Ta tarentelle », « Dreyfus », « La langue de chez nous » ou « Prendre un enfant par la main » sont devenus des classiques de la chanson française.

Véritable poète, digne successeur de Trenet, Brel, Felix Leclerc, Brassens ou Barbara et autres grands noms de la chanson française, on croise aussi sur sa route Souchon, Renaud ou Véronique Sanson.

Homme pudique et discret, Yves Duteil entrouvre la porte de son jardin secret. Et l’on retrouve dans ce livre cette écriture sensible et délicate qui font d’Yves Duteil un artiste à part.

« Chemins de liberté » d’Yves Duteil aux éditions de l’Archipel.

Philippe Chauveau :

Bonjour Yves Duteil.

Yves Duteil :

Bonjour.

Philippe Chauveau :

Mais quel plaisir de vous accueillir pour fêter avec vous un anniversaire, en quelque sorte, on va y revenir. En gros, c'est 50 ans de chansons que nous fêtons ensemble avec une double actualité puisqu'il y a un coffret 4 CD qui sort chez Bayard Musique, qui reprend quelques-unes de vos plus grandes chansons. Certaines qui sont peut-être aussi un peu moins connues, mais qui ont résonance avec le livre que vous publiez en parallèle aux Éditions de l'Archipel Chemins de liberté, dont on va parler dans un instant. Alors, vous faites un peu partie de notre famille, de la grande famille. Vous faites partie de ces artistes que l'on suit comme ça, au fil des années, au fil des décennies. On a grandi avec vous et pourtant, il y a tout un pan de mystère derrière. Vous avez rarement levé le voile sur votre personnalité. Notamment, j'aimerais qu'on parle tout de suite de Mme Sévillia parce que nous sommes dans une émission littéraire et très souvent, les auteurs disent "Ah, mais c'est grâce à un instituteur ou une institutrice que j'ai découvert le plaisir des mots." Est-ce que c'est cette fameuse institutrice, Mme Sévillia, qui vous a fait devenir poète ?

Yves Duteil :

Je ne sais pas ce que m'a réellement apporté en termes de culture Mme Sévillia, mais je pense que la culture, c'est quelque chose qui s'apprend par le cœur. C'est quelque chose qui rentre dans l'œil, dans l'oreille, dans la texture d'une matière, d'une sculpture, mais surtout dans la mémoire affective. Et Mme Sévillia, elle a joué ce rôle-là. Elle nous a aimés. Et avoir une institutrice en CP qui vous aime, ça vous reste gravé au fond du cœur jusqu'à la fin de vos jours. Je pense qu’elle m'a donné le goût d'apprendre, certainement, Mme Sévillia.

Philippe Chauveau :

Alors si je vous parle de votre institutrice de CP. C'est justement pour revenir au gamin que vous étiez. Comment découvrez-vous les livres ? Comment découvrez-vous le plaisir de la lecture et qui vous a peut-être donné l'envie vous-même de jouer avec les mots ? Y avait-il des livres fétiches à la maison ?

Yves Duteil :

Oui, il y avait le Nils Holgersson qui volait sur les oies sauvages, sur le dos des oies sauvages. Il y avait Sinbad le marin, il y avait Moby Dick, il y avait Croc blanc. Tous ces romans d'aventures qui m'ont ouvert des fenêtres comme ça, sur la vie rêvée, sur des auteurs qui vous emportent, qui vous entraînent, qui vous envolent, qui vous apportent une évasion.

Philippe Chauveau :

On a parlé du gamin, maintenant l'adolescent et le jeune adulte, il y a des romans qui vous ont fait grandir ? Les auteurs classiques ou des auteurs plus contemporains. Avez-vous eu des livres structurants ?

Yves Duteil :

Oui. Et en général, ce n'était pas de Lagarde et Michard. C'était plutôt Exodus ou des livres qui m'emportaient dans une aventure humaine. Vrai, pas vrai, romancé... Et la science-fiction. Alors, j'ai adoré tous les romans de Van Vogt, Isaac Asimov. Mais je crois que j'ai adoré l'imaginaire de la science-fiction. Ce qui m'a donné le goût de la science, l'envie de comprendre toujours, et qui m'a orienté vers des auteurs qui développaient des philosophies et spiritualités.

Philippe Chauveau :

Aujourd'hui, sur votre table de chevet, on retrouve ces auteurs-là ? On retrouve toujours ce goût de la science-fiction ? Ou vous avez aussi besoin de choses, peut-être plus terre à terre, sans que ce soit péjoratif d'employer ce terme là, mais est-ce que vous êtes revenu à des romanciers plus plus classiques ?

Yves Duteil :

Terre à terre, c'est le mot parce que je suis passionné par les arbres et qu'en ce moment je suis plongé dans la lecture d'un très, très joli livre de Alain Baraton, Le Dictionnaire amoureux des arbres.

Philippe Chauveau :

Que nous avons reçu récemment ici même.

Yves Duteil :

Et qui est passionnant parce qu'il vous apprend. En fait que vous dites bon, ça va être un pensum, sûrement : un tel arbre, une telle fleur...Pas du tout. C'est très poétique. C'est très, très imagé. Il y a plein d'histoires, plein d'anecdotes, jolies d'ailleurs. Et je crois que j'ai toujours cette envie de comprendre. Le monde est une richesse incroyable dans laquelle ce que l'on ignore est bien plus important que tout ce que l'on sait. Donc, il nous reste à découvrir tellement de choses que tous les gens qui réfléchissent sur ce qui reste à découvrir m'intéressent.

Philippe Chauveau :

Vous faites partie de ces chanteurs qui avaient aussi besoin du concret que représente un livre. Vous avez déjà publié plusieurs titres, que ce soient des recueils de vos textes, que ce soit des chroniques que vous avez publié en presse et en presse magazine. Cette fois ci, c'est Chemins de liberté. Que vous apporte le livre de plus que le disque ? Que le CD, par exemple. La démarche est la même ou différente ?

Yves Duteil :

Non, c'est totalement différent. Dans l'écriture elle-même évidemment ça a quelque chose de commun. Mais une chanson, en fait vous pouvez la rater à tous les étages de la fusée. Vous pouvez rater le texte, vous pouvez rater la musique, vous pouvez rater la version d'enregistrement, l'orchestration, le mixage, la gravure, la sortie, publier, pas publier, jouer, pas jouer. Vous pouvez tout rater comme ça parce qu'il y a beaucoup d'intermédiaires. Un livre, en revanche, vous écrivez votre livre et à la fin du compte, vous avez le lecteur d'un côté de la page qui est en train de lire ce que vous avez écrit en direct. C'est vous qui l'avez écrit et c'est lui qui le lit. Et vous êtes, comme de chaque côté d'un miroir à deux faces. Il y a un lien tellement direct, tellement silencieux, discret, personne ne vient vous déranger, vous êtes juste face à face avec votre lecteur. Et avec un seul lecteur, ce n'est pas un spectacle où il y a 5000 personnes. C'est un face à face silencieux, discret, mais très personnel. Et là, effectivement, il y a plus d'intermédiaires.

Philippe Chauveau :

Finalement, le Yves Duteil qui écrit des chansons, est-il le même Yves Duteil qui prend la plume pour écrire un livre ? Celui-ci, par exemple.

Yves Duteil :

Alors oui, mais je vais vous dire pourquoi, parce que c'est ça qui était incroyable dans cette aventure de l'écriture du livre. Au départ, c'est toujours une aventure. Mais quand on a relu le livre en correction, quand l'éditeur vous envoie l'ultime version avant de lancer l'impression et d'envoyer tout à l'imprimeur, on a lu le livre, on était tous les deux dans le canapé avec Noelle, chacun avec son ordinateur, on relisait un PDF. Et ça nous a sauté aux yeux qu'à chaque page qu'on ouvrait, il y avait une chanson qui émergeait. Simplement parce que le Duteil des chansons, c'est le Duteil dans la vie, quoi. Sauf qu'en relisant le livre, on s'est dit "Mais pourquoi on ne ferait pas le disque du livre ? La bande originale de l'histoire." Et toutes ces chansons qui émergent de page en page, on va les mettre dans l'ordre d'entrée, en page, dans le livre. Ce qui fait qu'on peut suivre le miroir sonore de l'histoire du livre avec un disque de quatre CD. C'est vraiment la musique du récit de ce livre.

Philippe Chauveau :

Voilà comment est née cette double actualité avec ce coffret 4 CD Chemins de liberté chez Bayard Musique. Et puis le livre aux Éditions de l'Archipel. Chemins de liberté également.

Philippe Chauveau :

Les premières pages de votre livre Chemins de liberté, vous voulez dédier à votre épouse Noëlle, Yves Duteil, puisque c'est un hommage que vous avez eu envie de lui rendre avec ce livre. Et puis après, vous vous l'offrez aussi à tous ceux qui vous suivent depuis toutes ces années. Chemin de liberté, le livre, qui est donc accompagné de ce coffret 4 CD. C'est un livre de souvenirs, certes, vous avez fait le choix, en revanche, de ne pas le prendre de façon chronologique, mais de mettre le projecteur sur différents moments de votre vie, de votre parcours, de votre carrière, avec des chansons qui entrent en résonance. C'est un projet que vous mûrissiez depuis longtemps ? Ou est-ce que la genèse de ce livre et de ce projet de disque + livre a vraiment un instant T ?

Yves Duteil :

En fait, ce qui était intéressant c'était d'essayer de mettre en cohérence les chansons, la création, et les engagements, les événements, les belles rencontres, les épreuves. C'est ça que j'ai eu envie de faire avec ce livre. C'était de mettre en évidence que chaque chanson avait une histoire, que la création était intimement liée avec la cohérence de notre vie. Mais ça pouvait commencer par la rencontre avec Noëlle. C'est un peu comme quand Einstein dit "Je crois que les chances que la vie ait pu apparaître par hasard sur la planète, sur la Terre, sont aussi improbables que l'idée qu'une imprimerie explose et que tous les caractères retombent par terre dans l'ordre du dictionnaire." J'ai eu le problème par rapport à ce livre. Tout est tellement mêlé. Il fallait trouver une logique, quelque chose qui soit cohérent et en même temps plaisant à lire. Et ne pas passer du coq à l'âne et d'une chose à l'autre comme ça, sans arrêt. Donc, c'est un vrai exercice de style. Je suis très heureux d'avoir eu ce problème à résoudre parce que du coup, ça a créé une sorte de classification des événements. Et au bout du compte, je suis assez content d'avoir trouvé. Je sais que l'éditeur ne voulait vraiment que ça ne soit pas n'importe quel ordre, que ça ne parte pas dans tous les sens, et il fallait garder le lecteur aussi.

Philippe Chauveau :

Vous nous entraînez dans vos souvenirs, et pour nous lecteurs il y a aussi toutes ces chansons qui résonnent au fil des pages. Néanmoins, lorsque l'on se plonge dans ses souvenirs, il peut y avoir une certaine nostalgie, voire une certaine mélancolie, qui se fait jour sur des moments passés, sur des rendez-vous manqués, sur des êtres chers qui ne sont plus là. Avez-vous ressenti cela en replongeant dans vos souvenirs ?

Yves Duteil :

Pas du tout. C'est ça qui est incroyable. C'est que c'est que ça n'a été que du bonheur. Cette écriture, je l'ai vécue comme toute une période foisonnante, sans que cela soit une espèce de panoramique, de rétroviseur. Je ne crois pas aux regrets ni au remords. Je pense que dans les erreurs, il y a des réussites qui se cachent aussi. Si on tire la leçon de ses erreurs, on est gagnant. Tout ce qu'on a manqué, tout ce que l'on a raté, ça nous a permis de réussir autre chose après.

Philippe Chauveau :

Dans ce livre, vous parlez des moments forts de votre vie, de vos engagements, de moments plus personnels liés à votre vie familiale et privée. Vous ressentez lorsque vous croisez vos lecteurs et tous ceux qui viennent vous voir en concert. Vous ressentez cette résonance que vous pouvez faire naître chez ceux qui vous accompagnent ? Le fait que lorsque vous nous raconter certains moments de votre vie, il y a résonance : "Oui, moi aussi, j'ai vécu ça." Et par vos mots, par vos notes, on peut aussi se sentir plus fort. Comment se passe cet échange ?

Yves Duteil :

Il y a beaucoup de partage dans ce que vous dites et c'est exactement comme ça que ça se passe. J'écris rarement à la première personne. J'écris ce qui, dans ma vie, me semble digne d'être partagé par d'autres qui, peut-être, ont vécu la même chose ou vont vivre ou sont en train de vivre la même chose. Et oui, j'ai toujours l'impression d'avoir partagé avec des gens qui m'écrivent, parce qu'on a eu la chance de rencontrer des gens qui nous ont appris à Noëlle et à moi l'importance du contact personnel. Si je vends cent mille albums, je ne vends pas cent mille albums, je vends cent mille fois un album. Parce que, il va y avoir une personne qui m'a écrit, si cette personne je lui réponds, si j'arrive à recevoir sa lettre et à y répondre, ça va être pour elle un souvenir marquant dans sa vie. Donc, il se tisse une relation de sincérité, d'authenticité avec le public et surtout de respect. Et comme ça j'ai un retour, un échange, je sais pourquoi les gens sont sensibles à ce que j'écris, et par qui ils l'ont partagé : un père, une mère, une sœur, un instituteur, un lien... Et ce lien, j'y tiens vraiment beaucoup. Je crois que c'est ça qui m'a fait survivre en tant qu'artiste pendant 50 ans.

Philippe Chauveau :

Ce livre et ce coffret sont une sorte d'anniversaire. Vous vous le dites vous-même. C'est à peu près 50 ans de chansons que vous célébrerez avec ces deux articles. Est-ce une sorte de marqueur aussi ? Avez-vous l'impression qu'il y aura un Yves Duteil avant chemins de liberté ? Yves Duteil après ? Était-ce important qu'il y ait ce livre et ce disque qui arrive à ce moment de votre parcours ?

Yves Duteil :

Oui, je crois que oui, parce que maintenant, je vais pouvoir commencer à travailler sur mes 130 chansons... Bon, sérieusement, oui, mais j'ai l'impression d'arriver à un moment phare, à un moment clé et que s'il y a un après en écriture, il sera différent. Parce que cette étape-là, je l'ai franchie et je crois qu'on procède par étape. Écrire sa vie pour la partager dans ce qu'elle a de d'intéressant, éventuellement, pour d'autres qui peuvent vivre des choses analogues ça a un temps. À un moment donné, il faut passer à autre chose parce que ça y est je l'ai racontée ma vie. C'est fait. Elle est dans ce livre, peut-être pas complète. Mais ce que je vais écrire maintenant en termes de chansons et en termes d'écriture va forcément avoir une texture différente. Je pense que j'ai envie aussi, en écriture, d’aller au-delà, de faire autre chose. Je crois que l'éditeur du livre vient de semer la graine d'une suite qui ne sera pas forcément de ma vie, mais qui sera peut-être plus dans le domaine de l'imaginaire.

Philippe Chauveau :

Donc, on se donne rendez-vous pour un prochain livre. Continuez, en tout cas, à nous surprendre. Et puis continuez à porter la langue française et la chanson française. Merci beaucoup. Yves Duteil. Votre double actualité, il y a le livre, donc, aux Éditions de l'Archipel Chemins de liberté, livre de souvenirs, mais qui résonne donc avec ces chansons, et puis ce coffret 4 CD avec des chansons qui, pour certaines, ont été réorchestrées, réarrangées, c'est aux éditions Bayard Musique. Grand merci, et à très bientôt Yves Duteil.

Yves Duteil :

Merci beaucoup.