Adrien Borne

Adrien Borne

La vie qui commence

Livre 00'07'40"

Philippe Chauveau

La vie qui commence. Votre actualité, Adrien Borne, chez Jean-Claude Lattès, avec ce bandeau que l'éditeur a choisi de mettre sur la couverture, ce plongeon vers l'inconnu, vers une autre vie. C'est Gabriel, Gabriel qui est un jeune adolescent. On va suivre son parcours. J'aimerais qu'on revienne quand même sur ce que vous aviez publié en 2016. Vous êtes journaliste, on le rappelle, journaliste en télévision, entre autres, à cette époque-là. Et vous publiez un court message pour parler de la pédophilie et pour expliquer que vous avez-vous-même été victime de cela. Pourquoi est-ce important, à ce moment-là, de témoigner ?

Adrien Borne

En tant que journaliste, je suis amené à traiter des cas de pédophilie, de pédo criminalité dans l'église lyonnaise. Le père Preynat qui est impliqué, Monseigneur Barbarin également. Et je suis amené à interviewer ces hommes qui dénoncent les faits et qui ont été victimes eux-mêmes et qui m'impressionnent par leur courage parce qu'ils parlent de ce qu'ils ont vécu enfant. Et en plus, ils parlent en s'attaquant à l'institution que représente l'Église catholique. Ils me donnent soudainement, sans le savoir, cette petite autorisation. Peut-être être que moi aussi je pourrais parler et je crois que tout commence un peu à ce moment-là et ce livre sans doute commence un peu à ce moment-là.

Philippe Chauveau

Et ce message a eu quand même un retentissement du fait de votre notoriété en tant que journaliste à la télévision Et puis, peut-être parce que vous avez été le porte-parole d'autres personnes qui n'avaient pas les mots ?

Adrien Borne

Peut-être que ça aussi je l'ai mesuré à l'époque, sans m'en douter vraiment. Et à l'époque, je reçois déjà beaucoup de messages de gens qui me racontent leur histoire. J'essaye de répondre au début. Et puis je n'y parviens plus parce que je ne suis pas apte. Je n'ai pas les moyens de leur répondre. C'est une chose que je me suis toujours reproché. A l'époque, on me demande également de faire, de faire un récit, de raconter. Plusieurs éditeurs me contactent pour me dire « Faisons un livre de cette histoire, de ça ». Et je m'y refuse parce que je ne me sens pas prêt. Et parce que je crois qu'à l'époque, déjà, j'ai conscience que si je sors un livre un jour, ce ne sera pas celui-là le premier et qu'ensuite, si un jour je parle de ça dans un livre, ce ne sera pas à la manière du récit.

Philippe Chauveau

Ce sera avec la forme romanesque ?

Adrien Borne

Absolument.


Philippe Chauveau

Donc, on peut dire que La vie qui commence découle de ce texte publié il y a quelques années en tant que journaliste.

Adrien Borne

Absolument.

Philippe Chauveau

C’est Gabriel. Alors, Gabriel, on va comprendre. Vous le dites d'ailleurs. C'est en partie vous même si tout cela reste un roman. Gabriel, il est parti en colo il y a quelque temps. Et puis là, on va le retrouver en plein été. Il est chez lui, tranquille, il fait chaud, il mange de la glace. Et puis il regarde le Tour de France. Il se sent très protégé chez lui. Et puis on sonne à la porte et il va se retrouver face à un moniteur, le moniteur qui a abusé de lui quelque temps auparavant. Qui est-il Gabriel ?

Adrien Borne

Gabriel, c'est ce petit garçon, ce jeune garçon. Je ne sais pas comment on dit. Il a douze ans.

C'est un garçon que je qualifie d'assez pétillant. Curieux.

Philippe Chauveau

C'est un ado bien dans sa peau.

Adrien Borne

Complètement bien dans sa peau. Et un petit garçon bien intégré. Et il adore aller en colonie de vacances. Dans les premières pages du livre, c'est la vie qui commence, c'est ce sont toutes ces découvertes possibles à ces âges-là, qui sont absolument formidables quand on est un garçon de douze ans.

Philippe Chauveau

Gabriel, il va donc partir en colo. Il va y avoir ce moniteur, il va se passer des choses qui ne devraient pas se passer. Il s'en rend bien compte, mais il ne sait pas comment les exprimer.

Et puis c'est bizarre parce que ça ne se fait pas de façon violente. Il ne sait pas comment il doit réagir. Et puis il va enfouir ça dans sa mémoire. Il va avancer dans la vie. Et puis, devenu adulte, il va se retrouver avec son grand-père, qu'il doit aider à déménager la maison. Parce que les années sont passées et qu'il faut faire des choix. Et à l'occasion de ce déménagement, tous les vannes vont s'ouvrir. Vous aviez besoin d'écrire un roman, un récit en deux temps, en deux époques ? L’ado et l’adulte.

Adrien Borne

Oui, pour une raison simple, c'est que Gabriel comme moi, vous l'avez dit, Gabriel est mon frère siamois, à n'en pas douter…. Et c'est aussi le ressort romanesque qui me plaît, il est absent à lui-même, d'une certaine manière, pendant 20 ans, c'est à dire qu'il l'oublie, il enfoui. Et donc, il y a ce laps de temps d'une vingtaine d'années où il est étranger à lui-même. Et donc, pour moi, il fallait enjamber cette période-là et le retrouver à l'heure où la parole rejaillit, remonte à la surface. A ce titre, je parlais des lieux tout à l'heure et de l'importance pour moi. Sa vie avec ce grand-père s’enrobe autour de la fosse de Tonnerre qui symbolisait assez bien pour moi ce grand espace rond, le plus grand lavoir d'Europe, l'idée de l'enfouissement, ce lieu qui change de couleur plusieurs fois par jour, parce que pour moi, c'est vraiment ça. Cette mémoire qui, à un moment, remonte à la surface.

Philippe Chauveau

Ce gamin, et puis ensuite ce jeune adulte, il a réussi finalement quand même à avancer dans la vie, même s'il a enfoui ce souvenir. Et dans votre écriture, il n'y a pas de militantisme, il n'y a pas d'agressivité dans ce que vous dénoncez. Vous n'êtes pas un porte étendard, vous ne prenez pas les armes contre la pédophilie, vous expliquez ce qu'a vécu Gabriel, simplement et en disant « Voilà, est-ce que mon témoignage peut être utile ? »

Adrien Borne

Chacun fait comme il peut. Ça, c'est ma conviction. Il faut essayer à un moment. Evidemment, je ferai tout et toute ma vie, le nécessaire pour qu'il n'y ait pas d'autre Gabriel. Ma manière à moi, c'est de le raconter du point de vue d'abord de l'enfant et ensuite de l'adulte à demi. Il y a ces hommes et ces femmes d'ailleurs, bien sûr, à demi pour toujours, qu'on le veuille ou non. On se reconstruit, mais on boite toujours un petit peu.

Philippe Chauveau

On boite. Et c'est ce que dit Gabriel, votre frère siamois. C'est qu'il y a aussi cette part de culpabilité parce que, en enfouissant le souvenir, vous ne le dénoncez pas et donc, en ne dénonçant pas, vous faites des victimes potentielles supplémentaires ?

Adrien Borne

Oui, vous vous rendez compte, la malice de ces actes-là. C'est-à-dire que non seulement vous avez été blessé, malmené, violenté dans l'intime, et en plus vous allez porter de la culpabilité, de l'angoisse. Qu'est-ce que j'aurais dû dire ? Qu'est-ce que je n'aurais pas dû dire ? À quel moment ? Etc. En fait, c'est une accumulation de questions qui commencent à l'instant où ces agressions commencent.

Philippe Chauveau

Lorsque vous avez mis le point final à ce qui est donc un roman, même si on le comprend, c'est donc très proche de votre propre vie. Vous vous êtes senti soulagé ? Vous aviez rempli la mission ?

Adrien Borne

C'est une bonne question. Je ne sais pas. J'aimerais que quelqu'un me dise que j'avais rempli la mission. J'aimerais qu'une personne me dise, ça m'a aidé. Là, j'aurai rempli ma mission. Ça, ça, ça compterait.

Philippe Chauveau

Votre actualité, Adrien Borne. Voilà un livre qui marque, un livre à mettre entre toutes les mains me semble-t-il. En tout cas, une belle écriture surtout, c'est important de souligner. C'est votre actualité, La vie qui commence, aux éditions Jean-Claude Lattès. Merci beaucoup.

Adrien Borne

Merci à vous.

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