On a tout dit, tout écrit sur Amélie Nothomb. Et pourtant, 30 ans après la sortie de son premier roman, en 1992, elle reste, à son corps défendant, un personnage énigmatique. Elle est surtout une femme attachante, que le succès n’a pas changé et qui réserve toujours des surprises. Fidèle à son éditeur, Albin Michel, elle sort un livre par an et le public répond toujours présent. Au fil des années, Amélie Nothomb fait d’ailleurs partie de ces auteurs qui ont désacralisé le titre de romancier, se montrant disponible,...
Psychopompe d'Amélie Nothomb - Présentation - Suite
Philippe ChauveauBonjour Amélie Nothomb.
Amélie NothombBonjour Philippe Chauveau.
Philippe ChauveauQuel plaisir de vous accueillir pour démarrer cette cette nouvelle année 2023 ! Comment vivez vous ce moment ? Ce renouveau du mois de janvier, est-ce un moment important ou finalement passe-t-il comme les autres jours du calendrier ?
Amélie NothombC'est un moment important. Je le vis toujours avec une certaine crainte et une certaine exaltation. Bon, là, ce qui fait que je le vis plutôt sereinement, c'est que juste avant de partir en...
Psychopompe d'Amélie Nothomb - Portrait - Suite
Philippe ChauveauAinsi donc, voici votre 31ème titre Amélie Nothomb, Le Livre des soeurs. Vous aviez déjà évoqué votre père dans un précédent titre et on sait que vous avez une sœur qui est Juliette. On vous l'a vue, on vous voit régulièrement avec elle, elle publie, elle publie elle même, mais néanmoins, il s'agit bel et bien d'un roman, même si peut être que les deux sœurs ne tombent, sont cachées en filigrane entre entre les lignes, nous allons découvrir deux jeunes femmes.Elles s'appellent Tristane et Laetitia,...
Psychopompe d'Amélie Nothomb - Livre - Suite
Amélie Nothomb
Le livre des soeurs
Présentation 00'02'51"On a tout dit, tout écrit sur Amélie Nothomb. Et pourtant, 30 ans après la sortie de son premier roman, en 1992, elle reste, à son corps défendant, un personnage énigmatique. Elle est surtout une femme attachante, que le succès n’a pas changé et qui réserve toujours des surprises. Fidèle à son éditeur, Albin Michel, elle sort un livre par an et le public répond toujours présent. Au fil des années, Amélie Nothomb fait d’ailleurs partie de ces auteurs qui ont désacralisé le titre de romancier, se montrant disponible, généreuse et attentive à ses lecteurs. Ils sont un peu pour elle comme une deuxième famille. Son autre famille, sa vraie famille, Amélie Nothomb l’a souvent évoqué en interviews notamment, jouant, surjouant, de l’étrangeté de ces aristocrates belges. Pourtant, en 2021, en publiant « Premier sang », elle dévoilait un autre pan de ses racines et offrait un portrait tendre, drôle, caustique, émouvant, de son père, décédé quelques mois plus tôt. Surtout, avec ce livre très personnel, la romancière tombait le masque, révélant qu’au-delà du personnage médiatique, elle était surtout une fille attachée à son père et une femme fidèle aux siens.
La famille, elle est encore là, dans ce nouveau titre, « Le livre des sœurs ». Ceux qui connaissent Amélie Nothomb savent qu’elle a effectivement une sœur, Juliette, qui elle-même a publié quelques ouvrages et ces deux-là sont fusionnelles. Mais la romancière l’assure, à la différence de son précédent opus sur son père, cette fois-ci, il s’agit bien d’une histoire fictive. Toutefois, chez Amélie Nothomb, allez savoir où comment et où finit la vérité.
Il y a fort à parier que les deux sœurs Nothomb sont bien là, cachées entre les lignes de ce roman.
Au début des années 70, Florent et Nora forment un couple fusionnel. Ils se marient un 26 février. De cette union naitront deux filles, Tristane et Laetitia de cinq ans sa cadette. Les deux gamines tenteront tant bien que mal de se construire face à l’amour exclusif que leurs parents se portent. Enfant sage, Tristane fera tout pour séduire ses parents, tentant de trouver sa place dans leur relation exclusive. Ecrit comme un conte, le roman, qui suit Tristane sur plusieurs décennies, est souvent drôle, mais d’une drôlerie parfois amère, un sourire qui cache la blessure de cet enfant en manque d’affection et qui trouve apaisement et raison de vivre à travers sa petite sœur. Axé sur les années 80, le livre est aussi un hommage à la musique, le rock en particulier, mais aussi à la littérature et la relation épistolaire. Et comme toujours, Amélie Nothomb parsème son texte de mots inattendus qui apportent une saveur particulière à son écriture, ces mots qui ont le pouvoir qu’on leur donne.
« Le livre des sœurs » d’Amélie Nothomb est publié chez Albin Michel.
Amélie Nothomb
Le livre des soeurs
Portrait 00'08'43"Philippe Chauveau
Bonjour Amélie Nothomb.
Amélie Nothomb
Bonjour Philippe Chauveau.
Philippe Chauveau
Quel plaisir de vous accueillir pour démarrer cette cette nouvelle année 2023 ! Comment vivez vous ce moment ? Ce renouveau du mois de janvier, est-ce un moment important ou finalement passe-t-il comme les autres jours du calendrier ?
Amélie Nothomb
C'est un moment important. Je le vis toujours avec une certaine crainte et une certaine exaltation. Bon, là, ce qui fait que je le vis plutôt sereinement, c'est que juste avant de partir en vacances en 2022, mon nouveau roman venait d'être accepté aux éditions Albin Michel. Alors que normalement, j'apporte mon nouveau manuscrit en février. Donc là, pour la première fois, je commence au mois de janvier sans avoir cette épée de Damoclès.
Philippe Chauveau
Il y a une sorte de sérénité ?
Amélie Nothomb
Il y a déjà une sorte de sérénité. Je sais que les éditions Albin Michel n'ont plus qu'à me martyriser. Je suis dans la machine.
Philippe Chauveau
Vous aimez bien être martyrisé par Albin Michel ! Voici votre 31ème titre, Le livre des soeurs. Que de chemin parcouru depuis Hygiène de l'assassin en 92. On dit souvent Amélie Nothomb, ça reste un personnage énigmatique. Vous cultivez cette image là, vous l'avez cultivée. Vous avez l'impression qu'aujourd'hui c'est un peu dépassé tout ça ?
Amélie Nothomb
Mais pas du tout. Je ne la cultive absolument pas et je ne suis même pas sûre que cette image soit vraie. Parce que s'il est vrai qu'on ne sait pas grand chose à mon sujet, on me voit partout. Donc je suis le genre de personne qu'on salue dans la rue, on se dit tiens, je la connais, ça doit être ma voisine.
Donc finalement, je suis un personnage assez anodin, mais il n'y a pas de meilleure cachette que d'être un personnage assez anodin.
Philippe Chauveau
Avant que vous preniez vous même la plume. En tout cas avant que vous ne soyez vous même publiée. Y a t il un auteur ou une romancière à laquelle vous auriez eu envie de vous identifier en vous disant Qu'est ce que j'aimerais ressembler à cette personne ?
Amélie Nothomb
Je n'ai pas atteint le stade de l'identification, mais j'ai atteint le stade de la plus grande admiration salvatrice pour Marguerite Yourcenar. J'ai découvert Marguerite Yourcenar pendant mon adolescence. Elle était encore de ce monde et c'était une époque de ma vie ou il m'était impossible de m'identifier à une figure féminine adulte, c'est à dire qu'il y avait beaucoup de femmes adultes que j'aimais, mais aucune qui puisse me faire aucun destin qui puisse m'inspirer.
Et puis j'ai découvert Marguerite Yourcenar, écrivain prodigieux dont les livres ont renversé d'admiration, mais aussi Femmes, statues et tout le destin me paraissaient absolument exceptionnels. Soyons clairs je n'ai jamais souhaité être la nouvelle Marguerite Yourcenar. Je ne suis pas, je ne sais pas... Je n'ai pas cette dimension.
Philippe Chauveau
Elle vous fascine.
Amélie Nothomb
Elle me fascinait. Et de savoir qu'on pouvait être une femme adulte et être Marguerite Yourcenar. Je ne peux pas vous dire le bien que ça m'a fait.
Philippe Chauveau
Vous étiez encore adolescente. Mais avez-vous eu l'occasion de la croiser sur une signature ?
Amélie Nothom
Jamais je n'aurais jamais osé. Je n'étais pas ce style d'adolescente là. Quand j'éprouvais de l'admiration pour quelqu'un, j'avais plutôt tendance à m'enfuir. La seule fois que je m'étais rendue adolescente à la Foire du livre de Bruxelles, adolescente, j'avais 18-19 ans.
Philippe Chauveau
Une grande adolescente.
Amélie NothomB
J'étais venue avec ma grammaire et j'étais venue la faire dédicacer à André Gosose, le grand grammairien belge. Donc je pense que j'étais la seule de mon espèce à être allée au rayon grammaire de la Foire du livre de Bruxelles.
Philippe Chauveau
Alors néanmoins, c'est intéressant lorsque vous parlez de cette fascination qu'exerçait sur vous Marguerite Yourcenar. Parce qu'aujourd'hui, lorsque vous êtes en salon, lorsque vous êtes en signature, en librairie, vous avez aussi beaucoup de lecteurs, de lectrices dont on sent une certaine fascination vis à vis de vous même. Et vous êtes très généreuse avec vos lecteurs. C'est que vous vous remettez dans la peau de cette adolescente qui avait une fascination pour Marguerite Yourcenar.
Et vous, vous dites moi, j'ai envie de leur donner un petit quelque chose en échange de cette de cette amitié qui me porte.
Amélie Nothomb
Je dirais que ça me va même pas jusque là. J'ai été tellement seule pendant tellement d'années de ma vie que de voir à présent tous ces gens, et souvent en effet, de jeunes gens qui viennent vers moi, je suis débordée d'émotion et je ne peux pas faire autrement que d'être dans l'échange et dans la cordialité. Et ça va parfois très loin.
De très grande amitié peuvent naître comme ça sur les salons du livre ou dans les librairies.
Philippe Chauveau
Avez vous l'impression que votre parcours, on l'a dit depuis 1992, ressentez vous une certaine évolution entre ce que vous avez envie de transmettre au départ et ce que vous transmettez aujourd'hui ? Ou avez vous l'impression, au contraire, que vous êtes toujours sur cette même, sur cette même ligne ?
Amélie Nothomb
J'ai quand même commencé par une espèce de défi complètement absurde. Quand j'ai publié Hygiène de l'assassin, qui est un livre d'une noirceur extrême, je partais du postulat que les lecteurs n'existaient pas et que personne ne lisait. C'est un peu le postulat du livre. Dès la parution Hygiène de l'assassin, j'ai eu la preuve éblouissante de mon erreur. Le lecteur existait, la lecture était ô combien pratiquée et j'ai l'impression que, d'une manière toute différente, je reste un petit peu dans cette démarche, peut être moins dans la provocation aujourd'hui, mais c'est quand même toujours une démarche audacieuse, à savoir est-ce que vous êtes encore là, les lecteurs ?
Est-ce que si ma folie va jusque là ? Si ma démarche va jusque là, est ce que je suis encore lu ? Est ce qu'il y a encore quelqu'un de l'autre côté du papier ou est ce que la machine ne répond plus ?
Philippe Chauveau
Alors c'est vrai que, vous le dites, Hygiène de l'assassin ou d'autres titres comme Stupeur et tremblements ou comme Journal d'Hirondelle qui ? Il y a eu des romans qui étaient vraiment sombres, noirs. Et aujourd'hui, on sent ces dernières années, mis à part peut être le précédent titre où vous parliez de votre père. On sent que même si vous voulez traiter de sujets sérieux, oui, il y a peut être une certaine légèreté dans votre écriture.
Amélie Nothomb
Oui, une légèreté est arrivée, qui n'était pas là d'emblée. Je pense que cette légèreté me correspond très profondément. Et probablement était elle déjà là auparavant. Mais j'étais adolescente, grande adolescente, jeune adulte. J'étais tellement sombre, tellement désespérée que cette légèreté ne trouvait pas à s'exprimer.
Philippe Chauveau
Cette légèreté vient elle de l'écriture qui vous aurait apaisé ? Ou avez-vous l'impression que, finalement, vous regardez le monde avec plus de recul maintenant ? Et justement, ça procède de cette légèreté.
Amélie Nothomb
Il est certain qu'un certain recul s'est installé, mais aussi le fait de voir c'est tout bête ou le fait de voir qu'il y avait quand même une place pour moi en ce monde m'a fait un bien fou. Quand j'ai écrit Hygiène de l'assassin et les livres qui ont précédé, j'étais vraiment persuadée, peut être par orgueil, d'être tout à fait seule au monde et qu'il n'y aurait personne sur terre pour me comprendre.
Par la suite, j'ai tellement eu la preuve du contraire que je pense en effet qu'une certaine jovialité s'est installée. Non que je sois moins sombre sur l'avenir du monde et sur tout ce qui nous concerne. Mais il y a finalement quelque chose de joyeux à se dire bon, les choses vont très mal, mais en fait, nous en sommes tous persuadés et ça ne nous empêche pas de nous aimer et de faire ensemble des choses très agréables.
Philippe Chauveau
Alors, si je vais encore un petit peu plus loin aujourd'hui dans ce monde un peu chaotique, à quoi sert le livre et quel est le rôle de l'écrivain ?
Amélie Nothomb
Je ne suis pas sûre que ce ne soit pas des questions qui me dépassent, mais à mon très humble niveau, je milite pour la lecture. Ça a l'air d'être un combat un petit peu vague et un peu vain. Je ne pense pas. Je vois ce que les livres ont fait pour moi. Très concrètement, les livres m'ont sauvé quand j'étais adolescente, quand j'étais dans le vide.
Ce vide a duré très longtemps dans ma vie, s'il n'y avait pas eu les livres, encore plus que je lisais, que ceux que j'écrivais, j'aurais grandi dans le vide et on ne peut pas grandir dans le vide. Si la littérature m'a tirée vers le haut, pourquoi ne pas tirer d'autres personnes vers le haut ? Alors mes livres, pourquoi pas ? Mais je pense que mes livres sont des livres qui donnent envie de lire tous les autres. C'est des livres qui propagent le virus, le virus de la lecture. Donc continuez à propager la bonne contamination de la lecture. C'est certainement un engagement très important pour moi.
Philippe Chauveau
Voilà une belle mission pour l'année qui commence. Amélie Nothomb, votre actualité Le livre des sœurs chez Albin Michel.
Amélie Nothomb
Le livre des soeurs
Livre 00'10'08"Philippe Chauveau
Ainsi donc, voici votre 31ème titre Amélie Nothomb, Le Livre des soeurs. Vous aviez déjà évoqué votre père dans un précédent titre et on sait que vous avez une sœur qui est Juliette. On vous l'a vue, on vous voit régulièrement avec elle, elle publie, elle publie elle même, mais néanmoins, il s'agit bel et bien d'un roman, même si peut être que les deux sœurs ne tombent, sont cachées en filigrane entre entre les lignes, nous allons découvrir deux jeunes femmes.
Elles s'appellent Tristane et Laetitia, elles sont soeurs, elles ont cinq ans de différence. Elles sont nées dans les années 70. Elles sont le fruit d'un couple fusionnel Florent, Florent et Nora. Un couple tellement fusionnel qu'ils vont avoir bien du mal à donner de l'affection et de l'amour à leurs enfants, à leurs deux, à leurs deux filles. Et c'est comme ça que naît cet attachement très fort entre Tristane et Laetitia.
Comment est elle cette histoire des deux soeurs ?
Amélie Nothomb
Ça faisait très longtemps que j'avais envie de consacrer un roman à mon lien, à ma sœur, ma sœur. Combien inspirante, Juliette. Mais j'étais retenue par le fait que ma sœur existe vraiment et est toujours en vie. De quel droit irait je révéler les secrets de ma sœur avec moi ? Je peux y aller, c'est mes secrets, j'en fais ce que je veux, mais les siens, c'est très gênant.
J'ai finalement eu l'idée d'user d'un subterfuge. Le subterfuge narratif du shaker. J'ai pris Juliette et moi je nous est mise dans un shaker. J'ai bien secoué, j'ai versé dans deux verres à cocktail et j'ai baptisé chaque cocktail. L'un Tristan, l'autre Laetitia. Allez savoir qui est qui, c'est impossible à savoir. C'est tellement mélangé que nos secrets seront bien gardés.
Ce qui, en revanche, est tout à fait exact, c'est l'amour inconditionnel qui nous unit. Je suis la petite sœur Juliette, la grande sœur de Juliette. A trois ans de plus que moi. Elle m'a toujours dit que j'étais son premier souvenir. Son premier souvenir, c'est moi dans les bras de ma mère à la maternité et qu'elle a eu un coup de foudre, ce qui ne va pas du tout de soi.
Philippe Chauveau
Normalement, la réaction est peut-être aussi inverse.
Amélie Nothomb
Non seulement ma sœur n'a éprouvé aucune jalousie, mais elle a eu un coup de foudre que j'ai évidemment partagé tout aussitôt. Bon, à côté de ça, Tristane et Laetitia sont dans une situation qui n'était pas du tout celle de ma sœur et moi. Elles sont les enfants d'un couple fusionnel. J'ai plusieurs amis qui sont dans cette situation.
Ça existe vraiment. Qu'est ce que qu'un couple forteresse ? C'est un couple tellement éperdument amoureux l'un de l'autre qu'il ne remarque même plus le monde extérieur et même pas leurs enfants. Ils mettent des enfants au monde par pression sociale, un peu parce que ça se fait et ce n'est pas qu'ils détestent leurs enfants, ce n'est pas des méchants parents, ce sont des parents qui ne remarquent pas qu'ils ont des enfants.
Et il paraît que c'est terrible d'avoir de tels parents, de grandir non pas dans la haine ou la détestation ou le sadisme, mais dans une espèce d'indifférence. Avec quand même un message ne pas déranger. Vos parents vivent une grande histoire d'amour. Laissez nous tranquilles, ne faites pas trop de bruit. Il paraît que c'est terriblement dur. Et ayant eu des amis qui m'avait raconté combien il avait été difficile de grandir ainsi, je me suis demandé ce qui aurait pu les sauver, mes amis. Et je me suis dit Mais en fait, si moi je m'étais retrouvée dans une telle situation, j'aurais d'office été sauvée puisque je suis la sœur de Juliette Nothomb. Donc j'ai imaginé que. Qu'est ce qui sauve justement ces jeunes femmes ? C'était leur lien fusionnel de sœurs. Et finalement, ce que je raconte dans ce livre, c'est une concurrence entre deux histoires d'amour.
Philippe Chauveau
Un bras de fer amoureux, entre l'amour forteresse des parents et l'amour fusionnel. Mais pas du tout fermé des deux sœurs. C'est le point de départ du roman et c'est vrai que c'est Tristane que nous allons suivre essentiellement puisque Laetitia est née 55 après et dès ses premières années. Tristane va bien sentir que ses parents la délaissent. Fan de ça, il ne reste pas vraiment Ed. Elle va tout faire pour se rendre intéressante à leurs yeux. Elle va devenir une sorte de petit génie.
Il est un peu précoce, mais rien n'y fait, rien n'y fait. L'affection de ses parents ne s'accroche pas à elle.
Amélie Nothomb
Oui, c'est douloureux comme ça. C'est très douloureux. C'est même pire que ça puisque elle fait en effet des efforts admirables et elle devient extraordinairement intelligente. Et la seule réaction que cela suscite de la part de son père, c'est alors tu fais ton petit génie. Donc elle sent que non seulement elle n'est pas félicitée, mais même que son attitude agace considérablement tout ce qu'on attend d'elle, c'est qu'elle fasse pas de bruit et qu'elle ne sorte pas du lot.
Pour un enfant, c'est une situation insupportable.
Philippe Chauveau
Comme vous l'avez parfois fait, ce roman est écrit sous une forme de conte, en prenant un petit peu le système du conte pour enfants. Mais on sait très bien que les contes pour enfants s'adresse aussi aux adultes. Et derrière l'écriture du conte se cache effectivement une violence. La violence de ce sujet, c'est l'enfance mal aimée.
Amélie Nothomb
Oui, alors c'est vraiment un sujet pour moi. Comprenons nous bien, il ne s'agit pas d'une enfance martyre, il s'agit d'un drame ordinaire. C'est vraiment mes sujets de prédilection. Pas de pas des thèmes atroces d'enfants battus. Prostitués, non. Les thèmes courants, c'est très courant des enfants non pas mal aimés, mais peu aimés.
Philippe Chauveau
Le manque d'affection.
Amélie Nothomb
Voilà le manque d'affection ou le manque de reconnaissance. Ce sont des thèmes qui nous parlent à tous parce que nous sommes rarement des enfants martyrs. Mais il nous est tous arrivé au moins un jour de notre vie ou un mois dans notre vie. D'être un enfant peut aimer d'être un enfant peut considérer donc que ça nous parle à tous.
Et la forme du conte me convient très profondément parce qu'elle est éternelle, elle ne se démode pas, elle nous parle à tous. Il n'y a pas trop de données sociales dans le conte, donc que l'on vienne d'un milieu favorisé ou d'un milieu totalement défavorisé, on peut très bien s'identifier.
Philippe Chauveau
Alors ce qui est intéressant, c'est qu'au -elà de cette intrigue, de cette histoire que vous voulez nous raconter, il y a tout le tout le cadre, tout le décor. Oui, nous sommes au début des années 70. On a même des dates très précises dans la date du mardi, du mariage des parents, la date de naissance des enfants. Et puis on va arriver dans les années 80 et là vous vous régalez à nous faire revivre les années 80, que ce soit les grands noms de la littérature, le monde politique et puis aussi tous les artistes qui ont fréquenté ces années 80.
Et là, vous faites une déclaration d'amour à la musique, dans ce livre, au rock des années 80.
Amélie Nothomb
Moi, je suis devenue écrivain parce que je ne pouvais pas devenir rockeuse. Je n'avais aucun moyen de devenir rockeuse, pas l'ombre d'un talent musical. Mais si j'avais pu choisir mon talent, j'aurais été une rockeuse et j'aurais fondé Les pneus, les pneus. Qui est donc...
Philippe Chauveau
..le fameux groupe de rock que les deux soeurs veulent créer avec la cousine Cosette.
Amélie Nothomb
C'est ça, que font les deux sœurs veulent créer avec leur cousine. Donc, on ne peut pas dire que ce groupe est un succès. Mais je les admire d'autant plus parce que le groupe ne meurt pas. Et vous n'imaginez pas le nombre de groupes rock qui existent comme ça. Tout le monde connaît Queen, Abba ou aujourd'hui, je ne sais pas moi, Radiohead, etc, mais j'admire au moins autant les groupes rock obscurs dont on n'a jamais entendu parler et qui qui durent 20 ans ou 30 ou 40 ans, parfois qui font tous les petits festivals. Mais vous savez, des festivals ou il y a 241 personnes et qui pour autant ne sont pas du tout des groupes ratés. Parce que quand ils se rendent dans un festival de 241 personnes, ils font 241 heureux. J'admire ça.
Philippe Chauveau
Donc ça veut dire que rien n'est perdu. Vous pouvez encore créer les pneus. Néanmoins, vous avez fait quelques petites incursions dans le monde de la musique parce que je crois que certains de vos textes, il y a eu des textes, en tout cas des textes de chansons que vous avez signés. Que gardez vous de ces textes, de cette expérience ?
Amélie Nothomb
J'ai adoré ça. C'est très difficile d'être parolière. Jamais je n'aurais pris l'initiative d'être parolière. J'ai trop conscience de mes limites. Mes deux chanteuses, et non les moindres, m'avaient demandé des textes de chansons la chanteuse Robert, qui est une immense artiste que je vénère, mais aussi feue Juliette Gréco, qui m'avait demandé un texte de chanson. J'ai accepté, ça ne se refuse pas. Et elles m'ont fait l'honneur d'accepter mes textes. Et ça, c'est une très, très grande expérience pour moi.
Philippe Chauveau
Alors la musique est très présente et notamment le rock. Si vous aviez votre goût, vous auriez été plutôt métal. Vraiment du rock ?
Amélie Nothomb
J'aurais adoré faire du métal, mais déjà que je parviens même pas être rockeuse, mais métal. Il faut une voix très particulière. Je pense qu'il aurait fallu que je me mette au tabac. Je n'ai jamais réussi à fumer.
Philippe Chauveau
En vous regardant, j'ai une image de vous en rockeuse qui me paraissait assez surprenante. Je la garde pour moi. Il y a donc cet hommage à la musique rock, hommage à la littérature aussi, parce qu'il y a de grands noms de la littérature qui sont cités. Et puis je parlais de cette nostalgie des années 80. Vous êtes vous même nostalgique de cette période ? Ou alors c'était un peu pour placer vos vos deux personnages dans dans une époque.
Amélie Nothomb
Et les années 80 ont été pour moi des années très dures. C'est vraiment les années pendant lesquelles j'ai vécu les pires épreuves.
Philippe Chauveau
C'était les années ou vous vous cherchiez un petit peu. Vous n'étiez pas bien.
Amélie Nothomb
J'étais très mal pendant les années 80 et pourtant il m'est arrivé des choses immense, immense. J'ai commencé à écrire pendant les années 80, non pas à être publié. Ça, c'est venu dans les années 90, mais. Mais mes plus grands coups de foudre littéraires ont eu lieu pendant les années 80. Mais plus grands coups de foudre musicaux, d'adolescentes ont eu lieu pendant les années 80. Mon retour au Japon, qui était le but de ma vie, a eu lieu pendant les années 80. Donc ça a été des années énormes.
Philippe Chauveau
Votre 32ᵉ enfant de papier est donc désormais dans les mains de votre éditeur. Il sortira.
Amélie Nothomb
À la date habituelle à la fin du mois d'août, début septembre de l'année 2023.
Philippe Chauveau
Et puis il y a celui ci qui est dans les bacs des librairies. Ça s'appelle Le Livre des sœurs, c'est aux éditions Albin Michel. Grand merci à Amélie Nothomb d'être passé nous voir. Et puis on vous souhaite une très belle année 2023. A bientôt.
Amélie Nothomb
Très bonne année à vous.
Philippe Chauveau
Et bonne année à vous aussi.