Christine Orban aurait pu ne jamais être auteur. Des études de droit dans la perspective d’une carrière d’avocate, pour faire plaisir à son père, telle était la voie toute tracée.
Mais le goût de la littérature était bien ancré en elle. L’envie de s’accomplir, de se prouver à elle-même et aux autres qu’elle en était capable l’incite à écrire et à proposer à un éditeur son premier livre « Les petites filles ne meurent jamais ». Nous sommes en 1986. Depuis, derrière une réserve et une pudeur non feintes...
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Philippe Chauveau : Bonjour Christine Orban. Votre nouveau roman « Avec le corps qu’elle a.. » parait chez Albin Michel. Un livre qui prend place dans une bibliographie déjà conséquente. Quel regard portez-vous sur ce parcours ?
Christine Orban : Finalement, j’ai fait ce que je voulais, je suis allée là où mon cœur me portait. Je me souviens très bien du moment du choix. Parfois, il m’arrive d’aller dans des écoles ou de conseiller des jeunes et je leur dis : « Vraiment, faites ce que vous aimez dans la...
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Philippe Chauveau : Dans votre nouveau roman, nous faisons connaissance avec une jeune fille dont on saura le prénom une ou deux fois. Elle a 20 ans et vient de publier son premier roman. Ce qui pourrait être un jour de joie devient un jour de tristesse car il y a cette phrase : « Avec le corps qu’elle a… » prononcée par son beau-père. D’où vient cette histoire ? D’où vient le personnage de Gwendoline ?
Christine Orban : Généralement, ce sont les histoires qui me choisissent. Un jour, en me promenant dans la rue,...
Soumise de Christine Orban - Livre - Suite
Christine Orban
Avec le corps qu'elle a...
Présentation 2'10"Christine Orban aurait pu ne jamais être auteur. Des études de droit dans la perspective d’une carrière d’avocate, pour faire plaisir à son père, telle était la voie toute tracée.
Mais le goût de la littérature était bien ancré en elle. L’envie de s’accomplir, de se prouver à elle-même et aux autres qu’elle en était capable l’incite à écrire et à proposer à un éditeur son premier livre « Les petites filles ne meurent jamais ». Nous sommes en 1986. Depuis, derrière une réserve et une pudeur non feintes que certains considèrent parfois comme de la froideur, Christine Orban promène son élégance naturelle dans l’univers littéraire, entre romans contemporains et portraits historiques, histoires dramatiques ou plus légères, souvent teintées d’un voile de mélancolie.
Le nouveau titre de Christine Orban « Avec le corps qu’elle a… » sonne comme une provocation dans l’actualité de ces derniers mois, dominée par l’affaire Weinstein, du nom de ce producteur américain ayant abusé de nombreuses femmes. Et pourtant, cette histoire, la romancière la porte en elle depuis longtemps et peut-être même n’y est-elle pas complètement étrangère.
Une jeune femme de 20 ans, issue de la bonne société parisienne, a décidé d’écrire, envers et contre tout, car dans ce milieu, une jeune femme n’a pas à prendre la plume. Son premier roman est publié au grand dam de son beau-père qui sent son pouvoir sur elle s’écrouler. Un jour d’été, alors que le livre est à peine sorti, l’homme a cette phrase « Avec le corps qu’elle… » sous-entendu machiste, haineux, qui laisserait entendre que la jeune femme n’a pas été reconnu pour son écriture mais pour son physique.
Comment vivre avec cette phrase violente, prononcée par un proche ? Comment garder confiance en soi et ne pas sombrer ? Comment envisager sa vie de femme quand celui qui devrait être votre premier protecteur vous assène cette insulte sexiste.
Christine Orban nous entraine jusqu’au bord du gouffre dans cette histoire qui devrait être celle des siècles passés et qui reste pourtant très actuelle.
« Avec le corps qu’elle a… » de Christine Orban est publié chez Albin Michel.
Christine Orban
Avec le corps qu'elle a...
Portrait 6'12"Philippe Chauveau : Bonjour Christine Orban. Votre nouveau roman « Avec le corps qu’elle a.. » parait chez Albin Michel. Un livre qui prend place dans une bibliographie déjà conséquente. Quel regard portez-vous sur ce parcours ?
Christine Orban : Finalement, j’ai fait ce que je voulais, je suis allée là où mon cœur me portait. Je me souviens très bien du moment du choix. Parfois, il m’arrive d’aller dans des écoles ou de conseiller des jeunes et je leur dis : « Vraiment, faites ce que vous aimez dans la vie !». Si j’avais été notaire, car c’est ce que j’ai failli être, je crois que j’aurais été très frustrée de ce que m’offre le roman. Chaque roman est un nouveau voyage, une nouvelle rencontre, parfois avec des personnages de l’Histoire ou ceux de mon imagination. On se rencontre aussi parfois soi-même dans les romans !
Philippe Chauveau : Vous évoquez ce moment du choix dans votre vie. Quel a été le déclencheur ? A quel moment avez-vous eu le courage de faire ce choix de vie ?
Christine Orban : J’avais 27 ans. C’est vrai que c’est un courage de choisir sa vie. Il faut croire en soi, ce qui n’était pas mon cas ! Il faut tenter… J’avais écrit mon premier roman « Les petites filles ne meurent jamais ». J’avais démissionnée. Je me suis dit que j’allais le poster et que s’il n’était pas pris, je me jetterais dans la Seine ! Je ne me serais sans doute pas jeter dans la Seine, j’aurais réécrit un livre mais c’est vrai qu’il faut vaincre la peur de l’avenir et avoir un minimum confiance en soi.
Philippe Chauveau : Est-ce vrai que vous auriez aimé être psychologue ou psychanalyste ?
Christine Orban : C’est vrai ! On l’est un peu quand on écrit mais on choisit ses patients. J’ai eu le grand avantage de passer un peu de temps avec Virginia Woolf, Marie-Antoinette, Courbet, Napoléon et Joséphine tous ces personnages qui avaient des névroses bien conséquentes et passionnantes pour moi ; tous ces gens qui avaient des vies compliquées que j’essayais de comprendre. On avance. On comprend mieux les autres, on se comprend mieux soi-même au travers des romans. Moi, je suis comme une éponge. J’attrape les états d’âme. Je crois que j’aurais été une très mauvaise psy car j’aurais pleuré avec mes patients, ce qui n’est pas le but…
Philippe Chauveau : Dans votre bibliographie, il y a les romans dans lesquels vous avez côtoyé de grands noms de l’Histoire, il y a aussi des romans plus contemporains, des romans parfois dramatiques, violents, d’autres plus légers mais il me semble qu’il y a toujours un voile de mélancolie.
Christine Orban : J’étais une enfant mélancolique, je suis mélancolique. J’ai toujours pensé que les mots pouvaient guérir et c’est sans doute pour cela que j’écris. Mais j’étais effectivement une enfant mélancolique. Philippe Chauveau : Vous le restez ? Vous le cultivez ?
Christine Orban : Oui, je le reste. « Le bonheur d’être triste » disait Victor Hugo. Je préfèrerais ne pas l’être mais si c’est le prix à payer pour écrire, alors ça me va très bien car l’écriture m’apporte un grand bonheur.
Philippe Chauveau : Quelle lectrice êtes-vous ? Que trouve-t-on sur votre table de chevet ? Christine Orban : Je suis une grande lectrice. C’est pour moi la récréation absolue. J’essaie de prendre deux heures. Je me lève très tôt, je lis et après je vais travailler. Actuellement, j’ai relu « L’ennui » de Moravia qui m’a laissée absolument émerveillée. J’ai relu aussi « Un amour » de Buzzati. C’est un peu le même genre. J’adore ces italiens. Ce sont des hommes menés par le bout du nez. Chez Buzzati, c’est par une prostitués. Chez Moravia, ce n’est pas une prostituée mais presque. Et ce sont des hommes qui en perdent la raison. C’est passionnant…
Philippe Chauveau : Par la lecture ou l’écriture, avez-vous l’impression de vous protéger de notre monde contemporain ?
Christine Orban : Quand on écrit, on s’expose. Quand on publie, on voudrait que cela plaise alors qu’il faudrait s’en fiche. C’est mon prochain but ! Comme disait Freud : « Seule l’opinion que j’ai de moi compte ». Quand on arrive à cette sagesse-là, on a gagné !
Philippe Chauveau : Vous sentez-vous bien dans notre époque contemporaine ?
Christine Orban : Oui, je trouve qu’on a beaucoup de chance. Et à propos des femmes, on a fait un grand pas en avant dernièrement avec cette affaire Weinstein
Philippe Chauveau : Votre actualité « Avec le corps qu’elle a… » chez Albin Michel
Christine Orban
Avec le corps qu'elle a...
Livre 6'55"Philippe Chauveau : Dans votre nouveau roman, nous faisons connaissance avec une jeune fille dont on saura le prénom une ou deux fois. Elle a 20 ans et vient de publier son premier roman. Ce qui pourrait être un jour de joie devient un jour de tristesse car il y a cette phrase : « Avec le corps qu’elle a… » prononcée par son beau-père. D’où vient cette histoire ? D’où vient le personnage de Gwendoline ?
Christine Orban : Généralement, ce sont les histoires qui me choisissent. Un jour, en me promenant dans la rue, cette phrase m’est revenue. Je l’avais occulté. Après, je l’ai prêté à une héroïne et c’est elle qui me prend par la main et me raconte son histoire. Mais cette phrase m’a été dite.
Philippe Chauveau : Ce beau-père qui s’appelle Hubert, mais qu’on appelle BP dans le roman, comme beau-père, a sûrement ses failles et ses faiblesses. Il s’est construit une carapace et est odieux avec sa femme et sa fille. Il ne les ménage pas. La jeune fille n’avait peut-être pas pris concience que son beau-père était odieux. Il a fallu qu’il prononce cette phrase pour qu’elle le découvre réellement ?
Christine Orban : Elle ne s’en rend même pas compte immédiatement. C’est la perversion de cette relation, elle lui donne presque raison. Peut-être que publier un livre est réservé au domaine des hommes importants, puissants. Elle se demande ce qu’elle fait là-dedans, si elle n’a pas fait une erreur. Elle-même va étouffer le fait qu’elle a été acceptée par un éditeur.
Philippe Chauveau : Ce n’est que bien des années plus tard, quand sa vie de femme aura été construite, que cette phrase va resurgir et que la jeune femme va comprendre que cet homme était un monstre. Avait-il peur qu’elle lui fasse de l’ombre ?
Christine Orban : Oui et c’est intéressant. J’ai essayé ici de parler de la jalousie des hommes, des pères et des beaux-pères. Dans les contes de fées, on parle toujours de la marâtre et de la relation belle-fille/belle-mère. Il y a une autre relation moins évidente mais intéressante, c’est celle entre le beau-père et la belle-fille.
Philippe Chauveau : Avec votre roman, vous évoquez le pouvoir des mots, les mots qui peuvent blesser comme des poisons très lents, pouvant conduire à l’issue fatale. La romancière que vous êtes connait bien le pouvoir des mots et vous souhaitiez que le lecteur s’intéresse à ce sujet.
Christine Orban : Oui, et c’est le sujet du livre. C’était audacieux de montrer qu’il y a des mots qui sont des poisons invisibles pouvant tuer lentement. Les mots sont des armes. Le Dr Cyrulnik que j’avais interviewé il y a quelques années m’avait dit : « Il n’y a pas de hiérarchie dans les causes de douleur, il n’y a que la manière dont vous allez vivre l’évènement ». Effectivement, on peut souffrir à cause des mots.
Philippe Chauveau : Cette phrase assassine va entrainer Gwendoline presque jusqu’au bord du gouffre. Elle aura des incidences sur sa vie de femme, sur ses relations avec les hommes quand elle rencontrera ce bel italien, Andrea, ou plus tard Antoine. Par cette petite phrase, on a l’impression que sa vie va être totalement différente de ce qu’elle aurait pu être.
Christine Orban : Vous avez raison. Elle va endosser le costume qu’on veut lui donner. Elle obéit et va devenir corps. On lui interdit l’esprit qui est trop noble pour une jeune femme qui porte des balconnets. Ce que pense l’autre devient plus vrai que ce que vous pensez. On vous étiquette et cela ne correspond pas toujours à ce que vous êtes. Et c’est ce qui va lui arriver. Elle va aussi obéir en se vendant en faisant photographier ses mains, ses pieds, son cou… Jusqu’à la révolte.
Philippe Chauveau : On parlait du pouvoir du mots qui blessent. Ils font encore plus mal quand ils sont prononcés par quelqu’un qui devrait être votre premier protecteur. En l’occurrence, ici, c’est le beau-père qui devrait la protéger puisque son père est mort. Il est finalement son pire ennemi.
Christine Orban : Effectivement, c’est une circonstance aggravante. Ce beau-père est censé remplacer son père décédé. Elle ne peut pas croire qu’il ne la protège et c’est aussi pour cela qu’elle pense qu’il a raison.
Philippe Chauveau : On a parlé de l’actualité et de la résonnance de votre livre. Nous avons bien compris qu’il n’y avait pas acte de militantisme dans l’écriture de ce roman. Avez-vous tout de même l’impression que ce livre est un caillou supplémentaire dans ce combat que mènent les femmes ?
Christine Orban : J’espère. C’est aussi une forme de témoignage spontané. Je ne milite auprès d’aucune formation féministe mais là, je les rejoins comme s’il y a avait un inconscient collectif, un moment où les femmes ont dit : « ça suffit ! », sans même se consulter. J’ai trouvé ce mouvement très fort et très émouvant, comme un orchestre qui se levé. Quand mon livre a été publié, j’ai eu la sensation d’être en accord avec mon époque et avec ce que pensent les femmes.
Philippe Chauveau : Merci Christine Orban. Une histoire violente et forte portée par la sensibilité et la finesse de votre écriture. Votre actualité « Avec le corps qu’elle a… » aux éditions Albin Michel