Pudique et discrète, Alice Dekker n’est pas du genre à se mettre en avant. Que ce soit dans une précédente vie, dans l’ombre politique, ou aujourd’hui en tant qu’attachée de presse, c’est plutôt les autres qu’elle cherche à mettre en lumière. Mais la véritable colonne vertébrale d’Alice Dekker, c’est bien la littérature, découverte à l’entrée dans l’âge adulte avec tous les grands auteurs américains de la première moitié du XXème siècle. Et puis un jour, l’envie d’écrire à son tour, de...
Les douces choses d'Alice Dekker - Présentation - Suite
PhilippeBonjour Alice Dekker.
Alice DekkerBonjour.
PhilippeJ'ai grand plaisir à vous accueillir. Vous êtes dans l'actualité avec ce qui est votre troisième livre chez Arléa, votre éditeur Les douces choses et ce portrait de Louise de Vilmorin qui illustre la couverture. On va reparler bien sûr de ce livre. On va parler aussi des précédents, puis on va parler de votre parcours. Il y a eu le droit, il y a eu un petit tour du côté de la politique. Aujourd'hui, vous êtes dans dans les relations en tant qu'attachée de presse. Mais...
Les douces choses d'Alice Dekker - Portrait - Suite
Philippe
Dans ce qui est donc Alice Dekker, votre troisième titre chez Arléa, vous êtes, vous êtes fidèle à cette jolie maison d'édition. Voici Les douces choses et sur le bandeau avec votre éditeur, vous avez choisi de mettre ce portrait d'une femme qui est peut être un petit peu méconnue aujourd'hui et qui pourtant mérite de l'être davantage. C'est Louise de Vilmorin. Ça pourrait être une simple biographie de Louise de Vilmorin, mais ce n'est pas du tout ça.
Alice DekkerNon puis ça a déjà été fait, ça a été, ça a...
Les douces choses d'Alice Dekker - Livre - Suite
Alice Dekker
Les douces choses
Présentation 00'03'08"Pudique et discrète, Alice Dekker n’est pas du genre à se mettre en avant. Que ce soit dans une précédente vie, dans l’ombre politique, ou aujourd’hui en tant qu’attachée de presse, c’est plutôt les autres qu’elle cherche à mettre en lumière. Mais la véritable colonne vertébrale d’Alice Dekker, c’est bien la littérature, découverte à l’entrée dans l’âge adulte avec tous les grands auteurs américains de la première moitié du XXème siècle. Et puis un jour, l’envie d’écrire à son tour, de raconter soi-même une histoire. « Les glorieuses résurrections » sera le premier roman d’Alice Dekker en 2008, poignant roman sur la reconstruction des femmes rescapées des camps de la mort en 1945. Suit en 2012 un joli livre inspiré de la vie du peintre Jean Siméon Chardin, à qui l’auteur donne la parole pour se raconter en tant que père. Et voici le petit dernier, « Les douces choses » aux éditions Arléa avec, sur la couverture, cette délicate photo de l’écrivaine Louise de Vilmorin, à qui l’on doit notamment « Madame de » ou « La lettre dans un taxi ». La narratrice de ce livre, qui ressemble étrangement à Alice Dekker, vient d’emménager dans une nouvelle maison. Les cartons ne sont pas encore défaits, les meubles pas encore positionnés. Elle est seule dans cette grande demeure isolée, à la campagne. Son compagnon a été retenu et n’a pu l’aider. La journée touche à sa fin, elle est lasse. Le jardin prend des teintes rosées, c’est le début du printemps, on allume une lampe. Et affluent les souvenirs… Dans ce joli texte, court et poétique, deux portraits de femmes, celui de la narratrice, qui a toujours cherché sa place, qui s’est toujours sentie à part même dans sa propre famille et, en parallèle, celui de Louise de Vilmorin, femme de lettres reconnue mais aussi femme fantasque, en marge de la société bien-pensante et autour qui, dans ces prudes années 50, flottait un parfum de scandale. Deux femmes que tout semble éloigner, à commencer par leurs époques respectives, et qui pourtant semblent animer par un même sentiment, cette mélancolie latente qui leur colle à la peau. Prenant elle-même Louise de Vilmorin à témoin en relatant les grandes étapes de sa vie, la narratrice nous entraine sur les rivages de sa propre existence, dans une famille où on ne partage pas ses sentiments, où l’on vit selon des convenances bien établies, où la guerre a laissé des traces. à l’ombre d’une maison aussi impressionnant qu’attachante perdue par les aléas de la vie. Et puis, les souvenirs plus personnels, l’amour enfui et celui qu’on reconstruit pour se donner une illusion, le temps qui passe et les regrets aussi. Avec une langueur littéraire bienvenue, Alice Dekker tisse une écriture toute en délicatesse et en pudeur. Une musicalité où l’émotion affleure à chaque instant. En redonnant vie à Louise de Vilmorin, plus à travers la femme privée que publique, Alice Dekker dresse aussi le portrait d’une femme d’aujourd’hui face à ses choix et ses complexités. Petite pépite littéraire, voilà un livre que je vous recommande particulièrement. « Les douces choses » d’Alice Dekker est publié aux éditions Arléa
Alice Dekker
Les douces choses
Portrait 00'07'06"Philippe
Bonjour Alice Dekker.
Alice Dekker
Bonjour.
Philippe
J'ai grand plaisir à vous accueillir. Vous êtes dans l'actualité avec ce qui est votre troisième livre chez Arléa, votre éditeur Les douces choses et ce portrait de Louise de Vilmorin qui illustre la couverture. On va reparler bien sûr de ce livre. On va parler aussi des précédents, puis on va parler de votre parcours. Il y a eu le droit, il y a eu un petit tour du côté de la politique. Aujourd'hui, vous êtes dans dans les relations en tant qu'attachée de presse. Mais alors pourquoi la littérature dans votre vie ? Pourquoi l'envie de la plume et de l'écriture ?
Alice Dekker
Pour exister, je pense. Pour me prouver des choses à moi même. Parce que j'aime les mots aussi. J'aime écrire. J'aime l'exercice littéraire en fait vraiment au sens technique, c'est à dire manier des mots, trouver la bonne formule, travailler une phrase pendant une demi heure, je trouve ça, je trouve ça exaltant, ça m'intéresse.
Philippe
Mais vous attendez 2008 pour publier votre premier livre ?
Alice Dekker
Oui, absolument.
Philippe
Vous vous sentiez pas légitime ?
Alice Dekker
Non ? Probablement. Et puis, beaucoup de fois, je pense que je suis... Alors c'est très paradoxal parce que je suis quelqu'un de discret, qui n'aime pas se mettre en avant. Donc c'est tout à fait paradoxal, surtout par rapport à ce dernier livre qui est beaucoup plus personnel. Mais il y a peut être aussi un moment où on sent que ça devient vraiment nécessaire. Je pense que ça a été mon cas. Et puis, et puis voilà, c'est aussi une idée qui vous vient. Un texte qui vous vient peut être plus facilement que les autres, un texte dans lequel on croit qu'on a envie de mener à son terme et puis qu'on a envie de partager tout simplement.
Philippe
Diriez vous que l'écriture, à un moment de votre vie, a été salvatrice ?
Alice Dekker
Incontestablement, et elle est de plus en plus. Oui.
Philippe
Et la lecture aussi.
Alice Dekker
Oui, oui, oui.
Philippe
Quels sont les auteurs qui vous qui vous portent, qui vous font grandir ?
Alice Dekker
Alors j'ai aujourd'hui des goûts beaucoup plus variés. J'ai eu, étant plus jeune, ma période de littérature américaine, mais vraiment, tout Hemingway tout Fitzgerald tout Steinbeck, tout Faulkner. Et en fait, j'ai réalisé que j'avais quand même tendance à lire des auteurs qui avaient tous à peu près écrit sur la même époque, ou en tout cas qui avaient et qui étaient tous plus ou moins contemporains, ceux que je viens de nommer le sont. Je pourrais ajouter à cette liste Romain Gary, Joseph Kessel. Voilà des auteurs qui ont eu eux mêmes des vies particulièrement exaltantes et dont les vies étaient quelque part aussi des romans. J'aime la littérature, mais j'aime aussi les écrivains. La vie des écrivains m'interpellent autant que leur œuvre.
Philippe
2008, c'est votre premier titre publié chez Arléa, Les Glorieuses Résurrections. Là, vous nous emmener dans un centre en montagne où un médecin tente d'apaiser des femmes qui sortaient des camps après la Seconde Guerre mondiale ? Comment est née cette histoire ? Pourquoi avoir eu envie d'écrire sur ce fait historique ?
Alice Dekker
Alors, la guerre de 39, la deuxième guerre mondiale est un événement historique qui résonne énormément en moi par mon histoire familiale tout simplement. Mais voilà, c'est vraiment une période de notre histoire qui m'intéresse énormément et je crois que je voulais aussi essayer de me prouver à un moment particulier de ma vie qu'on pouvait se remettre de tout, y compris et surtout du pire. Et pour moi, la déportation, c'était pour moi et je ne pouvais pas imaginer quelque chose de pire. Il se trouve que mon grand père a été déporté et voilà, ça m'intéressait d'écrire autour de ça.
Philippe
Et puis après, en 2012, il y a un autre titre : Chardin, La petite table de laque rouge. Donc là, vous nous emmener encore dans une époque passée sur les traces de ce peintre. Suite à une exposition que vous aviez vue en Espagne. Qu'est ce qui vous touchait dans ce peintre et pourquoi avoir eu envie de raconter sa vie, sachant que vous aviez fait le choix ? C'est Chardin qui s'adressait à son fils décédé. Qu'est ce qui vous touche chez Chardin ? Et comment justement parler peinture en littérature ?
Alice Dekker
J'aime Chardin. J'ai toujours aimé ce peintre. La simplicité de sa peinture, l'humilité de sa peinture. C'est ce temps qui s'arrête sur un fruit, un gobelet d'argent. Enfin, la simplicité, vraiment, dans ce qu'elle a de plus pure. Et puis je me suis intéressé à sa vie pour, au delà des tableaux qu'il avait peint, je voulais savoir qu'il était, etc. Il a une vie on ne peut plus simple, vraiment en apparence, une vie très simple. C'est quelqu'un qui n'a jamais quitté Paris, qui a vécu donc au Louvre quasiment toute sa vie. Et finalement, derrière cette vie sans beaucoup,
Philippe
Sans grand relief.
Avec très peu d'événements, on se rend compte que même la vie la plus la plus simple regorge de d'émotions. Il y avait un tas de choses à raconter en fait autour de lui.
Alice Dekker
Donc ce n'est pas, j'évoque évidemment sa peinture, j'évoque son œuvre, j'évoque ses tableaux, mais je l'évoque lui surtout. C'est lui qui se raconte, qui fait un retour sur sa vie et sur ses œuvres.
Philippe
Je me permets de revenir sur ses deux précédents titres parce que nous sommes à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Après, nous sommes à l'époque de Chardin. Là cette fois ci, même s'il y a une partie contemporaine, vous nous parlez aussi de Louise de Vilmorin. Donc vous nous emmener dans une époque révolue. Pourquoi ? Pourquoi avez vous besoin en écriture de vous réfugier dans des temps qui ne sont plus ?
Alice Dekker
Je pense, parce que je n'aime pas mon époque. Tout simplement, je pense que je n'aime pas mon époque. C'est ce que j'écris, enfin c'est ce que je fais dire à ma narratrice. Je pense que je ne me sens pas à ma place dans cette époque.
Philippe
Et l'écriture vous protège ?
Alice Dekker
L'écriture me transporte en des temps ou, oui, l'écriture me protège, l'écriture surtout, ça me transporte dans des temps ou je me dis que j'aurais peut être été différente. C'est à dire j'aurais peut être, ce que je vois moi comme des failles, comme des faiblesses, comme des fragilités, je mais je me persuade et c'est certainement un leurre. Mais je me persuade qu'à une autre époque j'aurais été plus forte, j'aurais été... Bon c'est certainement une utopie, mais.
Philippe
C'est aussi le pouvoir de la littérature ?
Alice Dekker
Oui, absolument.
Philippe
C'est votre actualité, Alice Dekker ça s'appelle les douces choses. Vous êtes publié chez Arléa.
Alice Dekker
Les douces choses
Livre 00'06'25"Philippe
Dans ce qui est donc Alice Dekker, votre troisième titre chez Arléa, vous êtes, vous êtes fidèle à cette jolie maison d'édition. Voici Les douces choses et sur le bandeau avec votre éditeur, vous avez choisi de mettre ce portrait d'une femme qui est peut être un petit peu méconnue aujourd'hui et qui pourtant mérite de l'être davantage. C'est Louise de Vilmorin. Ça pourrait être une simple biographie de Louise de Vilmorin, mais ce n'est pas du tout ça.
Alice Dekker
Non puis ça a déjà été fait, ça a été, ça a été très bien fait.
Philippe
Et puis en parallèle, ça peut être aussi simplement le portrait d'une femme d'aujourd'hui. Mais c'est pareil, ce n'est pas uniquement ça. Nous avons une narratrice qui vous ressemble peut être un peu. Elle arrive dans une nouvelle maison. Elle découvre cette pièce. La journée est en train de se terminer. Et puis très vite, elle va interpeller celle qu'elle appelle son amie de littérature et de détresse, Louise de Vilmorin. Qui est elle, cette femme ? Pas forcément très bien dans sa peau, cette narratrice que nous allons suivre sur tout ce parcours.
Alice Dekker
Alors, c'est une femme qui effectivement s'installe dans une nouvelle maison. Donc c'est un nouveau départ pour elle avec un homme qu'elle connaît depuis un certain temps.
Philippe
Charles, ça se passe plutôt bien.
Alice Dekker
Il s’appelle Charles, qui avec qui ça se passe bien, qui est très épris d'elle. C'est un homme qu'elle a rencontré après une longue histoire d'amour extrêmement difficile et c'est une femme qui est relativement tourmentée, qui n'est pas, qui n'est pas très à l'aise dans la vie, on va dire, et qui surtout se débat avec des souvenirs, un chagrin, une maison qu'elle a perdu, la maison de son enfance qui s'appelle Le Moulin qui est sorti de sa vie, sorti de sa famille dans des conditions, pas de la façon dont elle aurait voulu que ça se passe. Et qui a besoin, qui a l'impression d'avoir perdu quand même un havre et qui a besoin de reprendre racine quelque part.
Philippe
Et donc cette nouvelle maison est un peu une seconde chance de trouver des racines ailleurs. La maison semble très belle, il y a un jardin, il y a de nombreuses pièces. Charles et elle pourront chacun avoir leur univers. Mais on sent que ça va être compliqué parce que les souvenirs et les souvenirs affluent.
Alice Dekker
Absolument. Les souvenirs affluent en cette soirée, donc l'emménagement. Il se trouve que Charles n'est pas là. Et puis. Et puis, pour faire le lien avec Louise de Vilmorin parce que il se trouve que lors de la d'une des premières visites de la maison avant de l'acheter dans cette maison, il y a un grand salon bleu. Et la narratrice voit dans ce salon bleu un signe que lui envoie Louise de Vilmorin. Puisque à Verrières le Buisson, donc la magnifique maison de Louise de Vilmorin, cette maison reste célèbre par son salon bleu où Louise de Vilmorin accueillait des artistes etc. Au delà de cette image de grande femme élégante, mondaine, très frivole, voilà même un peu, un peu. Elle avait cette image de femme un peu facile qui a eu énormément, énormément d'amants etc. Effectivement cette Louise de Vilmorin là a existé, mais il y a une autre Louise de Vilmorin qu'on connaît moins et c'est elle que je m'attache à présenter dans mon livre.
Philippe
Vous nous parlez d’une Louise de Vilmorin qui cache ses failles derrière la flamboyance d'une notoriété, d'une vie publique. Toute la force du livre, c’est que nous alternons avec la narratrice qui s'installe dans cette nouvelle maison. Les déménageurs viennent juste de laisser les cartons. Nous sommes à notre époque contemporaine. Et puis, d'un chapitre sur l'autre, c'est plus Louise de Vilmorin que l'on va découvrir. La romancière, autrice, mais aussi la femme. Et il y a et vous ne le cachez pas, il y a dans le livre une une profonde et douce mélancolie. La mélancolie est presque un personnage à part entière du livre. Pourquoi est ce important ?
Alice Dekker
Parce que, effectivement, je trouve que la mélancolie, c'est un personnage littéraire en soi. Parce que, tout simplement, ça correspond aussi à ma nature profonde. Donc je, je ne sais pas si je suis capable d'écrire sans qu'il y ait cette espèce de fantôme qui erre dans mes livres. Je crois que c'est, ça caractérise aussi la littérature que j'ai envie d'écrire.
Philippe
Ce que j'ai aussi apprécié dans votre vie, dans votre livre, dans votre roman, c'est la qualité de votre écriture. C'est une écriture qui prend le temps, c'est une écriture élégante. On sent que vous aimez la musique, des mots. Comment l’avez vous appréhendé cette écriture ? Avez vous l'impression que que Louise de Vilmorin était au dessus de votre épaule à vous accompagner ?
Alice Dekker
Pas forcément parce que, pour le coup, l'écriture de Louise de Vilmorin est vraiment très différente. Même si, alors elle est très singulière. L’écriture de Louise de Vilmorin est assez poétique, elle a quelque chose de presque.
Philippe
Mais la vôtre l’est aussi.
Alice Dekker
Aussi un peu surréaliste, je dirais. Honnêtement, le personnage de Louise de Vilmorin me fascine davantage que son œuvre. J'ai adoré Madame de, évidemment. J'aime beaucoup ses poèmes. Je suis plus intéressée, à la limite par. Par toute son œuvre épistolaire, peut être plus que par ses romans.
Philippe
Mais c’est surtout la femme qui vous fascine.
Alice Dekker
Oui c’est surtout la femme qui m'intéresse chez Louise de Vilmorin. Plus que l'auteur.
Philippe
Une fragilité qui se cache derrière le personnage ?
Alice Dekker
Absolument, absolument.
Philippe
« Voulez vous bien me convaincre, une fois encore, que la mélancolie n'est jamais que passagère et le meilleur à venir. » C’est une très belle œuvre littéraire, avec une écriture tout, tout en élégance et en pudeur. Deux portraits de femmes, celui de Louise de Vilmorin d'un côté, puis celui de la narratrice qui vous ressemble par bien des côtés. Vous nous avez fait comprendre. Et c'est aussi un beau livre sur les, sur les racines, sur l'attachement à la famille. Alice Dekker, Les douces choses, vous êtes publié aux éditions Arléa. Merci beaucoup.
Alice Dekker
Merci.